L’éditorial d’octobre

Par Léo Hinstin, coprésident de l’AFC

par Léo Hinstin Contre-Champ AFC n°335

« Quelle est votre plus grande ambition dans la vie ?
Devenir immortel... et ensuite mourir. » *
Jean-Luc Godard (1930 - 2022)

Godard est mort. Voilà, à un moment on l’a lu, on nous l’a dit, la nouvelle est tombée, brutale. Inéluctable bien sûr mais on en reste pas moins un peu sonné. Alors voilà, le dernier monstre sacré de la Nouvelle Vague, l’immense cinéaste qui a révolutionné son art, le génie cryptique adulé ou méprisé, provocateur sans égal et celui qui aussi avait poussé le plus loin l’identification avec le cinéma lui-même, Godard ne refera plus de films.

Quand on pense au cinéma de Godard, on pense à ses plans incomparables de force et de justesse. Et immédiatement ils surgissent dans la mémoire, on se rappelle des cadres, du ton reconnaissable entre tous, du rythme de montage et le son y résonne en écho. Donc ça y est, il n’y aura pas de nouveau plan tourné par JLG, on pourra continuer à les analyser, à essayer de comprendre en quoi ils sont incomparables, ce qui les rend uniques mais leur nombre est fini, désormais on peut les compter.

"Bande à part" (1964)
"Bande à part" (1964)


Ce rapport intime que l’on entretient à son œuvre et à ses plans, fait que sa disparition est un peu comme celle d’un membre de la famille. Un proche qu’on ne voyait pas aussi souvent qu’on aurait voulu. On n’était pas toujours d’accord mais quand même on l’écoutait, détournant le regard avec une indulgence coupable quand les propos devenaient gênants. Et on s’aperçoit que sa disparition laisse un vide. Le cinéma de JLG représentait une forme d’ambition à atteindre, une dimension quasi ultime de l’art cinématographique, symbolique d’une envie assez juvénile de disruption artistique par la seule force du talent. D’autres s’en fichent toujours pas mal mais qu’ils le veuillent ou non, par capillarité l’influence du maître reste et restera totale.

"Histoire(s) du cinéma" (1988-1998)
"Histoire(s) du cinéma" (1988-1998)


Avec la mort de Godard, une époque se clôt définitivement, baisser de rideau d’un acte qui se joue depuis déjà longtemps, où les auteurs n’ont plus de couronnes et où leur parole compte moins depuis longtemps. Mais, chut, la pièce n’est pas finie, les comédiens et comédiennes se relèvent, un nouveau décor se met en place, les coulisses bruissent de chuchotements, le rideau se lève, les lumières s’allument : un nouvel acte commence. Le cinéma est mort, vive le cinéma !

"La Chinoise" (1967)
"La Chinoise" (1967)


* Réplique extraite d’A bout de souffle

En vignette de cet article, Anna Karina dans Vivre sa vie, de Jean-Luc Godard (1962)