Membre du jury de la Caméra d’Or, voyage en terre de cinéma

Par Pascale Marin, AFC

Cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes 2025, Partir un jour, d’Amélie Bonin (image de David Cailley, AFC), marque le début de notre voyage comme jury de la Caméra d’or. Un voyage de 11 jours marqué par 28 premiers longs métrages de fiction.

28 films à voir en 11 jours, c’est beaucoup, cela nécessite une organisation hors pair assurée par Stéphane Letellier Rampon, responsable de la Caméra d’or, et Olivier Gautron responsable du jury, assisté de Jasmine de Montanier. Ils ont été des guides à la fois expérimentés et délicats et je les remercie de nous avoir fait profiter de leur précieux conseils pendant toute la durée du Festival. Ils nous ont accompagnés d’un côté à l’autre de la Croisette où nous avons vu entre deux et quatre films par jour au gré des sélections de la Semaine de la Critique, de la Quinzaine des Cinéastes et d’Un Certain Regard. Ces films nous ont fait traverser la France, le Chili, le Nigeria, le Royaume-Uni, les USA, la République tchèque, l’Egypte, Israël, la Pologne, le Japon, l’Irak, la Chine, la Thaïlande et les Pays-Bas. Comme lors de tout voyage, s’il y a des moments où l’on fatigue, il suffit d’une séquence magique pour retrouver une envie intacte. Les films que nous avons vus n’en manquaient pas.

Mosaïque des images presse des films en compétition pour la Caméra d'or
Mosaïque des images presse des films en compétition pour la Caméra d’or

Alice Rohrwacher présidait notre jury, également composé de Géraldine Nakache, Rachid Hami (pour la SRF), Frédéric Mercier (pour le syndicat de la critique SFCC), Tommaso Vergallo (pour la FICAM) et moi-même pour l’AFC. Je les remercie très chaleureusement pour ces journées intenses et joyeuses passées en leur compagnie.

Nous discutions à chaud après chaque projection et nous avons eu quatre moments de pré-délibération (tous les 7 films environ) afin de déterminer au fur et à mesure quels films nous gardions dans la course.

Nos échanges ont été passionnants, nous nous sommes posés des questions fondamentales qui n’appellent en aucun cas de réponse définitive. Faut-il favoriser le geste novateur ? L’aboutissement du récit ? L’émotion ressentie ? Et nous avons constaté que les six spectateurs que nous étions, n’avaient, film après film, pas toujours les mêmes réponses.

Dans ces films, il a beaucoup été question d’enfance, et de ce que les adultes font, ou ne font pas, pour les enfants, les leurs et ceux des autres.
Il a aussi été question de mémoire, de morts qui reviennent sous forme de fantômes pour se venger du tort qui leur a été fait ou au contraire pour apaiser la souffrance que leur disparition a provoquée.
Le rapport de force, entre le faible et le fort, l’individu et la société, a souvent été interrogé, et parfois mis à mal au profit de la résilience et de la force de l’amitié.
Une certitude émerge, les nouveaux cinéastes ne renoncent pas à se questionner sur le monde.

A titre personnel je retiendrai Nino",de Pauline Loquès (image de Lucie Baudinaud,AFC) qui m’a touchée au cœur, un film qui aborde le sujet de la maladie avec une délicatesse rare.
(Entretien avec Lucie Baudinaud)

Théodore Pellerin dans "Nino" - © Blue Monday Productions
Théodore Pellerin dans "Nino"
© Blue Monday Productions

Je retiendrai aussi Lucky Lu, de Lloyd Lee Choi (image de Norm Li, CSC), syncrétisme très maîtrisé des cinémas taïwanais et new-yorkais des années 1990-2000 et du Voleur de bicyclette, de Vittorio De Sica, proche parent de L’Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine, mais filmé à Chinatown.
(Entretien avec Norm Li-<art18182])

Carabelle Manna Wei et Chang Chen dans "Lucky Lu" - © LLC
Carabelle Manna Wei et Chang Chen dans "Lucky Lu"
© LLC

Les incursions dans un futur lointain et un futur proche dans Arco, d’Ugo Bienvenu, les distorsions de couleurs et les oiseaux qui s’enfuient dans la nuit dans Ciudad sin Sueño, de Guillermo Galoé (image de Rui Poças, AIP, ABC), la migration macroscopique et interplanétaire des akènes de pissenlit dans Planètes, de Momoko Seto (image d’Elie Levé), la sensibilité tellurique d’une petite fille dans Amélie et la métaphysique des tubes, de Maïlys Vallade et Liane-Cho Han.

