Nicolas Bolduc, CSC, revient sur le tournage des "Trois Mousquetaires : d’Artagnan", de Martin Bourboulon

Pâques, Mousquetaires et Chocolat, par François Reumont

Contre-Champ AFC n°342

Après presque un an de tournage entre août 2021 et juin 2022, le premier des deux films consacrés à l’œuvre intemporelle d’Alexandre Dumas est sur les écrans depuis le 5 avril. Une nouvelle adaptation, assez fidèle au roman, mais dont la direction artistique, les costumes et la photographie viennent parfois lorgner du côté du cinéma bis, assumant une certaine filiation avec le western italien des années 1970. C’est Nicolas Bolduc, CSC, qui a été choisi par le réalisateur Martin Bourboulon pour mettre en image cette saga. On rentre avec lui dans ce "blockbuster" à la française de 72 millions d’euros... (FR)

D’Artagnan, un jeune Gascon fougueux, est laissé pour mort après avoir tenté de sauver une jeune femme d’un enlèvement. Une fois arrivé à Paris, il tente par tous les moyens de retrouver ses agresseurs, mais il ignore que sa quête le mènera au cœur d’une véritable guerre où se joue l’avenir de la France.

Questionné tout d’abord sur la difficulté de garder une ligne claire et un contrôle concret de l’image sur 150 jours de tournage, Nicolas Bolduc explique s’être mis en condition psychologique pour une sorte de marathon : « Quand on attaque un tel projet, il faut trouver une manière de travailler assez douce, afin de ne pas s’épuiser au bout du premier mois. On a beaucoup discuté avec Martin à ce sujet, et on s’est mis d’accord sur le fait de ne pas vouloir à tout prix tout donner d’entrée de jeu. Garder l’énergie, et savoir répartir nos efforts en fonction des scènes-clés qui allaient arriver. Le fait même de tourner deux films à la fois, en cross-boarding, c’est-à-dire en construisant le plan de travail en fonction des lieux utilisés dans les deux films rajoute encore à la complexité et à la nécessité de rester alerte à chaque plan. Ça peut plus ou moins s’apparenter au travail sur une série, mais avec, de mon point de vue, des moyens beaucoup plus conséquents. Ce qui rend les choses forcément plus lourdes, et plus complexes à gérer. Sur les combats par exemple, et la volonté très vite affichée par Martin d’essayer de rester le plus possible en plan-séquence, on a dû forcément s’adapter au fur et à mesure des scènes, pour parvenir à capturer des séquences très ambitieuses, comme la scène de nuit sous la pluie qui sert d’ouverture au film.

Un combat qui n’a été tourné qu’au mois de mars 2022, soit aux deux tiers du plan de travail, alors qu’on était déjà bien rodé à l’exercice. Cette approche un peu moins frontale, ce tempo très agréable qu’on a réussi à mettre en place avec l’équipe nous a permis, je crois, de garder l’énergie tout au long de cette année de travail. Certes, il y avait de la fatigue, mais pas cet épuisement mental que tout le monde redoute sur un tournage aussi long, et qui fait que l’équipe commence à sérieusement rêver chaque nuit au clap de fin ! »

Film historique, mais aussi film d’aventure, Les Trois Mousquetaires regorge de décors souvent uniques qui s’enchaînent au fur et à mesure des rebondissements . « Pour moi le roman est un peu comme un road movie », explique Nicolas Bolduc. « Les protagonistes sont dans une quête perpétuelle, et ne cessent d’avancer, de chercher et de poursuivre leur mission. Il n’y a quasiment aucun décor récurrent, et on changeait de lieu presque à chaque scène. Même à l’échelle d’une simple déambulation, comme par exemple l’arrivée de d’Artagnan dans la cour des Mousquetaires, on a tourné sur cinq lieux différents. La scène démarre à Compiègne dans la rue (qu’on retrouve en fin de séquence avec Aramis), puis aux Invalides pour la cour. La discussion avec Tréville étant ensuite faite à St-Denis. L’escalier avec Athos, de nouveau aux Invalides, tandis que le réfectoire avec Porthos encore à St-Denis, mais sur un autre site... L’idée était vraiment sur le film de tirer le meilleur parti de chaque décor sans aucun compromis. De manière à ce que le spectateur soit impressionné à chaque nouvelle scène. En tournant absolument tout en décors naturels. »

Rencontre avec de Tréville, St-Denis - Photogramme
Rencontre avec de Tréville, St-Denis
Photogramme


