Libérons les écrans !

par l’ACID, association de cinéastes (manifeste envoyé par Charlie Van Damme)

Aujourd’hui, en France, il y a 5 280 écrans, quand en 1993 il y en avait 4 272 : soit 1 008 écrans de plus en 10 ans. Cela devrait être une bonne nouvelle pour le cinéma. Et bien non !

Ne soyons pas dupes : ces écrans n’ont pas pour vocation d’offrir plus de diversité !
L’espace et la durée d’exposition des films indépendants sont aujourd’hui de plus en plus réduits, et menacés. Pourtant, ces mêmes films, s’ils sont maintenus dans la durée avec un nombre suffisant d’écrans, trouvent un public et une cohérence économique.

L’extrême marginalisation d’un pan entier du cinéma met en danger l’ensemble de la production de films : c’est la création qui est ainsi attaquée, c’est-à-dire le fondement même du système qui permet au cinéma français d’exister.
Cinéastes, producteurs et distributeurs indépendants, ensemble nous demandons que dorénavant aucun film ne puisse monopoliser plus de 10 % des écrans.
Aujourd’hui les distributeurs multiplient les copies jusqu’à des niveaux inégalés. Vendredi 2 janvier 2004 : 938 copies pour Némo, 998 pour Le Seigneur des anneaux, 645 pour Scary Movie 3, 441 pour Les Ripoux (606 à sa sortie). Ces 4 films à eux seuls occupent 3022 écrans. L’inflation des copies est devenue la règle au détriment de la vie des films. C’est un peu comme au poker où pour entrer à certaines tables, il faut pouvoir suivre avec du " lourd ". Et ici le " lourd ", c’est le nombre de copies (cela devient en soi un argument publicitaire). Pour pouvoir exister, des films, qui à priori n’auraient pas besoin d’un tirage aussi élevé, sont contraints à une surenchère suicidaire.
Ce nombre considérable de copies occupe forcément un nombre considérable d’écrans. Et souvent les films ont un ratio entrée/copie bien inférieur au chiffre fatidique où, sans scrupule ni remords, on débarque des films indépendants.
Conséquence : le manque de place pour l’exposition des films oblige les distributeurs indépendants à se livrer à une lutte fratricide pour les quelques écrans restants. La durée d’exposition des films se réduit de plus en plus. Un film chasse l’autre, au manque d’espace se juxtapose le manque de temps. Cette valse infernale tue toute possibilité d’une exploitation commerciale efficace du cinéma indépendant.

La marche forcée du " plus d’écrans " est une véritable bulle spéculative. Elle accentue la rotation des films, augmente les frais de sortie, et fragilise encore plus la distribution indépendante. Tous y perdent, sauf les propriétaires des multiplexes qui ont ainsi du sang frais pour leurs fauteuils. Quand la bulle explosera, les circuits seront là pour restructurer et donner le dernier coup d’accélérateur à la concentration.

Libérons les écrans de cette logique de consommation. Les films ne sont pas des marchandises comme les autres.
Pour que le cinéma vive dans sa diversité, exigeons des instances de régulation qu’aucun film n’occupe plus de 528 écrans.