Et bien sûr, les deux films que notre jury a primés…

Voici le discours qu’Alice Rohrwacher, présidente du jury de la Caméra d’or, a prononcé lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes 2025 :

« Nous avons vu 28 premiers films, 28 portes d’entrée vers le cinéma, 28 regards sur l’avenir. A tous ces nouveaux cinéastes, nous souhaitons dire merci, et merci au Festival de Cannes et à toutes les sélections pour ce voyage aventureux.

Le jury a décidé de décerner une mention spéciale à un film qui a travaillé en nous mystérieusement, presque en secret, comme un fantôme qui nous prend la main et nous montre les traces et les blessures de son histoire. La mention spéciale est attribuée à My Father’s Shadow, d’Akinola Davies Jr.

Le jury décerne la Caméra d’or à un film d’un réalisateur qui a eu l’opportunité d’étudier aux États-Unis puis de revenir dans son pays pour nous offrir un diamant. Il nous a transmis un film lumineux, qui s’appuie sur des images amples, une fable qui traverse l’une des pages les plus douloureuses de l’histoire contemporaine.
Qu’y a-t-il de plus réel, de plus fragile et de plus fertile qu’un œuf dans un monde en feu ?
Qu’y a-t-il de plus réel, fort et imprévisible qu’un enfant dans un monde en guerre ?
La petite Lamia est tenace, elle peut tout gérer, sauf les bombes qui tombent du ciel.
En espérant un monde où les gâteaux sont pour les enfants mais pas pour les présidents, The President’s Cake, de Hasan Hadi. »

Hasan Hadi, Alice Rohrwacher et Akinola Davies Jr - © Le Segretain / Getty Images
Hasan Hadi, Alice Rohrwacher et Akinola Davies Jr
© Le Segretain / Getty Images

Un film iraquien, un film nigérian et une Palme d’or attribuée à un réalisateur iranien que le régime des mollahs tente de bâillonner depuis des années sans y parvenir. Dans les médias, on qualifie déjà ce palmarès de "politique". Cependant, notre jury et celui de la compétition officielle ne se sont jamais consultés et n’avaient à juger aucun film en commun cette année. Et s’il est vrai que nous sommes fiers de mettre en avant The President’s Cake et My Father’s Shadow qui viennent tous les deux de pays dont les films nous parviennent très rarement, nous avons eu, avant toute autre considération, des coups de cœur de cinéma.

My Father’s Shadow, d’Akinola Davies Jr. (image de Jermaine Edwards), dans un très beau Super 16, ce récit semi-autobiographique se déroulant sur une journée met en scène un père et ses deux enfants dans la capitale nigériane, Lagos, agitée par une crise politique de grande ampleur en 1993.

Sope Dirisu, Chibuike Marvellous Egbo et Godwin Egbo dans "My Father's Shadow" - Photogrammes
Sope Dirisu, Chibuike Marvellous Egbo et Godwin Egbo dans "My Father’s Shadow"
Photogrammes

The President’s Cake de Hasan Hadi (image de Tudor Vladimir Panduru, RSC), dans l’Irak de Saddam Hussein, Lamia, 9 ans, se voit confier la lourde tâche de confectionner un gâteau pour célébrer l’anniversaire du président. Sa quête d’ingrédients prend la forme d’une fable qui va du plus petit au plus grand et du léger au grave.
En plus d’avoir su combler tous les membres du jury de la Caméra d’or, ce film a aussi remporté le Prix du Public de la Quinzaine des Cinéastes, j’espère que c’est le signe d’un futur succès tant critique que populaire.

Waheed Thabet Khreibat et Baneen Ahmed Nayyef dans "The President's Cake" - © Tandem
Waheed Thabet Khreibat et Baneen Ahmed Nayyef dans "The President’s Cake"
© Tandem

Je suis extrêmement reconnaissante à l’AFC de m’avoir permis de participer à ce jury. C’est bizarre de penser que le meilleur Festival de Cannes de ma vie est peut-être passé.