"Et Beauviala réinventa la caméra"

Entretien avec Jean-Pierre Beauviala, par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°269


Le Monde, 12 octobre 2016
Louis Malle, Jean Rouch, Eliane de Latour, Peter Greenaway, Raymond Depardon, Xavier Beauvois... Tous ont tourné au moins une fois avec une Aaton. Cette petite caméra sur l’épaule, révolutionnaire, est née au début des années 1970, après les Caméflex d’Eclair utilisées par les cinéastes de la Nouvelle Vague.

Alors que la Cinémathèque française, à Paris, revisite l’histoire du cinéma sous le prisme de la technique, en exposant d’innombrables machines – "De Méliès à la 3D : la machine cinéma", jusqu’au 29 janvier 2017 –, Le Monde a rencontré l’un des inventeurs les plus prolifiques, Jean-Pierre Beauviala. Créateur de la Paluche (caméra minuscule), de la Penelope, de l’enregistreur Cantar, l’artisan de pointe a traversé quarante ans d’innovations techniques.

Jean-Luc Godard lui avait demandé de réfléchir à un modèle de caméra qui tiendrait dans le vide-poches d’une voiture, mais les deux hommes n’ont pas fait affaire… Né en 1937, l’inventeur aux longs cheveux blancs fêtera ses 80 ans en 2017, parle comme s’il en avait 40 et nous annonce sa nouvelle frontière : apprendre aux jeunes à faire des plans de cinéma avec un téléphone portable.

Vous avez créé votre première caméra parce que vous rêviez de faire un film…

Oui, j’étais un jeune ingénieur en électronique et je venais de me faire virer par Eclair, avec un brevet d’invention en poche. J’ai créé ma société, Aaton, en 1971, avec un groupe de proches. Je vivais à Grenoble et je voulais raconter une ville vivante, où l’urbanisme rend les habitants attentifs les uns aux autres. C’est ce que j’appelle la "coveillance", qui n’a rien à voir avec la surveillance. Bref, je n’ai jamais fait ce film, mais j’ai créé une caméra Super 16 millimètres.

Les caméras sur l’épaule existaient déjà. Qu’apportait de nouveau votre modèle ?

Outre la qualité parfaite du viseur, et le marquage du temps pour éliminer le clap, il y avait aussi l’ergonomie, et le silence inégalé de cette caméra. Il faut se replonger dans l’époque : les autres caméras, comme la Caméflex, étaient bruyantes. Et encombrantes. J’ai proposé de "rejeter" la caméra à l’arrière de l’épaule. Ça paraît moins lourd et ça devient beaucoup plus discret. Vous pouvez avancer vers les gens, vous portez la caméra comme un chat sur l’épaule. J’ai aussi déplacé le viseur sur le côté : ainsi, je regarde dans le viseur mais l’autre œil peut surveiller le champ et être avec les acteurs. L’autre particularité est d’ordre politique : l’Aaton pouvait contenir à l’intérieur une petite caméra vidéo. Ainsi, quand vous faisiez un documentaire à l’autre bout du monde, vous pouviez montrer les rushes une sorte de mouchard.

Qu’est-ce qui nourrissait vos inventions ? Votre cinéphilie ?

Oui, mais les idées naissaient surtout des discussions avec les chefs opérateurs et les ingénieurs du son...

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Propos recueillis par Clarisse Fabre, Le Monde, mercredi 12 octobre 2016