Camerimage 2021
"Black Beauty" ou le mustang à l’écran
Par Charly Lehuédé, ENS Louis-LumièreHabitués, comme nous le sommes au cinéma, à poser un regard humain sur des humains, il est assez facile de considérer comme allant de soi tout un système de représentations visuelles qui doivent pourtant être repensées sitôt que l’on choisit d’avoir pour sujet un animal. Si le cas particulier du cheval a largement été pensé et travaillé à l’écran, et ce en tout temps et en tout format, il n’en reste pas moins l’opportunité pour une réalisation et une direction de la photographie de prendre du recul sur leurs habitudes et de repenser le rapport à l’"acteur" animal. En ce sens, Black Beauty n’est en rien précurseur ; le film, réalisé par Ashley Avis, photographié par David Procter, et présenté à Camerimage au sein du programme de Cinéma contemporain du monde, est cependant une bonne illustration de cette adaptation des dispositifs d’image aux enjeux posés par un rôle principal interprété par un cheval. Adapté d’un roman de 1877 écrit par Anna Sewell, le film met en effet en scène la vie d’une jument arrachée à son Ouest sauvage, et les péripéties qu’impliquent sa domestication et sa rencontre avec Jo Green, la jeune fille en deuil interprétée par Mackenzie Foy.
C’est donc un récit à la première personne et au narrateur équestre que la direction de la photographie doit servir. En cela le film trouve toujours la juste hauteur de caméra, et si l’on voit parfois la jument en contre-plongée, comme il est souvent d’usage avec ce genre d’animaux, étant donné leur physionomie imposante et la nécessité de montrer leurs cavaliers, il est fréquent ici que l’on soit placé à hauteur de ses yeux pour ses plans d’écoute. La caméra investit alors l’animal d’une expressivité et d’une profondeur de jeu purement issues du cadre et catalysées par le montage, qu’on aurait souhaitées moins parasitées par une voix-off assez explicative.
Ces plans inhabituels à hauteur d’œil de la jument permettent efficacement l’adoption de son point de vue. De manière générale, les cadres du film réussissent à traiter ce motif du rapport à l’autre ; les angulations de caméra, lorsqu’elles surviennent pour grandir la jument, ou au contraire mettre en scène son asservissement, sont d’autant plus efficaces. En témoigne ce plan de communion entre la jeune femme et sa jument, qui partagent enfin une confiance réciproque alors que le soleil se couche.
Ce motif de la communion revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans le film ; celui-ci s’ouvre notamment sur des plans de galop sur la plage, où Jo et sa jument ne font qu’une dans l’esprit comme à l’écran, totalement silhouettées par le soleil couchant. C’est une belle idée de mise à l’image de l’aboutissement du film, qui narrera les événements ayant mené à une telle symbiose, et également une façon pour David Procter, le directeur de la photographie, de tirer parti de la robe intégralement noire de la jument.
Celle-ci n’a d’ailleurs pas toujours été une alliée : interrogé à ce sujet, il explique lors de l’échange qui suivit la projection avoir peiné à gérer le contraste béant entre le pelage de la jument et le teint de peau très pâle de Mackenzie Foy, alors même que le rapprochement des deux êtres est le fil rouge du film. La recherche presque systématique de flares permet en ce sens de pallier cette difficulté et d’apporter des variations à l’image et à ces peaux situées aux deux extrémités du spectre. Il est d’ailleurs à noter que le film se passe en grande partie dans un ranch, dont les séquences s’inscrivent dans des tons pastel, que ses couleurs sont douces et chaleureuses, sauf ponctuellement lorsque l’intention s’y prête, ce qui permet de servir l’élévation du noir profond de la jument au rang de mythe. Il y a une vraie conscience chez le directeur de la photographie du potentiel expressif de la robe par effet de contraste avec l’environnement, notamment dans les décors enneigés ou ensablés, ce qui peut sembler une évidence à ne pas manquer, mais qu’il est souhaitable de saluer.
Le film prend peut-être moins de risques dans son traitement des mouvements de la jument. Il est vrai que les chevaux ayant été filmés un nombre incalculable de fois, il est désormais difficile de surprendre totalement l’œil du spectateur, mais il faut admettre que le film n’échappe pas aux plans habituels de suivis lointains de profil d’une course au galop, du plan au drone, de la ruade... Et en même temps, on peinerait à lui reprocher d’en revenir à ces visions qui sont d’une efficacité et d’un lyrisme éternels. Tourner avec des animaux relevant toujours du compromis, on comprend en outre les contraintes qui en incombaient, bien que celles-ci ne puissent en aucun cas servir d’excuses dans l’appréciation du rendu. Il n’en demeure pas moins que le film parviendra sans doute à toucher son public familial et à joliment donner corps au mythe qu’est ce classique de la littérature britannique.