Camerimage 2024

Conférence Angénieux autour de Checco Varese, ASC, et son utilisation de la série Optimo Prime

Par Margot Cavret pour l’AFC

Cette année à Camerimage, Angénieux a invité Brad Wilson, représentant du loueur hollywoodien Keslow, et le chef opérateur Checco Varese, ASC, à une conversation sur leur collaboration pour les séries "Under The Bridge" et "Daisy Jones And The Six". Les deux projets, tournés avec la série Optimo Prime, ont été l’occasion pour le fabriquant français de ré-expliquer le concept unique de ces optiques et de la technologie IOP (Integrated Optical Palette). (MC)

« Je lis toujours le script trois fois », commence Checco Varese. « Une première fois d’abord normalement, qui me permet déjà de savoir si j’aime l’histoire, si elle me fait rire ou m’émeut ou si elle ne me touche pas. Puis je lis une seconde fois, uniquement les dialogues, pour comprendre ce que vivent les personnages. A la troisième lecture, je prends un crayon, et j’écris "sombre", "joyeux", etc, des mots-clés qui vont ensuite me guider dans ma conception de l’image du projet. "Daisy Jones And The Six" raconte l’histoire d’une jeune femme qui se débat pour réussir dans un monde d’hommes (on ne dirait pas mais je parle de musiciens, pas de cinéastes !), et qui finit par devenir une immense star. A l’issue de ces trois lectures, j’ai appelé Brad et je lui ai dit : "J’ai besoin d’une série qui soit à la fois poétique et féminine, et que je puisse customiser pour adopter un look 70’". Il m’a fait essayer 17 séries, pendant cinq jours, et je les ai torturées, jusqu’à m’arrêter sur les Optimo. En tant que chef opérateur, j’ai l’impression que je peux parler aux optiques, et qu’elles me répondent. Elles me disent : "Je préfère cette ouverture, je n’aime pas trop les flares, etc". Il faut les écouter et leur répondre gentiment, pour qu’elles nous rendent cette gentillesse. C’est une conversation humaine, après tout elles ont été créées par des humains qui ont de l’expertise et de la passion. On a beaucoup dit que Riley Keough, qui joue Daisy Jones dans la série, était née pour interpréter ce rôle. Moi je pense que cette série a été faite pour utiliser ces objectifs. On les a équipés d’un filtre Glimmer Glass en IOP. Je ne peux pas vraiment expliquer ce choix, c’est comme choisir entre du vin blanc et du vin rouge, c’est ce qu’il fallait, pour aller avec le projet ».

"Daisy Jones and the Six"
"Daisy Jones and the Six"


Passionné et poétique, le chef opérateur raconte ses choix et ses réflexions à travers de nombreuses autres métaphores, dont une autre culinaire, un peu plus tard dans la conférence, pour expliquer comment, pour un projet aussi différent que "Under The Bridge", il a finalement abouti sur le même choix d’optique et d’IOP : « Je pense que les métiers de cheffe opérateurrice et cheffe cuisinierère sont très ressemblants. Ils ou elles achètent les mêmes tomates, le même origan, etc. Pourtant, ils ou elles font des choses radicalement différentes avec. La qualité du plat ne vient pas des ingrédients, mais de ce que la personne qui les cuisine a à leur donner. En cinéma, c’est pareil, ce n’est pas au sujet du matériel, c’est au sujet de l’histoire qu’on a à raconter. Les Optimo sont comme des tomates que j’ai déclinées en deux sauces différentes ! ». Tim Smith, directeur exécutif de la branche américaine d’Angénieux et modérateur de la conversation, essaye de recentrer le sujet sur des éléments plus concrets : « Dans "Under The Bridge", vous utilisez beaucoup plus de focales moyennes que dans "Daisy Jones And The Six" ». « C’est vrai », commente Checco Varese, « J’ai surtout utilisé les focales entre le 21 mm et le 40 mm, pour avoir un rendu intime, sans distorsion. J’avais aussi les trois zooms Optimo, mais je ne m’en suis pas servi. Je pars toujours avec un minimum de deux caméras et d’une série et demi d’objectifs, c’est-à-dire que je double les focales moyennes, pour pouvoir faire, par exemple, un champ-contre-champ à deux caméras avec des focales qui correspondent. Mais je n’aurais jamais besoin de faire ça avec des focales très courtes ou très longues donc ça ne sert à rien de doubler celles-ci. J’adore les trois zooms Optimo, les deux compacts et l’Ultra 12, je les connais par cœur, je leur parle beaucoup, parfois on se dispute ! Mais ils sont fantastiques ».

