Camerimage 2013, séminaire "Digital Cameras, creative Workflows"

Par Florian Berthellot

La Lettre AFC n°238

A l’occasion du 21e Camerimage, K5600 Lighting et Transvideo, avec Thales Angénieux, membres associés de l’AFC, avaient invité six étudiants de La fémis et six de Louis-Lumière à séjourner à Bydgoszcz. Au programme, le festival proposait un séminaire ayant pour thème la chaîne de travail numérique et la compréhension des outils par leurs utilisateurs. Compte rendu de cette réunion par l’un des étudiants présents.
Les intervenants de "Digital Cameras, creative Workflows" - De g. à d. : Madelyn Most, Tommaso Vergallo (Digimage), Tom Crocker (Sony), Paul Atkinson (Canon), Henning Rädlein (Arri), Roberto Schaefer, Philipe Ros - Photo Etienne Bacci
Les intervenants de "Digital Cameras, creative Workflows"
De g. à d. : Madelyn Most, Tommaso Vergallo (Digimage), Tom Crocker (Sony), Paul Atkinson (Canon), Henning Rädlein (Arri), Roberto Schaefer, Philipe Ros - Photo Etienne Bacci

Au milieu de tous les rassemblements et séminaires du festival Camerimage se cachait un drôle d’oiseau, conférence hybride entre états des lieux, réflexions et propositions sur ce que l’on appelle sobrement le " workflow ", ou " flux de travail ", mais qu’il n’est en réalité pas si évident que cela de concevoir…
Cette conférence était initiée par Roberto Schaefer, ASC, et Philippe Ros, AFC, directeurs de la photographie, ainsi que Madelyn Most, journaliste spécialisée. Elle rassemblait un panel impressionnant, autant du côté des intervenants que du public, de directeurs de la photographie, loueurs de matériel (Panavision, Arri Rental, Clairmont Camera, Vantage), fabricants de caméras (Arri, Canon, Sony, Transvideo-Aaton), sociétés de postproduction (Digimage), DITs et bien sûr étudiants. Ne serait-ce qu’arriver à rassembler, au sein d’une même salle, tous ces acteurs de l’image de cinéma était déjà en soi une belle réussite, et un fait plutôt rassurant quant à l’avenir du cinéma.

En effet, alors que la fameuse " révolution " numérique tant attendue est arrivée, force est de constater que celle-ci est pour l’instant loin d’être uniforme, mais que chaque fabricant, et par la suite chaque laboratoire, a travaillé indépendamment, pour développer des outils propres, bien souvent sans une concertation nécessaire avec le reste de la profession. Cette conférence avait ainsi pour but à la fois d’informer sur les possibilités des différents " workflows " aujourd’hui et d’essayer de trouver des solutions aux problèmes qui commencent à apparaitre avec la multiplication de ces possibles.
La conférence a ainsi débuté par un rappel de quelques notions clés du traitement d’une image numérique que sont la " débayerisation ", le SDK (Software Development Kit), la gestion de la couleur, l’affichage sur des moniteurs et la notion de LUT (Look Up Table). Ceci afin de clarifier et de comprendre le processus global de capture, qui, étant effectué la plupart du temps de manière autonome par la caméra, échappe complètement au contrôle de son utilisateur.

Ainsi de la question de la " débayerisation ", processus permettant, à partir d’une image prise avec un filtre de Bayer, tel que présent sur toutes les caméras monocapteur CMOS, d’obtenir une image avec trois composantes distinctes – rouge, verte et bleue – effectuée automatiquement par la caméra et dont l’utilisateur n’a en réalité aucun contrôle dans la plupart des cas.
Mais cette majorité des cas est remise en question aujourd’hui par le choix possible entre un " workflow " classique, et un " workflow " RAW. Le " workflow " classique utilisant un traitement de l’image par la caméra lors de la prise de vues, dans un espace couleur donné (RGB/Rec709), avec une image finale qui dispose des mêmes caractéristiques que celle visualisée sur un moniteur (et à condition d’avoir un moniteur bien réglé). Avec les inconvénients d’une possibilité d’intervention par la suite bien plus restreinte (" débayerisation " déjà effectuée, espace couleur restreint, même avec un gamma de type logarithmique).
Cependant, il est également possible d’opter pour une captation d’image " brute " ou RAW, qui laisse la possibilité de " débayeriser " l’image lors de la postproduction, offrant ainsi une marge de contrôle bien plus grande sur la dynamique de l’image, la netteté, et sur les possibilités colorimétriques, l’espace colorimétrique de travail étant bien plus étendu, que ce soit en RVB ou en ACES (Academy Color Encoding System).

Arrivé à ce stade, se pose alors très vite le problème du choix de l’outil utilisé et de son importance sur le résultat final. Roberto Schaefer évoque ainsi des problèmes qu’il a rencontrés lors d’un tournage en RAW, où, pour des raisons de production, il a dû changer de laboratoire de postproduction en cours du film, et les deux étalonneurs travaillant sur des logiciels différents, il lui a été impossible de retrouver les images qu’il avait validées avec le premier étalonneur.
Se posait alors en fait la véritable question de la conférence, à savoir comment faire aujourd’hui pour garder le contrôle d’une image au sein du long processus de fabrication d’un film ? Ou, comme le disait le sous-titre de la conférence, comment pallier des problèmes aux raisons invisibles pour obtenir des solutions aux résultats visibles.

