Retour sur la cérémonie d’ouverture du 30e Camerimage, suivie de la projection de "Empire of Light", photographié par Roger Deakins, et d’une rencontre avec Sam Mendes

"Where Light in Darkness Lies", par Margot Cavret pour l’AFC

2022 est une année particulière pour Camerimage, car marquée par la tenue de la 30e édition du festival. C’est l’occasion pour son fondateur et directeur, Marek Żydowicz, et pour ses invités, de se remémorer la naissance du festival. Il raconte que son idée initiale de fonder un festival de cinéma est née d’une analyse particulièrement passionnée menée avec ses étudiants de l’époque du film Au nom de la rose de Jean-Jacques Annaud. Lucasz Bielan quant à lui, qui reçoit ce soir la gratification "d’ami du festival", détaille avec beaucoup d’humour l’invitation de Sven Nykvist à la toute première édition de Camerimage.

Mais ces souvenirs du passé n’empêchent pas une attention particulière à une actualité douloureuse. Le directeur du festival ne manque pas de rappeler la proximité, historique et géographique, entre la Pologne et l’Ukraine. « Il est important de se rappeler que lorsque le ciel était rouge au-dessus de la Pologne, nous n’aurions jamais pu organiser un tel événement. Et l’héritage de cette période, les descendants de ceux qui étaient au pouvoir à ce moment-là, il faut continuer de les combattre. » Engagé, Camerimage héberge cette année le festival ukrainien OKO, spécialisé dans le cinéma ethnographique. L’ambiance devient grave lorsque la directrice de ce festival prend le micro. Très émue, elle raconte ce qu’est devenu le quotidien dans son pays, depuis le 24 février : « Nous avons perdu nos métiers, nos maisons, nos affaires, nos rêves, et pire que tout nous perdons les gens que nous aimons. Des millions d’Ukrainiens sont devenus des réfugiés, des milliers sont morts. Tous les projets culturels ont cessé, d’une part parce qu’il n’y a plus de moyens financiers, et d’autre part parce qu’un grand nombre de techniciens, de réalisateurs et de comédiens ont rejoint l’armée. Tous les jours, de grands talents meurent à la guerre ». Debout, l’audience a observé un moment de silence avec elle, en mémoire de ces artistes et de toutes les autres victimes du conflit. Le thème du festival "Celebrate life", qui a été choisi avant le début de la guerre, est devenu pour OKO une véritable revendication. Son deuxième slogan, "Your culture is your weapon" est encore plus significatif, et invite à l’ouverture d’esprit et à la découverte d’autres cultures afin de véhiculer un message de paix, de tolérance et de partage.

Elena Rubashevska et Tetiana Stanieva, du festival OKO - Photo Pascale Marin
Elena Rubashevska et Tetiana Stanieva, du festival OKO
Photo Pascale Marin

Cette ouverture vers l’international et la découverte de cinéma du monde entier est depuis toujours une volonté forte de Camerimage, qui n’oublie pas pour autant son ancrage territorial. Au micro, plusieurs représentants et élus locaux se succèdent. Le marshall de la région Kujawsko-Pomorskie d’abord, qui présente un nouveau prix du festival, attribué à un réalisateur polonais pour l’ensemble de son œuvre. Le premier récipiendaire de cette récompense sera Jerzy Skolimowski a qui elle sera remise mardi après la projection de son dernier film, EO, qui a remporté le prix du jury au Festival de Cannes, et qui représentera la Pologne pour la prochaine édition des Oscars. Vient ensuite le maire de la ville de Toruń, qui remet au festival la médaille du président de la ville, et évoque la relation particulière entre la ville et le festival. Ayant vécu ses 15 premières années à Toruń, le festival a été délocalisé, à Łódź d’abord, puis à Bydgoszcz, avant de retourner à Toruń, où il tend à rester puisqu’il est engagé dans la construction du futur European Film Center Camerimage, un site unique dédié à la projection, mais aussi au tournages, à l’enseignement ou encore à l’exposition de projets relatifs au cinéma et à son histoire.