Cette mise en scène dynamique, et de personnages toujours en mouvement s’illustrent, par exemple, dans la rencontre entre d’Artagnan et le capitaine de Tréville. « Dans le scénario, c’est une scène dialoguée assez classique, qui devait se terminer dans le bureau du capitaine. Mais on voulait garder cette idée de montrer d’Artagnan comme une sorte de jeune chiot, qui ne réfléchit pas beaucoup et qui fonctionne à l’instinct. Quand il pénètre illégalement dans la cour, c’est exactement comme ça, sans se poser de questions... Et cette scène qui suit devait garder le même sens un peu débridé. Pour ce faire, on a eu l’idée de couvrir le dialogue en forte contre plongée, avec un mouvement arrière énergique et la bible tenue par François Civil conservée en amorce dans le cadre. Un endroit très cinématographique (le lycée de la Légion d’Honneur à St-Denis) mais qui m’obligeait, vu l’axe choisi, à tourner dans un créneau de 90 minutes, pour bénéficier du soleil dans son incidence idéale. On a tourné cette séquence très vite, quasiment sans autre lumière – à l’exception du contre-champ avec les personnages de dos. C’était un plan très énergique, qui donne le ton de ce qui va suivre avec d’Artagnan. Un personnage toujours en mouvement qui ne s’arrête peut-être que lors de quelques scènes avec Constance Bonacieux… et encore ! »

Sur les choix de mise en scène du réalisateur Martin Bourboulon, Nicolas Bolduc confie que le découpage s’effectue en grande majorité à une seule caméra, sans story-board. « A l’exception des séquences de combat, qui nécessitaient un gros travail de chorégraphie et d’effets numériques. »
La plupart des scènes sont filmées très simplement, en mettant en place les choses sur chaque décor et en se posant des questions très simples sur la manière de transposer telle ou telle partie du récit. Seules les scènes avec beaucoup de comédiens, comme celles où le roi est au milieu de ses conseillers, ont justifié une deuxième caméra. Mais qu’on utilise alors sans jamais forcer sa présence. De cette manière on tourne au plus prés de l’axe du regard, avec beaucoup plus de présence aux interprètes. C’est très engageant, je trouve, pour le spectateur, et on reste aussi concentré sur une seule chose à la fois. »

Une patine sale - Photogramme
Une patine sale
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Sur les choix esthétiques, le directeur de la photo déclare avoir cherché une patine à l’image :
« Une image poussiéreuse, un peu sale, avec des tons assez chauds, transmis par les filtres Chocolat 1 pour les intérieurs et 2 pour les extérieurs que j’ai utilisés en permanence sur ce tournage. C’est une combinaison que je trouvais intéressante pour donner d’entrée de jeu cette chaleur un peu sale sur les visages. Cette tonalité chaude qu’on a choisie avec Martin Bourboulon et Dimitri Rassam (producteur), nous plaisait vraiment beaucoup, d’autant plus qu’elle venait un peu en contrepoint de l’ambiance hivernale qu’on voulait donner généralement à l’histoire.

Le bois St-Sulpice - Photogramme
Le bois St-Sulpice
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Si on prend par exemple la scène du bois St-Sulpice, où les Mousquetaires se retrouvent pour se battre en duel contre d’Artagnan, puis s’unissent contre les gardes du cardinal, on tourne dans une forêt de pin. Ça nous a permis de conserver un côté fin d’automne à la fois dans les tonalités très chaudes et dans l’incidence du soleil qui arrive à passer à travers les arbres, sans être bloquée par un amas de feuilles vertes. Une scène tournée sur 5 jours durant l’été 2021, les deux premiers servant à couvrir la discussion, tandis que le reste est dédié à la confrontation elle-même. Dans cette scène, je pense qu’on ressent assez bien l’influence du western dont Martin m’avait parlé lors de la préparation du film. Un travail préparé très en amont, avec par exemple, le choix des costumes des Mousquetaires, volontairement éloignés des célèbres casaques bleues qu’on connaît dans les autres adaptations. Des redingotes sales, dans des dégradés de cuirs et de tissus marron qui évoquent, selon moi, plus l’Ouest américain que l’univers originel d’Alexandre Dumas. Moi, j’étais enchanté de cette décision prise avant même mon arrivée sur le film, car je suis un grand fan de western. Photographiquement, j’ai donc cherché à retrouver cette ambiance des films de Sergio Leone ou Clint Eastwood, comme, par exemple, Pale Rider, qui a formé mon goût pour le cinéma dès mon enfance. Cette décision d’aller délibérément à l’encontre des codes me plaisait beaucoup, car on avait tous dans l’équipe l’envie de surprendre à tous les niveaux. Surtout on ne voulait pas que le spectateur s’assoit devant un film d’époque bien balisé. Utiliser certains codes venant d’un autre genre de cinéma nous a donc beaucoup servi. »

