"Juste quelqu’un de bien..."

Par Gilles Porte, AFC

par Gilles Porte La Lettre AFC n°282

Nous nous étions rencontrés, Matthieu Poirot-Delpech et moi, sur les bancs de La fémis, non pas comme étudiants – j’avais été recalé au concours d’entrée – mais "avec" les étudiants. Nous encadrions tous les deux une équipe de tournage. Moi du côté de la réalisation, toi, du côté de l’image. J’avais adoré cette collaboration.

Ce que j’ai préféré, ce n’était pas le tournage en soi, mais nos briefs et débriefs ! Jamais nous ne quittions les élèves sans revenir, tous ensemble, sur la journée passée… Et les questions fusaient. Souvent les questions étaient plus importantes que les réponses…

Tu n’as jamais été passionné par "la technique", en revanche tu ne cessais de t’interroger sur la fixité ou pas d’un cadre, l’opportunité d’un mouvement de caméra ou l’utilisation de telle ou telle focale en fonction de la ligne du scénario à traduire en image... Tu obligeais les étudiants à se poser les "vraies" questions… Que voulez-vous raconter, d’abord ? Et comment allez-vous le raconter, ensuite ?
Écrit comme ça, cela peut ressembler à une porte ouverte que l’on enfonce et pourtant…
Les étudiants que nous avions encadrés cette année-là n’avaient pas eu d’autres choix que de bien mettre en place leurs séquences respectives avec leurs comédiens avant "d’imposer" une caméra… Je me souviens de l’assistant metteur en scène qui devenait dingue en regardant sa montre… Nous, on souriait, car nous savions que ce qui s’énonce clairement s’écrit plus facilement, avec un stylo mais aussi, avec une caméra…

J’ai appris la terrible nouvelle dimanche, sur la route, entre Honfleur et Paris… C’est Catherine Schwartz qui m’a téléphoné… Catherine qui venait d’avoir un coup de téléphone de Xavier Durringer, en larmes. Xavier, que je t’avais fait rencontrer à l’issue de ce tournage avec les étudiants, car je n’étais pas libre pour l’accompagner sur le tournage d’une série.
Je ne lui avais présenté qu’un directeur de la photographie… Un seul… Quand Xavier m’avait demandé : « Pourquoi Matthieu ? », j’avais répondu : « Parce que c’est lui, parce que c’est moi », et j’avais même rajouté : « Parce que c’est toi ! ». Je savais que Xavier avait "le sens de la formule"…
Xavier t’a rencontré puis, logiquement, vous avez collaboré sur plusieurs films. Dernièrement, Xavier me parlait de son étonnement à te voir travailler en tongues. Mais tu étais comme ça… Des tongues, un side-car Moto Guzzi jaune et une forte propension à tirer des discussions vers le haut avec, toujours, toi aussi, un étonnant "sens de la formule" !

Echanger avec toi, c’était toujours "prendre de la hauteur". Et j’adorais ça ! C’était une des raisons pour laquelle j’aimais bien me mettre à côté de toi lors des conseils d’administration de l’AFC. Je savais qu’à un moment donné, tu allais faire un de tes apartés très loin des sujets alignés sur le tableau blanc du bureau. Et moi je les adorais, tes apartés ! Des parenthèses qui devenaient parfois plus importantes que le sujet du jour ! D’ailleurs, quand tu es devenu président de l’AFC – tu me corrigerais en disant coprésident – combien d’apartés as-tu glissés dans les éditos de la Lettre de l’AFC, en toute légitimité cette fois puisque nous t’avions élu en partie pour cela.

La semaine dernière, je t’ai appelé pour te prévenir qu’un téléfilm de Xavier Durringer dont tu avais fait la photographie venait d’être primé aux Emmy Awards à New York… J’étais si content ! Pour Xavier… Pour toi…
Nous nous sommes parlés et nous devions nous retrouver cette semaine, autour d’un verre, entre deux films…
En entraînant les directeurs de la photo de l’AFC à la marge de bien des sujets, tu nous obligeais à réfléchir sur l’essentiel… Comme cette fois où nous avions imaginé ensemble un numéro spécial de l’AFC pour s’interroger sur cette Convention collective dont tout le monde parlait dans notre profession… C’est ensemble que nous avons souhaité donner la parole à d’autres techniciens, du montage à la direction de production, du machiniste au chef opérateur du son, sans oublier la place du stagiaire…
Tu étais un mec bien Matthieu et j’ai eu beaucoup de chance de te rencontrer… Beaucoup, comme celles et ceux qui t’ont croisé un jour, à côté – ou pas – d’une caméra…

J’ai évidemment une énorme pensée pour celles et ceux que tu laisses derrière toi. Impossible ici de ne pas penser à tes enfants. Ceux pour qui tu avais choisis d’aménager ton side-car dont tu étais si fier. La moto oui ! Sans tes enfants, non !

Tes apartés, souvent politiques, vont manquer à celles et ceux qui t’entouraient, qui te côtoyaient… Ton humanisme, ta bienveillance, ton humour, ton regard, ton sourire…
Nous avons plus que jamais besoin d’apartés, Matthieu, et de chemins de traverse en prenant un side-car ou un petit voilier, pour découvrir, loin des côtes, d’autres paysages… Des rivages inconnus qu’ignoreront toujours celles et ceux qui ont la chance apparente de pouvoir suivre la route des cargos et des tankers… Une route sans imprévus, imposée par la compagnie des transports maritimes dont tu as toujours souhaité ne pas faire partie.

Salut Matthieu… Salut l’ami… Tu me manques…