festival de Cannes 2013
Le directeur de la photographie Larry Smith, BSC, parle de son travail sur "Only God Survives", de Nicolas Winding Refn
C’est votre troisième film avec Nicolas Winding Refn. Y a-t-il des passerelles ?
Larry Smith : Pas vraiment. C’était très différent pour moi de tourner cette fois-ci en Thaïlande et presque entièrement de nuit... Bangkok est de toute façon une ville qui prend son ampleur photographique la nuit. Et c’est sans parler de la logistique car tenter de tourner de jour dans autant d’endroits différents nous aurait pris sans doute deux fois plus de temps à cause du trafic infernal dans lequel la ville est engluée !
Comment s’est fabriqué ce film ?
LS : Étant donné la rapidité, et le rythme que voulait insuffler Nicolas sur le tournage, 95 % des plans ont été faits en lumière disponible. Je n’ai presque pas utilisé de projecteurs tels qu’on les utilise habituellement sur les plateaux. La panoplie de mes électros se résumait à quelques tubes fluorescents, des Dedolights et des LEDs en ruban qu’on disposait au fur et à mesure des répétitions, parfois planqués derrière des éléments décor pour construire littéralement la profondeur dans l’image. L’idée c’était de vraiment se caler sur la lumière existante des lieux, et juste l’augmenter ou la diminuer sans jamais qu’on ait l’impression de quelque chose d’artificiel.
Sur la séquence de la fusillade dans le restaurant en terrasse, par exemple, j’ai passé plus de temps à faire éteindre ou masquer, avec du Permacel, les vieux tubes qui éclairaient naturellement le lieu, qu’à rajouter des projecteurs. Et quand on a besoin de se caler sur de telles sources existantes pour ré-éclairer certaines parties du décor ou les comédiens, il faut jongler entre différentes sources en couleur pour retrouver l’homogénéité.
Certaines ambiances très colorées peuvent faire penser à un certain style de cinéma...
LS : La question des références par rapport aux autres films, ou au travail d’autres opérateurs, est un sujet récurrent pour tout cinéaste ! Néanmoins je dois vous avouer que je ne me pose jamais vraiment cette question en ces termes. Pour ce film, comme pour tous les autres que j’ai pu faire, ma démarche vient avant tout de la lecture du script et de la confrontation au décor. Le résultat à l’écran est toujours une combinaison des deux, peu importe que ça puisse ressembler à un film italien des années 1970. Cette démarche visuelle vient toujours du décor et de l’histoire – à moins peut-être de tourner dans le même lieu qu’un autre film, et qu’on cherche à éviter de faire la même chose !
Ces couleurs ont été celles qu’on a rencontrées dans les bars, les rues ou dans les bordels. Je me suis juste appliqué à pousser la couleur jusqu’à une certaine stylisation dans l’image. Je pense par exemple aux séquences bleues qui ont par la suite été sursaturées pour aller simplement au-delà de la réalité. C’est vrai qu’à la fin le rendu peut paraître assez théâtral. Mais tout était là à la base !
Comment travaille Nicolas Winding Refn ?
LS : Parfois sur story-board mais la plupart du temps, c’est juste des plans au sol, avec les angles. Sur Only God Forgives, il n’a pas jamais tourné à moins de deux caméras pour pouvoir couvrir le maximum de choses en un minimum de temps. Il ne s’implique pas énormément dans la lumière en tant que telle... dans le club de boxe, il m’a bien suggéré l’utilisation de tubes rouges, mais à part ça il s’adaptait à ce qu’on avait devant nous. Sa priorité était surtout de ramener les plans, un maximum de matériau, en à peine 42 jours de tournage.
Il y a dans la bande-annonce une courte scène très solaire avec l’arrivée de Kristin Scott Thomas dans le hall d’un hôtel...
LS : J’avais le sentiment qu’il fallait contraster avec toutes ces séquences de nuit sur cette scène, et la jouer en lumière solaire. Malheureusement, on ne pouvait pas tourner où on voulait, et l’endroit qui nous avait été attribué par la direction de l’hôtel ne recevait pas directement la lumière du soleil. C’est donc une des rares scènes qui a été éclairée de manière conventionnelle. J’ai disposé deux 18 kW HMI à l’extérieur pour créer cette entrée de lumière très forte, avec ses ombres portées.
