"Violet", de Bas Devos, mon coup de cœur à Camerimage

Par Gaultier Durhin, ENS Louis-Lumière, Ciné 2014

La Lettre AFC n°249

Il résonnait comme une course au grand format dans cette 22e édition du Festival Camerimage. Les stands Arri et Panavision se faisaient face à l’étage des constructeurs et tous deux affichaient leur détermination pour dépasser la taille du capteur Super 35 et ainsi défendre une utilisation du 65 mm en numérique.

Chez le constructeur allemand, on sortait l’Alexa 65, caméra dotée d’un capteur de taille 65 mm-5perfs (54,12 mm x 25,58 mm) dont la résolution d’enregistrement atteint les 6,5K en RAW. Et pour la première fois, la possibilité de voir des images issues d’un capteur Arri Alexa en projection 4K. La caméra est présentée avec des optiques Hasselblad recarrossées par Arri. L’Alexa 65 devrait partir faire ses premiers pas en tournage début 2015.
De l’autre côté de l’Atlantique, on présente une nouvelle série d’optiques destinées au format 65 mm numérique mais la caméra qui accompagnait le projet " Eclipse " (présenté au Micro Salon de l’AFC en 2013) ne voit toujours pas le jour. Néanmoins, selon Panavision, ces optiques tournent déjà sur plusieurs productions (potentiellement en Red Dragon ou Phantom 65) et la caméra devrait arriver très prochainement...

Mais la vraie curiosité 65 mm se cachait dans le film de Bas Devos intitulé Violet. Un OVNI flamand d’une heure et demie où le spectateur se confronte au tragique trauma d’un adolescent perturbé par la mort de son ami. Dès les premières minutes, le film impose un rythme très lent. Des plans séquences, posés, intelligemment cadrés ; ce sont des tableaux. Dans ce beau ratio 1,33:1, maîtrisé à chaque plan, la salle s’immerge à travers les images.
Difficile de décrocher le regard de l’écran tant les lignes de fuite sont méticuleusement agencées. Entre mouvements lents (qu’il s’agisse des zooms ou des travellings en BMX) et longs plans fixes (on retiendra cette formidable voltige de BMX dans la forêt qui surgit de part et d’autre du hors champs tel un vol de guêpes accompagné du son agressif de la mécanique du vélo), Bas Devos trouve un rythme saccadé qu’est celui de l’état d’esprit de Jesse, entre la violence et la recherche d’un nouveau départ.

De manière générale, la caméra est proche des comédiens et la profondeur de champ est si faible que cela en devient parfois perturbant (les optiques utilisées étaient un SLR Cine Magik Hyperprime 50 mm f/0,95 – un Voigtländer Nokton 35 mm f/1,2 ASPH II – les Leica Summilux-M 75 mm et 24 mm f/1,4 – le Summicron-C 40 mm f/2 ). Mais cette faible profondeur de champ met en avant les matières comme les peaux, les cheveux, et détache les visages d’un fond qui cumule des dégradés de couleurs abstraits.
Et plus la projection avance, plus il est difficile de déterminer l’origine de ces images. Entre argentique et numérique, difficile de saisir de quels supports ces images sont issues. Il y a pourtant un mélange des formats certain. Le réalisateur et son chef opérateur, Nicolas Karakatsanis (Bullhead, en 2011, et Quand vient la nuit, en 2014), ont choisi de mêler une image ArriRaw, très douce, à des plans tournés en 65 mm à l’aide d’une Fries Todd-AO modifiée en 8-perfs, que ce dernier avait acquise sur eBay. Et les images se marient vraiment bien.

Le film comporte douze minutes d’images issues du négatif 65 mm (Kodak 5201 et 5219) dont le magnifique plan séquence final de six minutes. On apprécie la rondeur et la douceur de l’argentique, d’un détail très fin qui se marie parfaitement aux images de l’Alexa.
A noter par ailleurs que ces images 65 mm/8 perfs ont pu voir le jour grâce à l’équipe d’Arane pour scanner le négatif qui était le seul laboratoire d’Europe à pouvoir le faire. La disparition du laboratoire marque une nouvelle fois la réduction de la production de film 65 mm déjà bien faible et risque de mettre un terme à toute expérience cinématographique argentique de ce genre.

De plus, on regrettera peut-être la projection 2K qui ne fait pas honneur au film. Un retour 35 mm aurait rendu aux images la qualité de leur définition (surtout pour les plans tournés en 65 mm) et aurait sans doute adouci les contours des visages parfois trop tranchants en projection numérique.
Malheureusement, aucune sortie de Violet n’est pour le moment annoncée en France, et c’est bien dommage car ce formidable long métrage est l’aboutissement d’un travail de recherches techniques, d’expérimentations, d’essais sur les textures, sur le temps…, qu’ont su accomplir des passionnés de cinéma à toutes les étapes de production.

(Avec l’aide de Philippe Ros, AFC, et Didier Frateur)
Dans le portfolio ci-dessous, deux images de
Violet.