Tournage de la scène d'ouverture
Tournage de la scène d’ouverture


Parmi ces codes, on trouve bien sûr celui de la calèche au milieu d’une place de village, chère encore à beaucoup de westerns. C’est la séquence d’ouverture, de nuit, durant laquelle le personnage d’Artagnan est laissé pour mort – tel Tomas Millan dans Tire encore si tu peux, de Giulio Questi (1967). « Là, on est allé assez fort, pour marquer les choses dès le début », explique Nicolas Bolduc. « La pluie, les contre-jours qui font des brillances sur les personnages presque en silhouette... C’est vrai qu’on est complètement dans une scène de règlement de compte dans un western. Comme je l’évoquais, Martin Bourboulon m’avait annoncé son souhait depuis le début de filmer les séquences d’action au maximum en plan-séquence. Et c’est le cas bien entendu de cette première scène. Un vrai défi quand on tient compte de la chorégraphie demandée à François Civil (d’Artagnan), de nuit en plein mois de mars par des températures proches de zéro, dans la boue, et sous la pluie. Même si ce dernier avait pu répéter de longs mois à l’avance avec le coordinateur des cascades Dominique Fouassier et le champion d’escrime Yannick Borel, devoir soudain tout refaire dans ces conditions devenait beaucoup plus complexe que dans une salle. Comme pour toutes les autres scènes d’action montées dans le film en plan-séquence, on a eu recours aux effets numériques pour raccorder plusieurs plans à l’intérieur de fausses coupes et scinder la chorégraphie en différents blocs. Sur cette scène, tout devait être fait à l’épaule à l’origine, mais au fur et à mesure des répétitions et vu la complexité du mouvement quand d’Artagnan passe sous la calèche, j’ai suggéré à Martin que l’on passe sur Technocrane. Le plan est donc composé de cinq segments, commencés au Steadicam, puis enchaînés avec la grue, sur lesquels j’ai tout de même pu rajouter quelques secousses et imperfections de façon à ne pas trop sentir la trop grande fluidité donnée par la machine. En termes d’éclairage, comme d’Artagnan fait pas mal d’allers retours, et que la caméra couvre environ 180° dans son mouvement, il me fallait trouver un moyen d’éclairer la scène avec un système de bascule entre les axes lumière. Cela de manière à conserver toujours un contre-jour sur la pluie, sans quoi elle disparaît immédiatement à l’image. Pour cela, Eric Gies, mon chef électro, a mis en place quatre nacelles situées aux quatre coins de la cour dans laquelle on tournait. Chacune équipée d’un 12 kW HMI sur lesquels on avait fixé des Shutters dénichés à Londres qui nous permettaient de programmer via la console une transition très douce d’un axe à l’autre en cours même de prise de segment de plan-séquence. De cette manière on pouvait passer de manière complètement invisible d’un côté à l’autre de la calèche et rester en contre-jour. Cette configuration lumière était aussi imposée par la présence des énormes rampes à pluie, suspendues au-dessus de la cour qui empêchaient d’utiliser par exemple un ballon ou tout autre solution de Top Light qu’on peut aussi envisager sur ce genre de scène de nuit. »