Une scène plus difficile que les autres pour vous ?
LS : Dans le club de boxe, l’appartement de Ryan Gosling est éclairé en rouge, avec des ambiances très sombres. On a tourné beaucoup de scènes dans ce décor, et à part la difficulté technique, c’était juste à la longue extrêmement pesant pour toute l’équipe d’être plongée en permanence dans ces ténèbres écarlates !
Une autre séquence nocturne montre un Ryan Gosling en costume. L’image fait très " film noir en couleurs ".
LS : Sur cette séquence, je me suis contenté d’utiliser un simple Fresnel 1 kW, monté bien haut sur un pied, de façon à simuler une sorte de lumière de lampadaires. Un arbre voisin crée alors une ombre portée sur Ryan Gosling. Ça peut évoquer l’esthétique des films noirs où les opérateurs utilisaient beaucoup de drapeaux, ou de cocoloris pour projeter des ombres. Mais là encore, rien n’est vraiment prévu sur le papier, c’est juste la rencontre de la lumière naturelle et du décor.
Il faut remarquer aussi que la latitude offerte par les caméras actuelles (film ou numérique) est incomparable avec le contraste et le peu de sensibilité des pellicules noir et blanc de l’époque. Quand on remet les choses à leur place, on voit très bien la rapidité extrême avec laquelle on peut travailler maintenant en comparaison à la somme de travail que devait représenter tout ça à l’époque.
Quelle a été votre choix de caméra ?
LS : On a tourné principalement avec deux Arri Alexa, avec en plus une Red Epic qui nous servait à faire des plans de situation plus larges, comme des " top-shots ". Honnêtement je ne suis pas un grand fan du tournage en numérique mais quand on utilise bien ces caméras, ça peut être assez réussi. Ma méthode se résumait la plupart du temps à m’occuper des hautes lumières, veiller à ne jamais aller trop loin sur les surexpositions. La caméra se débrouillait très bien toute seule de son côté dans les ombres ! Il faut dire aussi que beaucoup de scènes sont tournées à 48 images par seconde pour offrir à Nicolas une latitude dans le ralenti au montage, ce qui aurait été vraiment compliqué en film, que ce soit en termes de l’attitude de pose ou juste de métrage.
Et quels objectifs ?
LS : Le numérique est un format qui ne pardonne rien. Tout y est ultra défini, la moindre ombre ressort beaucoup plus, on voit tous les détails de la peau, des costumes... C’est pour cette raison que j’essaie d’utiliser toujours les optiques les plus douces en contrebalancement. Là, j’ai choisi les Cooke S4 qui me semblent être un bon compromis. Je ne les ai jamais filtrés, que ce soit en diffusion ou en contraste.
Un mot sur l’étalonnage ?
LS : L’étalonnage numérique, à partir d’une prise de vues numérique, ressemble pour moi de plus en plus à l’étalonnage film quand on tournait en film. Je retrouve quasiment les couleurs et les sensations de la prise de vues sans avoir à rentrer dans une cuisine extrêmement compliquée de profils, de réglages ou d’émulation comme on en avait pris l’habitude lors des débuts de la cohabitation entre film et postproduction numérique. Je trouve ça plutôt bien et je ne cherche pas à partir dans des choses très compliquées à cette étape.
Sur le plateau, j’avais un DIT thaïlandais qui était très bien organisé et très rapide. Chaque jour, je passais quelques minutes avec lui pour étalonner rapidement les rushs de la veille. Ça nous permettait d’avoir une continuité constante pour le montage et surtout de rassurer toute l’équipe. Le fait de tourner à 48 images par seconde était pour moi un stress supplémentaire et même si on sait que le numérique regorge de détails dans les basses lumières, c’était quand même plus rassurant de pouvoir voir des images étalonnées au fur et à mesure qu’on avançait... Ces petites séances d’étalonnage sur place nous ont ensuite fait gagner énormément de temps sur la finalisation du film.
(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)