Face à cette question, il est évident qu’il aurait fallu plus que les deux heures imparties au débat pour que la discussion aboutisse, cependant certaines interrogations et attentes se sont dégagées de cette rencontre. La mise en place du protocole ACES semble ainsi être une des possibilités pour simplifier grandement les échanges, du moins sur le point de vue colorimétrique, entre les images visualisés aux différentes étapes et l’espace de couleur de travail des images, qu’il s’agisse des effets spéciaux ou de l’étalonnage. Egalement, la généralisation des LUTs (ou les ODTs dans le cas de l’ACES) permet plus facilement de contrôler l’affichage et la prévisualisation des images.

Encore faut-il que ces LUTs soient correctement établies et vérifiées à chaque maillon de la chaîne de travail. La conférence appuyait ainsi le rôle du DIT en tant qu’intermédiaire privilégié dans un " workflow " RAW, et capable de garder la cohésion entre chaque étape. Ainsi du problème d’un directeur de la photographie présent dans la salle qui expliquait qu’après avoir regardé pendant le montage des images mal réglées, les réalisateurs s’habituaient en général à une image, quand bien même ce n’était pas dans cette direction que le film avait été éclairé et pensé par le directeur de la photographie…
Un des problèmes majeurs soulevés à mon avis par cette conférence, est finalement la difficulté pour les industriels de répondre à l’étrange dualité dans les besoins du chef opérateur, nécessitant à la fois un processus de contrôle le plus absolu sur l’image (ce qui pousse aujourd’hui à une prise de vues en RAW, avec l’ensemble des choix directement accessible par l’utilisateur, à la prise de vues ou en postproduction) et dans le même temps un outil qui soit extrêmement simple à utiliser, et à maîtriser.

Le référent film revient d’ailleurs en permanence comme exemple d’un rendu type, que les opérateurs ont appris à maîtriser puis à distordre dans un but créatif. La simplicité apparente permet ainsi souvent un choix et des possibilités créatrices bien plus grandes.
Mais à cette situation, il faut rajouter, pour être vraiment honnête, le fait que beaucoup de directeurs de la photographie ne sont pas forcément bien informés et connaisseurs, voire tout simplement curieux des " workflows " et des possibilités de réglages possibles.

Face à ce besoin affiché des opérateurs de reprendre le contrôle de l’image, les fabricants présents ont à tour de rôle décortiqué leurs propres processus de gestion de l’image, RAW ou de manière classique. Mais chacun fait ainsi appel à des SDKs qui leurs sont propres et qui font aussi la force et la singularité de leurs images.
C’est pourquoi à la question d’un participant de savoir s’il ne serait pas possible de rendre libre les SDKs actuellement protégés par des brevets, la réponse globale, au-delà de préciser que le SDK est le fruit d’un travail long et couteux, a été de préciser que cela ne serait finalement que peu d’intérêt pour les utilisateurs, et que cela ne ferait que complexifier une situation peu évidente.
En effet les fabricants utilisent tous des SDK différents, voir carrément des " softwares " propres pour traiter leurs images. Et les laboratoires ont également développé eux aussi leurs propres SDK, d’où la multiplication des possibles " workflows " et rendus aujourd’hui, et la situation plutôt anarchique qui en ressort...

A ce niveau de la discussion il semblait difficile de trouver un point de conclusion, et finalement quelques mots ont tout de même trouvé sens à mes yeux. Ainsi, un intervenant, membre de Panavision, a fait le lien avec le nuancier Pantone, référent pour l’imprimerie, et objet physique qui permet à chacun de vérifier, in situ, la justesse de teinte du papier qu’il choisit.
Et il semblerait qu’il y ait peut être là une idée des plus intéressantes à développer, un outil, ou protocole, qui permettrait aux directeurs de la photo de valider rapidement les conditions d’observation des images, et qui pourrait rendre compte et de la définition, et de la dynamique, et de la justesse colorimétrique des images qui lui seraient montrées. Or pour qu’un tel outil puisse se mettre en place, il doit s’élaborer chez les loueurs de caméra, et remonter depuis les fabricants de caméra jusqu’aux laboratoires de postproduction, sous la houlette des directeurs de la photographie.

De même, les directeurs de la photographie rassemblés au sein de la fédération IMAGO ont appelé à plus de transparence d’un côté et plus d’information de l’autre, ce qui est en effet un " prérequis " indispensable pour améliorer la situation existante, même si cela semble insuffisant à mes yeux. Mais cette conférence, bien que trop brève pour permettre véritablement d’aboutir, est un signe malgré tout encourageant, précurseur je l’espère d’une véritable collaboration entre les différents acteurs du travail de l’image cinématographique.
Et, alors que l’ensemble du cinéma semble atteint d’une boulimie technologique qui voudrait imposer la maîtrise incessante de nouveaux outils, c’est aussi la preuve d’une volonté commune de simplification et de transparence du processus, ce qui ne peut que réjouir la plupart des utilisateurs. Reste à savoir si cet appel sera entendu…

" Digital Cameras, Creative workflows. Problems with invisible reasons, solutions with visible results ", une conférence réalisée avec le soutien de Kazik Suwala (Camerimage), Ainara Porron (Sony Europe) et Irena Gruca (FilmPRO).

(Compte rendu de Florian Berthellot, étudiant sorti de Louis-Lumière en juin 2013)

(En vignette de cet article, Roberto Schaefer et Philippe Ros - Photo Etienne Bacci)