Si ces séquences d’action en (faux) plan unique sont bien l’un des marqueurs de cette nouvelle adaptation, l’autre attention manifeste de Martin Bourboulon et des scénaristes (Alexandre de la Patelière et Mathieu Delaporte) se porte sur les personnages secondaires. Nicolas Bolduc reconnaît : « Les Mousquetaires, à l’échelle du roman, sont en fait presque des pions. Même si c’est leur histoire, et qu’ils sont perpétuellement dans l’action, pour moi, il est très clair que les vrais personnages qui tirent les ficelles, ce sont les autres. Ce constat, on se le faisait à chaque nouvelle scène entre le roi et la reine, ou Milady et le cardinal de Richelieu. Montrer en quelque sorte l’arrière du rideau de l’histoire, là où les décisions sont prises, très loin du chaos, de la cavalcade et des combats. Si on rajoute l’excellente interprétation de tous ces personnages secondaires, avec à leur tête Louis Garrel, Vicky Krieps, Eva Green ou Éric Ruf, je pense que le cœur de l’histoire est peut-être dans ses moments. » Parmi ces scènes, on peut citer, par exemple, la discussion entre le roi et la reine dans sa chambre au sujet des ferrets. « J’aime beaucoup cette scène, elle a un côté très moderne dans le dialogue et dans l’interprétation. Vicky fait un travail formidable face à Louis. Comme par exemple, quand elle lui tend le coffret censé contenir les ferrets, un peu comme une femme proposerait à son mari de fouiller dans son téléphone ! Sur cette séquence, on va jusqu’à finir extrêmement serré à l’intérieur même des visages, là aussi un peu comme dans un duel à la Sergio Leone. Un moment rare, mais je trouve très juste pour aller chercher l’émotion dans les regards. Les objectifs Panavision série C que j’ai choisis pour le film sont vraiment très beaux dans cette scène, avec le 150 mm sur les comédiens, un bokeh sublime derrière à 5,6, les brillances ressortent de manière extraordinaire. »

Constance Bonnacieux (Lyna Khoudri) et la série C Panavision - Photogramme
Constance Bonnacieux (Lyna Khoudri) et la série C Panavision
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Questionné sur la raison de ce choix d’optiques, Nicolas Bolduc avoue : « J’ai eu la chance sur un film précédent (La Belle époque, de Nicolas Bedos) de pouvoir travailler pour la première fois avec cette série C anamorphique de Panavision. C’est une série qui date des années 1960, avec un côté assez hétéroclite dans leur taille et leur finition mécanique selon les focales. Mais leur rendu est à la fois très défini tout en restant paradoxalement assez doux. Ce sont aussi des optiques qui ont leurs propres imperfections, comme souvent quand on travaille avec des optiques anciennes, et qui me semblaient parfaites pour le film. Le seul problème, c’est qu’elles sont rares, et que quand vous les voulez pour un projet il faut faire une demande officielle en expliquant quel film vous allez faire avec, et qui joue dedans. En un mot, c’est plus les optiques qui vous choisissent que l’inverse ! En ce qui concerne les Mousquetaires, j’avais en plus formulé une demande particulière auprès de Panavision pour qu’il puissent les adapter optiquement au capteur de l’Alexa LF. Une expansion optique réalisée à partir d’un bloc rajouté à l’arrière de chaque objectif, totalement transparent, qui n’a absolument pas altéré le rendu d’origine, à ma grande satisfaction. En couvrant jusqu’au 35 mm la totalité du capteur, on peut se permettre de tourner à des diaphs assez fermés tout en conservant un très beau rendu Scope en 2,39. »

Autre particularité du film, la relative discrétion des lumières bougies, pourtant souvent un des marqueurs du film de cape et d’épée. « C’est un peu ce que je disais sur cette volonté de surprendre l’audience. Tourner avec des bougies, c’est devenu un peu convenu pour moi. Presque une sorte de cliché. Ça nous est arrivé de les utiliser sur certaines scènes, mais on ne voulait surtout pas mettre des bougies partout ! Et puis on avait pas de grandes scènes de dîner, qui sont un peu les incontournables de la lumière bougies. Ça m’a permis d’aller vers une lumière un peu plus fabriquée parfois, avec des rayons de lumière qui rentrent par les fenêtres, et aussi en utilisant pas mal la fumée. Je pense que rajouter en plus les bougies aurait juste fait trop à l’écran, ça n’aurait pas donné tout simplement la même énergie. »

