Plongée au fort d’Ivry, là où le nitrate ne tourne plus au vinaigre

La Lettre AFC n°278

Pour bon nombre de jeunes apprentis cinéastes, le fort d’Ivry fut l’un des lieux où ils firent leurs premières armes – deux d’entre eux n’y ont-ils pas ébauché l’appareil novateur qu’ils allaient bientôt mettre au point, la Louma ? A l’occasion du 14 juillet 2017, Le Parisien Magazine daté du 13 a fait une plongée au cœur de ce temple où des gardiens du ministère de la Défense conservent des millions de films et de photos, témoignant ainsi de l’histoire militaire française.

Perchée sur son escabeau, Sylvia* inspecte sous la lumière tamisée l’état de conservation d’une bobine de film. Tout autour d’elle, des centaines d’autres rouleaux s’entassent sur des étagères qui grimpent jusqu’au plafond voûté de la salle. « Ce sont tous les films que l’on n’a pas eu le temps de visionner », confesse la restauratrice. Des salles comme celles-ci, il en existe une dizaine d’autres, en enfilade.
Des milliers de documents y attendent d’être examinés, restaurés, numérisés puis archivés. Depuis 1915, l’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (Ecpad) conserve une collection exceptionnelle de photos et de films. Installé dans le fort d’Ivry-sur-Seine (Val-de- Marne) depuis 1946, il compte aujourd’hui 12 millions d’images et 30 000 fichiers audiovisuels.

Archives officielles et dons de particuliers
« Nos documents se rapportent à la première et à la deuxième guerre mondiale, aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Ils concernent également toutes les interventions militaires extérieures menées par la France depuis 1962 et les activités du ministère de la Défense », détaille Xavier Sené, chef du pôle de conservation et de valorisation des archives. L’établissement garde aussi des documents bien plus insolites.
« Nous avons une grande quantité de courts métrages réalisés dans les années 1960 et 1970 pour les appelés du service militaire. Ce sont des pastiches de dessins animés de Tex Avery, de Star Wars ou de James Bond », explique-t-il en riant. A l’époque, l’Ecpad était surnommé « Hollywood-sur-Seine ». Le centre possède en outre de très nombreux documents sur la vie quotidienne des soldats et des civils en temps de guerre. Beaucoup proviennent de dons de particuliers.

Dans une petite salle sans fenêtre, Yann*, technicien de restauration et de numérisation, répare justement une photo sur plaque de verre qu’il a reçue d’un donateur privé. Celle-ci est brisée en deux. « Malgré les apparences, ça se répare ! » Vêtu d’une longue blouse blanche et paré de gants en coton, le chirurgien de l’image commence la délicate opération. « Je vais coincer les morceaux de la photo entre deux vitres de verre. On appelle ça la technique du sandwich », assure-t-il. Moyennant quelques minutes de concentration et quelques centimètres de scotch, la photo est figée. La cassure est toujours visible, mais c’est normal.
« On ne refait pas l’histoire d’une image. On la garde telle quelle, avec ses défauts. On ne corrige pas, on ne réinvente pas », insiste Yann. De plus, il est important qu’une réparation ne soit jamais définitive, afin de pouvoir revenir, au besoin, à l’état d’origine de dégradation. « Comme ça, si quelqu’un trouve un jour une nouvelle technique de restauration plus efficace, on pourra l’appliquer », explique celui qui se définit comme un autodidacte. [...]

Jean Gabin, à gauche, participe en 1945 à un dîner en tenue de second maître des Forces navales françaises libres - Engagé en avril 1943, la star du cinéma français, âgée de 41 ans en 1945, a déjà tourné dans une trentaine de films – Ecpad/Défense
Jean Gabin, à gauche, participe en 1945 à un dîner en tenue de second maître des Forces navales françaises libres
Engagé en avril 1943, la star du cinéma français, âgée de 41 ans en 1945, a déjà tourné dans une trentaine de films – Ecpad/Défense

* Pour des raisons de sécurité, certains témoins ont souhaité ne pas donner leur nom de famille.

(Marie de Fournas, Le Parisien Magazine, jeudi 13 juillet 2017)