Entretien avec le directeur de la photo André Szankowski, AFC, AIP, à propos de son travail sur "Cosmos", d’Andrzej Żuławski

par André Szankowski

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Né au Brésil en 1979, ayant passé sa vie aux USA, en Angleterre, au Portugal et en France, André Szankowski, AFC, AIP, a aussi des racines polonaises (par son père). Invité pour la première fois à Camerimage, il viendra présenter Cosmos, le nouveau film du cinéaste franco-polonais Andrzej Żuławski. Rencontre avec cet opérateur trilingue à la carrière internationale.
André Szankowski et Andrzej Żuławski - DR
André Szankowski et Andrzej Żuławski
DR

C’est votre premier festival ?

André Szankowski : Bizarrement oui, c’est même la première fois que je vais venir en Pologne ! Même si par le passé j’ai essayé plusieurs fois de me libérer, le hasard des tournages et de la vie en a choisi autrement.
Cette fois-ci, je suis en tout cas très fier d’accompagner Andrzej Żuławski, un réalisateur polonais, qui plus est un peu à l’origine de la création de ce festival.

Comment avez-vous rencontré Andrzej Żuławski ?

AS : Par l’intermédiaire de Paulo Branco... J’avais tourné avec lui plusieurs fois (avec Raoul Ruiz, Fanny Ardant...) et même si visuellement, c’était des projets très différents, Żuławski a, je pense, trouvé dans ces films une sorte de point de vue et de relation à la mise en scène dans mon travail. Je me souviens qu’il avait beaucoup apprécié Les Mystères de Lisbonne, tout en me disant : « C’est une image très éclairée, hyper léchée..., ce n’est pas du tout ce que je veux pour Cosmos ! » C’est sur la base de ce rapport et cette complicité entre le metteur en scène et le chef opérateur qu’il a décidé de me faire confiance.

Comment se passe le travail sur le plateau avec lui ?

AS : On a tourné le film entièrement au Portugal, sur un plan de travail de six semaines. Un tournage plutôt court... La plus grande difficulté pour l’opérateur, c’est que Żuławski tourne ses scènes dans l’ordre de la narration. Le film entier n’est pas tourné dans l’ordre chronologique mais à l’échelle de chaque journée, chaque scène est strictement fabriquée dans l’ordre de ce qu’il a en tête en termes de montage. Ce qui veut dire qu’on peut très bien commencer par un plan très large, faire ensuite des plans serrés sur les comédiens, puis revenir aux plans larges plus tard, alors que la lumière a complètement changé !
On fait des allers retours incessants dans le décor, avec la lumière qu’il y a... et il faut se débrouiller comme ça. Si on rajoute là-dessus certains lieux tournage comme Sintra (un petit village au nord-ouest de Lisbonne réputé pour son microclimat très changeant), ça devient parfois un vrai casse-tête. Une séquence au début du film, par exemple, a été tournée littéralement sous une tempête de neige, alors que quelques jours plus tôt, les repérages se sont effectués dans un décor de végétation verte luxuriante telle qu’on peut l’imaginer dans le sud du Portugal.
Ce qui est passionnant, c’est que malgré ces conditions, Żuławski s’adapte toujours et va chercher d’une certaine manière un certain sens de narration dans ces surprises.

Aviez-vous échangé des références visuelles en préparation ?

AS : Contrairement à certains réalisateurs avec lesquels on peut regarder jusqu’à une dizaine de films pour se donner des idées, Andrzej, lui, ne m’a donné aucune référence. Il m’a juste parlé très technique. Je me souviens notamment d’une discussion sur la lumière des fluos sur les visages, qu’il aimait beaucoup. Ce côté blanc des peaux, qu’il place là encore au centre des ses préoccupations.
Il donne extrêmement d’importance aux visages des comédiens. C’est presque à chaque fois ce qui détermine la manière de filmer ou d’éclairer une scène. Par exemple, d’un point de vue narratif, il n’aime pas beaucoup surligner l’image, comme faire une lumière sombre ou bleutée pour une séquence triste... Il veut juste qu’on lui propose une lecture du visage sans que ça devienne théâtral ou trop dramatique.