Installation du bal de Buckingham
Installation du bal de Buckingham


Le bal de Buckingham - Photogramme
Le bal de Buckingham
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Pas de grand dîner aux chandelles, certes, mais tout de même une grande scène de fête dans le château du duc de Buckingham... « C’est une drôle de scène, effectivement. On tournait dans la cour intérieure d’un château, et j’étais un peu perplexe sur la manière d’éclairer cette grande réception. J’ai commencé par mettre un ballon suspendu au milieu de la cour, mais je n’avais pas assez de lumière. Comme il n’y avait pas de grands feu, ou de présence de contraste suffisant au sol, on se retrouvait dans une situation où on voulait à la fois faire une ambiance de fête assez moderne, un peu sexy, à la Eyes Wide Shut, par exemple. Littéralement, une heure avant de tourner, je regardais l’image à travers la caméra alors que la nuit tombait. Et je n’étais pas content de moi, j’avais juste l’impression d’exposer les décors et les costumes ! C’est alors que j’ai demandé à mon chef électro Eric Gies d’aller chercher dans son camion des gélatines de couleur pour transformer l’ambiance. Pour moi, il fallait que le rendu de cette scène soit vraiment différent du reste du film, et qu’on la rende à part. On est parti sur du rouge, qu’on a placé sur les 12 kW placés en hauteur qui étaient venus entre temps renforcer et donner plus de contraste au ballon. Et c’est finalement comme ça qu’on a tourné la scène. Ce bal du XVIIe siècle devient soudain super moderne... mais on s’en foutait avec Martin ! Et la scène existe dans le film car elle est à part ! »

La poursuite en nuit américaine - Photogramme
La poursuite en nuit américaine
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À part aussi, la grande poursuite à cheval au bord des falaises de Normandie entre d’Artagnan et Milady, tournée en nuit américaine. Un défi photographique pour Nicolas Bolduc : « Ce n’est pas ma séquence de nuit favorite », confie-t-il. C’était une scène extrêmement compliquée à tourner, en nuit américaine, avec un travail d’assombrissement des ciels comme c’est la règle dans ce genre d’exercice. Malheureusement, après le montage, il a été décidé de tout éclaircir, mais le temps nous manquait pour retravailler indépendamment le niveau des ciels... Au résultat final, on raccorde depuis le palais où démarre la poursuite - tournée réellement de nuit - pour ensuite aller vers une sorte de début de journée au bord des falaises. La séquence fonctionne, certes, mais elle n’est pas exactement telle que je l’avais imaginée en la tournant... »

Sur l’étalonnage, Nicolas Bolduc tient justement à remercier son coloriste. « Moi, je travaille de manière très classique, exactement comme je travaillais en film auparavant. Je n’ai pas de DIT dans mon équipe, je me contente d’une simple LUT en Rec709 sur le plateau, et surtout je regarde l’image dans la caméra en même temps que je cadre. Faire des allers retours dans la tente image, c’est pas mon truc... Tout ce qui concerne l’étalonnage se fait via des photogrammes à chaque scène envoyés par Internet et validés chaque soir par mes soins. Comme je l’expliquais avec cette décision de filtrer chaque plan, la direction est donnée à la prise de vues, et pour moi l’image ne se refait pas en postproduction. Je tiens quand même à tirer mon chapeau à Fabien Pascal, l’étalonneur du film, qui a su parfaitement gérer ce choix de patine donnée à la prise de vues. En effet, tourner avec une dominante brune dès le départ n’est pas toujours chose facile pour ensuite faire ressortir les visages par rapport au fond. C’est, par exemple, beaucoup plus aisé quand on livre une image un peu froide de base, et les visages ressortent tout de suite naturellement. Mais Fabien a réussi à trouver le bon dosage pour à la fois garder cette unité sur les deux films et conserver un rendu de couleur agréable sur les carnations. »

Questionné sur le bilan de cette première superproduction, le directeur de la photo semble impatient de recommencer : « Des premiers échos que j’ai eus dans mon entourage, le film semble être très bien reçu. On m’a encore raconté que les gens applaudissaient au Forum des Halles en séance publique le générique de fin venu. Je suis donc très fier d’avoir pu participer à cette aventure avec cette équipe, et je me prépare à reprendre la caméra avec les co-scénaristes Alexandre de la Pattelière et Mathieu Delaporte désormais aux commandes du Comte de Monte-Cristo, le prochain projet annoncé par Pathé.

Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan
Réalisation : Martin Bourboulon
Scénario : Alexandre de La Patellière, Mathieu Delaporte, d’après Alexandre Dumas
Production : Chapter 2, Pathé, M6, Constantin Films
Image : Nicolas Bolduc, CSC
Décors : Stéphane Taillasson
Costumes : Thierry Delettre, AFCCA
Montage : Célia Laffitedupont

L'Alexa Mini LF avec le 50 mm Série C, configuration de base pour les scènes d'action
L’Alexa Mini LF avec le 50 mm Série C, configuration de base pour les scènes d’action


Patrick Leplat, Panavision, nous parle de la série C :

Nicolas Bolduc affirme que ce n’est pas le directeur de la photo qui choisit la série C, mais que c’est elle qui vous choisit...