"Under the Bridge"
"Under the Bridge"


Brad Wilson est également questionné sur sa méthode pour conseiller et épauler les cheffes opérteurrices dans leur choix de matériel. « Ça commence par une conversation, à la fois sur le look global recherché, et sur des paramètres techniques : est-ce que c’est en sphérique ou en anamorphique, full frame ou non, etc. De là, on peut réduire la liste de toutes les optiques disponibles à une sélection qui correspond à toutes ces caractéristiques. Pour "Daisy Jones And The Six", nous avons parlé de série vintage, mais ce sont des séries qui sont limitées en focales, et qui sont compliquées à manipuler en postproduction car elles n’enregistrent pas de métadonnées. L’avantage des Optimo, c’est qu’on peut leur donner un look vintage, tout en gardant le confort d’une série moderne. » Checco Varese complète : « Toute cette tendance autour des optiques vintage ne fait pas vraiment sens. Ce sont des optiques qui étaient conçues pour des tournages en pellicule, pour toute une époque et des méthodes de production qui n’étaient pas les mêmes. Ce n’est pas simplement en tournant avec les optiques d’Apocalypse Now qu’on va pouvoir refaire le film ! Je préfère customiser des optiques modernes avec l’IOP plutôt que d’être contraint par tous les défauts d’une série vintage ». Tim Smith conclut sur ce sujet : « Chez Angénieux, nous ne sommes pas à la recherche de l’optique parfaite, nous avons une recherche artistique. C’est parfois compliqué d’expliquer à un ingénieur qu’il doit faire exprès de laisser certains défauts ! Mais c’est ce qui donne leur personnalités à nos produits ». Brad Wilson ajoute : « Nous avons douze séries Optimo chez Keslow, et elles sortent tout le temps. Les gens adorent pouvoir les personnaliser, c’est très rare qu’elles partent sans avoir été customisées par l’IOP ».

Brad Wilson - Photo Katarzyna Średnicka
Brad Wilson
Photo Katarzyna Średnicka


Checco Varese a également proposé une démonstration en direct des différences entre une optique 50 mm équipée en IOP d’un Glimmer Glass, et la même optique sans IOP. La différence est ténue mais sensible, notamment sur les flares, beaucoup moins stylisés à nu qu’avec l’IOP. « Ce n’est pas du tout comme mettre un filtre à l’avant », commente-t-il, « là, c’est intégré à l’intérieur de l’optique, ça prend ses caractéristiques, ça s’adapte, ça s’enroule complètement ». Tim Smith complète : « Si on met un filtre à l’avant, il va simplement réfléchir déjà 30 % des rayons vers l’extérieur. L’IOP étant intégrée entre les lentilles de l’optique, la lumière va jouer avec à l’intérieur, pour donner un rendu beaucoup plus organique. Ça devient presque une optique différente. Et du coup, on peut complètement imaginer de filtrer également à l’avant ». Checco Varese ajoute : « D’ailleurs, pour "Daisy Jones And The Six", on avait des Glimmer Glass à mettre à l’avant des zooms (qui n’intègrent pas l’IOP), afin d’essayer de les rapprocher un peu plus du look de nos Prime ».

Checco Varese - Photo Katarzyna Średnicka
Checco Varese
Photo Katarzyna Średnicka


Checco Varese conclut la discussion par une autre belle métaphore : « J’ai fait beaucoup de films en pellicule. Qu’on tourne en Kodak ou en Fuji, ça ne change pas grand chose. En numérique, c’est pareil. Je considère que ça, la pellicule, le capteur, c’est comme du papier, alors que choisir ses objectifs, c’est comme choisir entre la prose et la poésie. Ce sont eux qui apportent la ponctuation du film. On peut choisir le meilleur papier possible, l’important c’est ce qu’on écrit dessus ».

Lors de la Q&R qui a suivi, Angénieux est de nouveau questionné sur la possibilité de pouvoir changer d’IOP pendant le tournage, sur le plateau. Brad Wilson plaisante : « Si vous tournez dans le désert, je ne recommande pas, ou alors vous risquez de beaucoup personnaliser vos optiques ! ». Tim Smith ajoute : « C’est très facile à faire, mais il s’agit quand même d’ouvrir l’optique, donc il faut le faire dans de bonnes conditions ». Checco Varese conclut : « C’est comme dans la vie, c’est bien d’avoir des options, mais au final il faut faire des choix. On ne va pas commencer quelque chose, et changer d’avis en plein milieu ! ».

(Compte rendu rédigé par Margot Cavret pour l’AFC)