Où Jean-François Hensgens, AFC, SBC, parle des "Intranquilles", de Joachim Lafosse, pour "La Lettre de la CST"
Avec Les Intranquilles (en salles le 29 septembre), Joachim Lafosse sonde de nouveau les turpitudes d’un couple au bord de l’implosion, mais sous un angle éminemment personnel. Son chef opérateur, Jean-François Hensgens, nous raconte les arcanes de ce tournage émotionnellement et techniquement riche.
Les Intranquilles raconte l’histoire d’une famille qui doit faire face à la
bipolarité du père, comment traduit-on cela à l’écran ?
Jean-François Hensgens. Le film est divisé en cinq parties correspondant aux différentes phases par lesquelles passent le personnage de Damien (Damien Bonnard) et sa famille. Ces cinq parties, nous les avons signifiées différemment à travers la caméra, ce qui impliquait des techniques de filmage, mais également des objectifs différents et ce, afin d’être le plus en adéquation possible avec l’humeur des personnages.
La première partie, où l’on découvre cette famille en vacances dans un cadre à priori apaisé, nous l’avons filmée uniquement sur pied (Joachim n’utilise jamais de dolly). Je lui ai donc fait plusieurs propositions ainsi qu’aux producteurs. Notre choix s’est porté sur des objectifs Cooke Anamorphic Special Flare et une caméra RED Pro 8K avec un diaph de 2,8, pour toute cette partie-là. Nous voulions une image "carte postale", plus "ronde", remplie, exprimer la joie, le vacances. J’ai fait le choix des objectifs Cooke Anamorphic Special Flare car l’idée qu’il puisse y avoir des petits "accidents" avec l’image me plaisait. Je voulais renforcer le côté solaire, lumineux. J’ai également utilisé des filtres DigiCon Schneider qui grisent, poudrent un peu les basses lumières. J’ai joué, durant tout le film, avec les gradations en fonction de l’intensité dramatique des scènes. Au fur et à mesure que Damien montait dans sa phase maniaque, je réduisais la gradation des filtres pour retrouver des noirs plus durs. Cela me rappelle le travail de Denis Lenoir qui, sur un film où je l’assistais, alternait entre différents types de pellicules pour signifier des moments différents et non pas tant pour la sensibilité qu’elles offraient. Pour la deuxième partie, que l’on a tournée au Luxembourg, j’ai continué à filmer su pied ou avec un système stabilisé pour traduire l’idée de quiétude dans le couple. Dès lors, je change d’optique avec une série Canon K35 sur un ratio de 2,35 qui correspond au format du film et à 2,8 de diaph.
Après le calme, Damien et sa famille traversent une véritable tempête...
Dès lors que nous entrons dans la montée maniaque du personnage de Damien, la phase 3, nous passons à la caméra à l’épaule, afin d’être au plus proche du personnage et de la bascule qui s’opère vers la folie à travers son regard et ses gestes. Je me souviens plus particulièrement d’un plan que nous avons tourné pendant plus de vingt-cinq minutes sans couper montrant le personnage de Damien peindre. Durant cette prise, le comédien Damien Bonnard peignait vraiment, il devait se confronter à la toile et opérait une sorte de danse avec la caméra. C’était très physique, Damien s’est même froissé deux côtes en tournant. Ce moment a été pour Damien, je crois, comme pour moi et mon pointeur, Amaury Duquenne, un travail d’équilibriste, comme une chorégraphie improvisée entre nous trois.
Pour la quatrième partie, je suis repassé en caméra stabilisée, l’image se voulant plus tranquille, plus sereine, en phase avec l’état des personnages et toujours avec la même série d’objectifs et valeurs de diaph. Il fallait que ça reste un changement léger.
Enfin, dans la cinquième et dernière partie, je repassais en caméra à l’épaule mais cette fois à 1,4 de diaph, comme pour accompagner le personnage de Leila qui perd pied et ainsi renforcer son isolement. Une des particularités des Canon K35, c’est qu’ils ont un rendu assez différent en fonction des diaph utilisés, ça a été une des raisons de mon choix pour cette série. Certains de ces partis pris, comme celui de basculer sur un diaph de 1,4 pour la dernière partie, étaient des paris risqués pour Joachim Lafosse, mais dès lors qu’il a compris
notre démarche, il nous a dit de foncer. Joachim n’en voudra jamais à son équipe de proposer et d’essayer.
Sur ce film, vous semblez avoir accordé une importance particulière au point...
J’ai été assistant pendant très longtemps, j’ai travaillé, entre autres, avec Alain Marcoen pour les frères Dardenne, Hélène Louvart, Denis Lenoir... aussi le travail sur le point est très important pour moi, car il participe à la narration, d’isoler ou pas un élément, un personnage. Nous avons eu cette démarche de travailler sur le point pour accentuer la situation dans laquelle se trouvaient les personnages. [...]
- Lire la suite de l’entretien dans La Lettre de la CST de septembre, téléchargeable en PDF sur son site Internet.
(Extrait publié avec l’aimable autorisation de la CST)