Voici quinze ans qu’Andrzej Żuławski n’avait plus tourné de films... Entre-temps la révolution numérique a littéralement bouleversé la technique cinématographique. Comment s’est-il adapté à cette nouvelle manière de faire des films ?

AS : Il a parfaitement intégré le processus numérique... Que ce soit la prise de vues Raw, les LUTs, et le fait qu’on n’a pas le résultat final exact en direct sur le plateau... Il faut dire qu’il a un œil extrêmement précis sur l’image, avec à chaque fois des commentaires hyper justes sur l’éclairage. Pour vous dire, il a même un verre de contraste avec lequel il continue à juger l’image ! Et j’ai aussi l’impression que sa méthode de travail n’a pas vraiment changé avec le numérique.
Il ne fait pas beaucoup de prises, ne filme pas les répétitions, reste très proche des comédiens et n’est pas collé au combo. Il couvre peu, les plans sont montés souvent in extenso (une des conséquences de sa méthode de travail dans l’ordre chronologique de montage), et sa manière de construire la scène est parfois presque inattendue pour le reste de l’équipe. De toute façon, il connaît tellement bien son sujet, le scénario qu’il maîtrise absolument par cœur, ce qui lui permet de trouver une solution à chaque fois pour se retourner de jour en jour, et jouer avec les imprévus.

On est loin d’un tournage sur story-board !

AS : Oui, c’est certain ! Ça donne une sorte de pression pour l’équipe technique. On peut préparer la scène avec à peu près le temps qu’on veut, mais quand on tourne, il faut que tout le monde soit prêt. Et si les comédiens sont bons à la première prise, ce sera celle qui sera gardée quelque soient les éventuels défauts techniques qu’on aurait pu rencontrer au cadre ou au point.

Quels ont été vos choix techniques ?

AS : D’habitude je tourne très souvent avec les optiques Panavision mais cette fois-ci, j’ai choisi d’équiper la caméra Alexa avec des Cooke S4, principalement pour leur rendu des visages que je trouve un peu plus doux. Un côté plus soyeux aux carnations, surtout quand on tourne essentiellement grand angle entre le 21 et le 27 mm, comme Żuławski en a l’habitude. En outre, c’est un réalisateur qui n’a pas peur de proposer des angles de caméra assez extrêmes, en rupture avec le style actuel beaucoup plus sage et avec des focales beaucoup plus longues.
Beaucoup de dolly, pas de Steadicam et un peu d’épaule... Ce qui est amusant avec le recul, c’est que je m’aperçois qu’on a très peu discuté avec Andrezj du film en préparation. Le tournage est arrivé et le film a été simplement fait, comme ça, sans se poser de questions !

Un mot sur l’étalonnage ?

AS : L’étalonnage a été fait chez Eclair avec Raymond Terrentin. On a trouvé ensemble assez vite le style des images et le ton général du film, mais les nombreux problèmes de raccords lumière liée à la méthode de tournage nous ont pris un peu plus de temps ! Passer d’un plan au 21 mm dans un lieu très étroit avec des toutes petites fenêtres et un temps gris dehors à des gros plans, ce n’est pas toujours facile !
Je me souviens d’un décor en particulier tourné dans une maison au bord de la mer, où le vent était tel que même un 18 kW HMI ne pouvait pas tenir sur son pied à l’extérieur ! Mais à la fin, je m’aperçois qu’Andrzej n’est pas du tout préoccupé par ça. Ce qui lui importe avant tout, c’est que l’histoire existe. L’essence du film, pour lui, n’est vraiment pas dans le raccord lumière ...

Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC.

Cosmos, qui sort en salles le 9 décembre 2015, a remporté le Prix de la mise en scène au 68e Festival de Locarno.

Voir la bande annonce
https://www.youtube.com/watch?v=baa8FIsVx74