Le directeur de la photographie Christophe Offenstein parle de son travail sur "Valley of Love", de Guillaume Nicloux

L’amour et la mort

Après L’Enlèvement de Michel Houellebecq, un téléfilm produit pour Arte, Christophe Offenstein retrouve la productrice Sylvie Pialat et le réalisateur Guillaume Nicloux sur Valley of Love. Une balade dans un paysage de western chauffé à blanc pour le tandem Depardieu – Huppert... (FR)

Comment le réalisateur vous a-t-il présenté le projet ?

Christophe Offenstein : L’idée de Guillaume était vraiment de faire un film avec peu de personnes, des moyens très légers, et un coté spontané qu’on n’a pas toujours quand on tourne aux États-Unis. C’était, en termes d’expérience par exemple, très différent de ce que j’avais pu connaître sur Blood Ties, de Guillaume Canet, tourné à New York avec une équipe digne d’une superproduction, et toute l’inertie que ça peut provoquer. Valley of Love a été tourné à douze personnes, sans scripte par exemple, en suivant l’énergie quotidienne que déployaient les comédiens dans ce décor absolument incroyable.

Des influences ?

CO : Je dirais qu’il y a un peu de Paris Texas (image Robbie Muller), mais avec un côté peut-être plus contemporain techniquement. En tout cas on était parti sur un "look" presque Technicolor, avec des vrais ciels..., un côté presque western dans l’image. Il faut dire que, quand on se retrouve dans la Vallée de la mort, on est tout de suite envahi par cette ambiance western. D’autant plus quand on tourne comme nous au mois de septembre, qui est une des périodes les plus chaudes de l’année.
En plus, on n’a pas cherché à exploiter les fins de jour, les splendides couchers de soleil comme par exemple Terrence Mallick et Emmanuel Lubezski savent le faire. On a tourné en plein cagnard, car Guillaume souhaitait avant tout faire ressentir la chaleur dans son film. Et je crois que de ce point de vue c’est parfaitement réussi.

Comment ça se passe un tournage dans la vallée de la mort ?

CO : Comme c’est un parc naturel protégé, nous étions en permanence encadrés par des gardiens du parc (des "rangers") qui veillaient, non seulement à ce qu’on respecte la nature, mais qui, législation américaine oblige, veillaient aussi sur notre santé. Par exemple, on avait interdiction de tourner si la température passait au-delà d’une certaine limite.
Ce qui est arrivé une ou deux fois, interrompant soudain le tournage en plein milieu d’une scène ! C’est d’ailleurs pour éviter le plus possible ces contretemps qu’on a dû sélectionner un maximum de décors en altitude sur les collines, plutôt que dans la plaine, histoire de grappiller quelques degrés !

Et la chaleur n’a pas fait succomber la caméra ?

CO : Déjà, on a choisi de tourner en 35 mm (format Full Scope 2,55). Je pense que quand on est confronté à des chaleurs extrêmes, le film est beaucoup plus tolérant que l’électronique. Je me souviens notamment avoir rencontré pas mal de soucis sur un film précédent (Et maintenant on va où, de Nadine Labaki) où l’Alexa avait souffert de la chaleur, le système interne de ventilation étant poussé dans ses derniers retranchements.
En plus, je trouve que pour ces extérieurs, il n’y a rien de tel que la prise de vues argentique pour retransmettre tous les détails du ciel et du paysage. Le choix de l’anamorphique nous a aussi permis de jouer sur la profondeur dans l’image, en tournant des plans larges d’installation à des diaphs assez fermés, pour ensuite ouvrir quand on rentre dans la scène avec les personnages.

Comment faisiez-vous pour les rushes ?

CO : Aucuns rushes sur ce film. On avait juste le compte rendu du labo de Los Angeles, à partir du développement négatif, pour nous indiquer toute avarie manifeste. Mais l’intégralité des scan a été faite ensuite à Paris chez Arane, et on a donc découvert toutes les images au retour. Sur l’aspect développement, je crois qu’il n’y a eu qu’un seul plan qu’on n’a pas pu monter, et puis quand même quelques petites variations entre bobines, et que je mets sur le compte de la provenance assez hétéroclite du stock négatif qui nous a servi pour le film.

La pellicule ne venait pas directement de Rochester ?

CO : Non, il y avait de la pellicule qui venait de Belgique, de France, et puis aussi un peu qu’on a achetée sur place aux États-Unis. Du coup, les transferts aériens ont peut-être un peu joué sur le rendu final, comme la chaleur, même si on a essayé de conserver les pellicules dans des conditions optimales...

Quelles optiques avez-vous choisies ?

CO : Le matériel a été pris chez Panavision, et on a tourné avec des séries C anamorphiques qui, je crois, sont celles utilisées par Tom Stern sur les films de Esatwood. Pour des raisons budget, on n’avait pas la série complète, mais on s’est contenté de quatre objectifs (35-50-75-100 mm) pour faire le film. Ce que je trouve très beau dans le rendu de ces optiques, c’est la saturation couleur qui fait tout de suite penser au cinéma des années 1980. Il y a un côté vraiment naturel, presque immédiat, dans le rendu du film que je ne retrouve pas toujours en numérique, et qui facilite énormément le travail de l’étalonnage. Ça fait par exemple plaisir d’obtenir des vrais noirs immédiatement, sans jeu de masques ou de bidouilles sur la console !

Un mot sur la pellicule ?

CO : Tout a été tourné en Kodak Vision 200T et 500T. Ma préférence va depuis longtemps à la pellicule tungstène, quitte à la filtrer en extérieur. C’est une question de goût, même si c’est un peu plus contraignant au tournage, surtout dans les extérieurs jour très lumineux où j’ai dû mettre un vrai sandwich de filtres devant les optiques. Pour les nombreuses scènes de nuit, même si on est moins sensible objectivement qu’en numérique à redécouvrir combien la pellicule est capable d’aller loin dans les basses lumières (manque un bout de phrase ?). Il y a par exemple un plan-séquence Steadicam de quatre minutes, dans le décor du motel, qui est tourné presque sans lumière... en poussant juste la pellicule d’un diaph au développement.

Des filtres ?

CO : J’ai très peu filtré cette fois-ci. Ça fait partie de mes habitudes de filtrer pas mal à la prise de vues, mais l’évolution des outils en étalonnage me permet vraiment de faire ce genre de choix désormais en fonction du montage. C’est bien plus facile quand on part d’une base d’image saine, pour éventuellement la tordre, plutôt que l’inverse.

Qu’avez-vous pu emporter avec vous en lumière ?

CO : En lumière, j’avais en tout et pour tout un groupe électrogène un peu capricieux, un Arri 9 kW et trois 1 200 W HMI. La plupart du temps, je me contentais de réflecteurs, comme par exemple dans les nombreuses scènes intérieur voiture, avec juste une toute petite source sur batterie pour redonner un éclat dans le regard ou une brillance dans l’image...

Comment s’est passé l’étalonnage ?

CO : C’est Richard Deusy qui a étalonné le film chez M141. On a juste eu quelques petits soucis de scan à refaire sur certaines prises, qu’on a dû raccorder avec les scan originaux faits par Arane (qui avait fermé entre-temps). Sinon, l’intervention en étalonnage s’est surtout concentrée sur les carnations pour en unifier les rendus. Ça, c’est vraiment un des avantages des machines actuelles qui sont sans commune mesure, en termes de puissance de calcul et d’intervention comparée, à ce qu’on avait il y a dix ans dans la même configuration de tournage.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Dans le portfolio ci-dessous, quelques images et photogrammes de Valley of Love.