C’est vrai. Cette série est mythique et elle n’existe qu’en très peu d’exemplaires dans le monde. Tout au plus une dizaine. J’ai la chance de pouvoir en proposer une en France, quand les grosses machines comme les James Bond ou d’autres superproductions US ne les réservent pas pendant de longues périodes lors de leur passage chez nous. C’est toujours un peu la bagarre pour les conserver ici, mais jusqu’alors on fait plutôt partie des bons élèves ici à Paris !
Sur Les Trois Mousquetaires, Nicolas Bolduc avait en plus émis le souhait de pouvoir les utiliser sur un capteur full frame (Alexa LF) et ça a rajouté un peu de complexité à la chose pour nous.

Combien de temps en préparation avez-vous passé pour adapter le matériel ?

On a travaillé pendant 6 mois en amont du tournage, et les dernières optiques n’ont été livrées que vraiment dans la semaine d’essais préalable au début des prises de vues, en août 2021. Pour couvrir le full frame, nous avons modifié à Paris la quasi totalité des optiques, à l’exception du 50 mm qui lui a dû faire un aller retour à Los Angeles entre les mains expertes de Dan Sasaki car le travail n’était pas réversible - et seul Los Angeles peu décider et faire une telle opération. En tout une série et demi a été fournie sur l’intégralité du plan de travail de 150 jours (les focales les plus utilisées comme le 50, 60, 75 et 100 étant doublées). Un exploit dont on est bien sûr très fiers avec Christophe, notre responsable du département optique, car mis à part le 50 mm, c’est une modification à 100 % réversible et très homogène.

Les longues focales ne couvrent-t-elle pas naturellement Full Frame ?

Oui, c’est certain, mais pour conserver l’homogénéité du rendu entre les focales, il a fallu aussi les retoucher. Comme je le disais, on touche principalement au "bloc primaire" de l’optique, qu’on peut rebasculer par la suite en version "classique". C’est la première fois qu’un tel travail est effectué sur la totalité des focales de la série, et je pense qu’en découvrant le film en salles, on ressent vraiment l’ampleur de l’effet anamorphique. Comme cet effet est proportionnel à la hauteur de l’image sur le capteur, en passant d’une configuration classique 35 mm Scope (18 mm de hauteur) au Full Frame (24 mm) les arrière-plans prennent soudain des volumes incroyables même en tournant à des ouvertures moyennes.

Il y a-t-il une ouverture conseillée pour utiliser cette série après modification ?

A l’époque où la série C est sortie, très peu de gens tournaient en dessous de 2,8. Les recommandations officielles dans les studios nécessitaient même une autorisation spéciale pour déroger à cette règle. Là, avec une couverture Full Frame, on peut très bien tourner entre 4 et 5,6, soit dans la gamme d’ouverture idéale en termes d’optique, tout en obtenant à l’écran un effet correspondant à ce qu’on pouvait observer à 2 ½ en format classique. Tourner en dessous de 2,8, pour moi, devient vraiment hasardeux. À moins de viser un effet particulier.

Ce genre de prestations se généralise-t-elle sur le marché actuellement ?

J’insiste beaucoup sur le temps d’échange que nécessite une telle collaboration. Chez Pana, on est prêt à faire beaucoup de choses pour que chaque opérateur trouve exactement ce dont il a besoin en fonction des besoins du film. Mais ça ne peut pas se faire en un claquement de doigts. Construire un projet, en concertation avec la production, la mise en scène et le directeur de la photo, c’est exactement ce qui s’est passé sur Les Trois Mousquetaires et que j’espère qu’on aura l’occasion de réitérer.

Mais ce genre de service n’est il pas réservé en France aux superproductions  ?

C’est vrai que la série C en particulier est difficile à obtenir, et qu’elle est chère. Mais on peut très bien aussi travailler sur d’autres optiques, moins demandées. Je peux citer par exemple "Le Roi des ombres", une série tournée par Pierre-Yves Bastard, AFC, pour Netflix. Un projet au temps de tournage beaucoup plus court, sur lequel on a récemment été amené à faire le même travail d’adaptation au Full Frame de la Sony Venice, mais sur des optiques anamorphiques Zeiss Techno, plus démocratiques !

(Propos de Nicolas Bolduc et Patrick Leplat recueillis par François Reumont, pour l’AFC)