Tous responsables

par Marc Galerne, K5600

La Lettre AFC n°211

La dégradation du prix de la prestation est la responsabilité de tous. Les productions doivent comprendre que les équipes et les prestataires ne sont pas forcément des ennemis. Comprendre aussi que la guerre des tarifs qu’ils provoquent n’aboutira qu’à l’affaiblissement de notre métier.
La chaîne " Production-Prestataire-Équipe-Fabricant " doit respecter un certain nombre de règles sous peine de voir disparaître professionnalisme, progrès et savoir-faire. Les productions feront-elles des économies lorsqu’elles devront faire venir le personnel et le matériel de l’étranger pour chaque tournage ?

La production d’œuvres de fiction n’est pas qu’une affaire d’argent. Les économies de budget n’ont jamais fait le succès d’un film. Par contre, payer normalement les gens améliore les conditions et la performance sur le tournage, payer des prestations à leur juste prix (encore faut-il qu’elles soient à la hauteur) apporte généralement une meilleure prestation car le matériel est (en principe) renouvelé, entretenu et donc moins sujet aux pannes.

Le point de départ : le respect
Je suis sidéré de voir comment certaines sociétés se permettent de traiter l’AFC et ses directeurs de la photographie. On ne paye pas ses cotisations, on envoie paître les chefs opérateurs qui gèrent au quotidien et bénévolement l’association. On se plaint de son emplacement au Micro Salon avec agressivité. Au-delà même du minimum de reconnaissance pour des clients/prescripteurs/utilisateurs, on parle de correction.
Avons-nous donc tout perdu dans cette crise des vingt dernières années ? Il n’y a plus de respect pour les hommes, le matériel, le métier.

Tout n’est qu’argent : on achète du matériel chinois parce qu’il est moins cher (encore moins cher grâce aux subventions du CNC qui sont financées par nous). On n’investit plus, on sous-loue. On tente par tous les moyens d’imposer le matériel que l’on a sur les étagères sous de fausses raisons. On propose des appareils à la place d’autres alors qu’ils ne sont pas comparables.
Alors oui, aujourd’hui, j’ai envie de pousser un vrai coup de gueule.

Nous sommes devenus, nous les fabricants, les ennemis des prestataires alors que sans nous il n’y aurait pas de valorisation des prestations. On loue des Alpha 18 K avec des ballasts qui ont plus de dix ans à 500 euros/jour (prix liste sur lequel est calculé la remise) sous prétexte de la nouveauté alors que le seul investissement, c’est la tête. Cela ne me gênerait pas plus que ça, si je n’entendais les plaintes des chefs op’ et des électros qui nous racontent leurs mauvaises expériences : faible rendement (à cause de ballasts vieillissants et mal vérifiés qui ne passent pas en 18 kW), fort bruit dans la tête (généré par des ballasts asiatiques qui ne remplissent même pas les normes CE).

Nous ne sommes pas infaillibles et il arrive que nos appareils aient des problèmes (cela arrive à la NASA régulièrement) mais nous n’avons pas besoin de subir en plus des reproches dont nous ne sommes pas responsables.
Et comme si cela ne suffisait pas, il y a la politique entre les partisans de tel ou tel loueur qui invoquent des problèmes pour demander le matériel qui est seulement chez leur prestataire préféré. Encore une fois, je peux comprendre les affinités, les retours d’ascenseurs, ce que je n’accepte pas, c’est le besoin de dénigrer le matériel pour ne pas dire la vérité : on a accepté un deal pas acceptable et l’on essaye de limiter la casse.

La solution : la solidarité
Est-il normal qu’un loueur demande à un chef opérateur de diminuer sa liste (donc de faire moins de chiffre) ? Le loueur ne doit-il pas être au côté du directeur de la photo pour l’amener à un choix judicieux qui lui permettra de faire le film qu’il veut faire en aidant le réalisateur à exprimer sa vision ? Plutôt que se mettre du côté de la production, il faut défendre son camp et nous sommes TOUS dans le poste " technique " lorsque arrive le devis du film.
Le directeur de la photo, me semble-t-il, doit défendre son statut, son équipe et plus généralement son métier. Il n’y a pas si longtemps, je parlais avec un " gaffer " américain très expérimenté et qui a une longue carrière derrière lui. Il tournait à Venise un film avec des acteurs très connus (= couteux). Il me disait qu’il ne pouvait pas faire acheter une Chimera particulière (peu profonde pour l’Alpha 4) qui pourtant l’aurait beaucoup aidé dans les décors exigus de Venise. N’est-ce pas là une forme d’abandon et de résignation ? On ne va pas se battre pour si peu.

Pourtant, si les " grands " ne se battent pas, que va-t-il rester aux autres ? Quels outils auront ceux qui arrivent dans ce métier avec des rêves plein la tête ? Les " locomotives ", les " primés " ont une responsabilité importante dans le maintien de la qualité et l’avenir de la profession.
Les DP doivent se faire respecter dans leurs choix techniques, qu’ils soient matériels ou humains. Il existe des exemples, et nous en connaissons tous, d’équipes qui fonctionnent en bloc et qui restent inséparables. Étrangement, ce sont celles qui obtiennent le matériel qu’elles désirent et non celui que l’on tente de leur imposer.

La conclusion : le dialogue
Peut-être serait il possible d’organiser un vrai tour de table avec directeurs de production, prestataires, fabricants et chefs opérateurs, sous l’égide de l’AFC, de la CST et de toutes autres associations sérieuses ?
Il faut que l’on ramène un minimum de professionnalisme et de sécurité sur les plateaux, que l’on revienne à des conditions de tournage dignes pour redonner un peu d’éclat à un artisanat de luxe qui est tombé très bas. La production cinématographique est un artisanat qui ne fabrique que des prototypes.
Je me souviens, il y a longtemps dans une lointaine galaxie, on appelait même cela « l’industrie du rêve ». On en éprouvait même une certaine fierté. Est-ce encore vrai aujourd’hui ?

Messages

  • Bonjour à tous,
    Je suis bien obligé d’être en accord avec Marc sur ce bilan... Regardons de plus près le schéma de la prestation pour comprendre la situation financière délicate de la plupart des prestataires, dont certains ont pu ou pourraient disparaitre, et cela à cause de l’obligation qui leur est faite de fournir des équipements à perte après une bagarre de prix dont le seul résultat est de donner une fausse idée de coût réel de ces prestations. Il est difficile de comprendre que l’on ne mette pas les moyens sur le prestation technique avec le même soin qu’on peut le faire pour les autre composantes de la production. Tout n’est peut-être pas perdu, mais il serait utile de remettre un peu de réalisme dans ce domaine.