Où le directeur de la photographie Laurent Fénart parle de son travail sur "Fatima", de Philippe Faucon

Laurent Fénart travaille avec Philippe Faucon depuis 2001 – c’était à l’occasion d’un téléfilm pour Arte, Grégoire peut mieux faire. Formé au cinéma à l’ENS Louis-Lumière et sorti en 1996, ayant signé les images d’une vingtaine de documentaires, il a cophotographié, avec Laurent Chalet, AFC, en 2013, Mes séances de lutte, de Jacques Doillon. Fatima, qui est sélectionné cette année à la Quinzaine des réalisateurs, est le sixième film qu’il tourne avec Philippe Faucon. (JNF)

Sur le cadre
Avec un capteur Super 35, nous tournons essentiellement au 50 mm, parfois au 75 et 100 mm. Le 50 est la focale qui donne aux comédiens une véritable présence en conservant encore leur relation à l’espace qui ne devient pas abstrait. C’est en même temps assez serré pour ne pas déformer les visages.
Avec cette nécessité de ne pas utiliser des focales plus courtes, en décor naturel, dans de petits appartements, nous nous retrouvons souvent au plus loin dans un coin de la pièce… A l’épaule aussi, nous tournons plutôt au 50 mm, sans placement précis de comédiens, obligeant Marie Deshayes, ma première assistante caméra, à travailler plutôt à l’instinct...

Philippe cherche une image qui accompagne les comédiens sans faire apparaître le travail de la caméra, pour être pleinement avec eux. Ce sont uniquement les déplacements des comédiens qui appellent les mouvements de caméra. A l’épaule, le mouvement doit être plutôt précis, avec le moins de flottements possibles, en gardant la liberté pour les comédiens.
Sur Fatima, il y a de la caméra portée, mais aussi quelques plans filmés avec un stabilisateur gyroscopique qui était encore un prototype, le "SC Newton". Le travail du cadre avec cet appareil était assez expérimental : nous l’avons utilisé sur une Western Dolly pour des travellings de 25 mètres, ou alors parfois en remplacement de la caméra portée, quand la séquence était moins nerveuse. Par exemple dans des escaliers pour finir par un long plan fixe. Contrairement au Steadicam, il y a moins de précision, une inertie au cadre avec laquelle il faut composer, ce qui demande de l’entraînement et de l’intuition au 50 mm. En revanche, l’ensemble est plus léger.

Sur la caméra et les optiques
En partie pour des contraintes de poids liées au Newton et à la caméra portée (sans EasyRig, qui introduit un flottement à l’épaule), nous avons tourné avec la Sony F55, en 4K XAVC. Et aussi parce que cette caméra a des qualités, avec une courbe de Gamma intéressante, et génère des fichiers qui ne rendent pas la postproduction trop lourde compte tenu du budget du film et d’un temps de tournage relativement court (35 jours).
Concernant les optiques, après de nombreux tests avec cette caméra en 4K, nous avons choisi une série Cooke S3 de chez Alga Panavision, douce, mais qui possède un véritable piqué, très fin. Elle équilibre bien la précision du 4K. Des optiques plus dures auraient moins convenu à Fatima, Nasserine et Souad…

Sur la lumière
La lumière devait avoir un rendu plutôt naturel, mais sans sacrifice sur les ambiances et les visages… Nous avons utilisé des sources le plus souvent larges, parfois doublement diffusés ou indirectes, pour les intérieurs jour. Quelquefois avec le soleil et des miroirs rediffusés.
Avec parfois plusieurs décors dans la journée, des pré-lights étaient souvent nécessaires. Avec Laurent Van Eijs, mon chef électricien, depuis plusieurs films, nous avons une intuition assez proche, en ayant toujours en tête de laisser possibles des modifications rapides, car la mise en scène de Philippe tient compte de la vraie vie…

Sur la postproduction
L’Etalonnage a été fait par Stéphane Medez, chez Film Factory, sur Nucoda. Nous étions partis sur un étalonnage en 4K, mais la vitesse de projection étant trop lente, nous nous sommes reportés sur le 2K, qui est de toute façon le format de projection actuel. Et nous avons pu nous rendre compte qu’il n’y avait pas de différence entre une conversion 4K-2K avant ou après l’étalonnage. Nous avons rajouté un très léger grain car le rendu de la F55 peut manquer parfois de texture, dans certains décors.
Nous avons tourné en été, mais une bonne partie de l’action se passe au début de l’année scolaire. Dans certains plans, nous avons isolé le vert de la végétation pour le rendre plus automnal, lorsque les rajouts de filets de camouflage et de feuilles mortes de l’accessoiriste ne suffisaient pas.

(Propos recueillis par Jean-Noël Ferragut, AFC)