Urlike Ottinger, recevant son Prix - Photo Pascale Marin
Urlike Ottinger, recevant son Prix
Photo Pascale Marin

Parmi les prix remis lors de cette cérémonie d’ouverture, on retrouve le "Award for outstanding achievements in documentary filmmaking", remis au documentariste Alex Gibney, qui se présente comme travaillant à dénoncer les abus de pouvoir de toutes sortes, mais surtout à mettre en valeur les héros qui s’opposent à ces abus. « Les chefs opérateurs et les réalisateurs font de leur mieux pour éclairer le monde », déclare-t-il. Le "Special award for avant-guarde achievement in film" est quant à lui remis à Ulrike Ottinger, dont le travail cherche depuis près de cinquante ans à questionner la place de la femme dans la société. Mais la star la plus attendue de la soirée est indéniablement Sam Mendes, qui obtient le "Krysztof Kieslowski Award", plus souvent remis à un comédien. Recevant cette distinction, le réalisateur raconte son premier tournage, et comment son chef opérateur d’alors, Conrad Hall, l’avait aidé et encouragé. « Le chef opérateur a toujours été mon guide », ajoute-t-il. Il présente ce soir son dernier film, cinquième collaboration avec Roger Deakins, Empire of Light. Le film est d’ailleurs précédé d’un bref message vidéo du chef opérateur, s’excusant pour son absence, et promettant son retour à la prochaine édition. Malheureusement il ne développe pas, et n’aborde pas son travail sur le tournage du film. C’est donc Sam Mendes lui-même qui raconte la construction visuelle du film, et sa collaboration avec Roger Deakins. « Toutes nos collaborations ont toujours été très différentes », commence-t-il, « nous avons d’abord fait un film de guerre, à l’épaule, puis un film dans le désert ou presque tout était improvisé ; ensuite nous sommes passés au numérique avec les deux James Bond, pour lesquels il a fallu revenir à un style beaucoup plus classique hollywoodien, avec beaucoup de préparation, puis 1917, qui était un film à part car tourné en un seul plan-séquence, et qui ressemblait parfois beaucoup au théâtre, où on ne peut pas couper, ou refaire juste la partie qui n’a pas fonctionné. Mais à chaque fois je suis heureux de travailler avec le génie qu’est Roger Deakins. Empire of Light est un film très personnel, basé sur mes souvenirs de ma mère, qui m’a élevé seule et qui souffrait de troubles mentaux. C’est un film qui parle de cette femme, et à travers elle des troubles mentaux qui sont partout et qui sont un véritable tabou aujourd’hui dans notre société, mais qui parle aussi du racisme, de toutes les défaillances politiques de l’époque et qui trouvent un écho dans l’actualité. Même si c’est un film qui parle de l’époque de mon enfance, je pensais que c’était le moment de raconter cette histoire. »
Sur sa collaboration avec Roger Deakins sur ce film il raconte : « Roger a grandi, comme moi, sur la côte anglaise. Donc nous avions tous les deux la même vision de ce décor, où nous avons grandi, puis que nous avons quitté, et sur lequel nous revenions. Pour ces paysages nous étions inspirés par les tableaux de William Turner et l’œuvre de T. S. Elliott, qui décrit ces vastes et nobles paysages, et dépeignent ces ciels nordiques uniques et magnifiques. Donc nous les avons filmés avec de nombreux plans larges, posés, fixes et légèrement désaturés. Ça s’opposait aux décors intérieurs, et particulièrement à l’intérieur du cinéma, qui est présenté comme un refuge pour les personnages, une échappatoire au monde réel. Pour ces intérieurs, nous voulions proposer quelque chose de particulièrement coloré, des couleurs chaudes dans le hall principal et dans la salle, et des couleurs vertes et bleues dans la partie abandonnée. »
Il conclut : « C’est surtout un film qui raconte que lorsqu’on est cassé, la musique, le cinéma ou la poésie peut nous aider à nous reconstruire. On peut s’asseoir dans une salle sombre à côté de gens qu’on ne connaît pas, pour découvrir un film ensemble, et sentir qu’on appartient à une communauté. Sur le mur du cinéma il y a écrit : "Where light in darkness lies", et je crois que c’est une bonne définition de l’art cinématographique ».

Sam Mendes recevant son prix - Photo Pascale Marin
Sam Mendes recevant son prix
Photo Pascale Marin