3cP Journal part 2

par Denis Lenoir

par Denis Lenoir La Lettre AFC n°143

Jeudi 24 mars
Déjà cinq jours de tournage et ce n’est que ce soir que Yuri installe le 3cP et la clef pour l’ouvrir sur mon ordinateur. Cela ne devrait cependant pas remettre en question le test lui-même puisqu’à partir de lundi soir - nous arrêtons quatre jours - je serai à même de travailler (tout seul, chez moi !) les images prises dans la journée et de les envoyer au coloriste. Comme à l’automne dernier pendant le tournage du film d’Anne Fontaine il y aura un véritable enjeu, les rushes.

Yuri me fait une sorte de brève démonstration pratique que je reproduis immédiatement en envoyant une charte de gris au télécinéma afin de tester la communication entre moi et eux. L’élégance de l’interface et la richesse du 3cP sont proprement stupéfiantes. Si l’on ne veut pas (ou ne peut pas !) pas se lancer dans toutes les possibilités de mesures et de contre-mesures offertes par certains des outils présents, alors c’est un logiciel d’une simplicité enfantine qui permet - semble-il, mais vérification la semaine prochaine - d’importer, colorer et exporter des images de référence en un temps record. Je suis très excité.

Dimanche 27 mars
De retour de week-end, je trouve un e-mail de Regan, le coloriste d’Encore, il a bien reçu la charte que je lui ai envoyée jeudi soir mais ne peut ouvrir de format jpeg, celui que j’avais choisi comme étant le plus universellement accessible, un peu inquiétant pour une société de postproduction, mais qu’est-ce que j’y connais. Il me réclame du tif ou du targa, j’essaye de lui envoyer du pdf, sans succès d’ailleurs, mon logiciel semble avoir un bug et ne pas générer de " report " (nom donné à l’image sauvegardée et éventuellement envoyée, elle comporte l’image retravaillée, l’image originale et aussi les courbes et le vecteurscope correspondant à l’image travaillée).

Lundi 28 mars, jour 6
Toujours à me bagarrer avec les formats, je n’ai passé que peu de temps à vraiment colorer (colorier ?). Mais le peu que j’ai fait, un visage sous un parapluie rose, un autre sous un parapluie bleu - les collègues apprécieront - a pu l’être très rapidement et très simplement. En revanche comme je ne suis pas sûr de la transmission des images, il m’a fallu aussi écrire tout un mode d’emploi pour arriver au même résultat : « Corriger partie du magenta, corriger partie du bleu, désaturer l’ensemble, faire les peaux claires (moins de couleur), etc. » J’ai oublié de regarder s’il y avait un moyen simple d’appliquer la même correction à plusieurs images.

Mercredi 30 mars, jour 7
Quinze heures de tournage dans une discothèque, deux cent cinquante figurants, trois caméras, une grue : toutes les photos numériques que j’ai faites ne m’ont servi qu’à déterminer l’exposition et je les effaçais peu après.
Pas le temps ni le désir de prendre des photos en vue de ce test, car aucune envie de les travailler en rentrant à la maison, pas même le courage d’écrire un court mail, certain que le coloriste fera sûrement très bien.
Je l’ai cependant appelé ce matin au réveil et, la bonne nouvelle, c’est qu’il a pu ouvrir sans problème les images jpeg envoyées précédemment. Le premier envoi avait donc bien été corrompu, sans doute par " Mail ", le logiciel Apple que j’utilise. La seconde fois, lundi soir donc et suivant ainsi la recommandation du " postproduction supervisor ", j’ai utilisé Safari et le web-mail. Par ailleurs Regan, le coloriste, a été assez décontenancé par le fait que le plan à deux n’avait pas la même correction, et en particulier pas la même désaturation, que le gros plan. J’avais été très vite, plus préoccupé de transmission que de colorisation. Faire plus attention à l’avenir.

Nous avons eu sur le plateau la visite de Norlynne Coar, la représentante Kodak, qui m’a donné un CDrom du Look Manager System. Je m’attendais à une version démo où seules les quelques images fournies pourraient être manipulées et je découvre à l’instant que c’est la version complète mais sans le code permettant de l’ouvrir, code qu’il faut acheter ! Comme recevoir une voiture sans la clef pour en ouvrir la portière.

Jeudi 31 mars, jour 8
J’ai bien pris quelques photos, mais n’ai pas eu le courage de les travailler à six heures du matin en rentrant de ma nuit de tournage et, au réveil, il était déjà trop tard pour qu’elles soient de la moindre utilité. Regan avait déjà fini le transfert de ce que nous avions filmé avant une heure du matin, moment où un premier lot de film exposé est parti au laboratoire.

Message de Norlynne Coar : je peux trouver gratuitement sur Internet la clef qui me permettra d’ouvrir le logiciel et je n’aurai accès, comme je m’en doutais, qu’à la version extralite, celle où je ne pourrai pas charger mes propres images. Il semble que ma croisade pour que le Look Manager System soit accessible à tous les chef opérateurs ne porte encore aucun fruit puisque cette version extralite - celle que l’on pourrait imaginer disponible sans aucune limite de temps, puisqu’inutilisable pour étalonner nos propres images elle ne pourrait servir qu’à faire (en préparation d’un tournage et en vue de tests de filmés ultérieurs par exemple) un premier choix de pellicules - ne fonctionnera en fait que pendant trente jours, pas un de plus.

Lundi 4 avril, jour 11
Encore une longue journée, pas mal de lumière à effet avec des contrastes accentués et les images travaillées ce soir - un peu une corvée tout de même il faut l’avouer - devraient servir à quelque chose. Mais aussi de nombreux plans qui me laissent l’impression d’avoir à peine sauvé les meubles et pour lesquels toutes les images de référence du monde ne sont d’aucune utilité, d’autant que le coloriste (ou dans d’autres circonstances l’étalonneur) sait mieux que moi comment récupérer ce qui est récupérable.
Je pense avec de plus en plus de certitude que de tels logiciels sont surtout utiles quand on veut être radical : un moyen parmi d’autres d’encourager le coloriste à aller trop loin. La plupart du temps, c’est-à-dire quand les plans sont plus banals, et à moins de posséder une dextérité que je n’ai pas (encore ?) les différences dues aux moniteurs eux-mêmes et aux lumières ambiantes dans lesquelles ils sont regardés sont telles qu’il vaut probablement mieux laisser le coloriste faire son métier. À moins d’y passer soi-même beaucoup de temps, ce qui, après une journée " américaine ", demande une abnégation que je n’ai pas (sur un pilote en tout cas).

Mardi 5 avril, jour 12
Ma remarque d’hier s’est vite trouvé confirmée : quatorze heures en studio pour un décor de tribunal où je fais le choix de n’éclairer pratiquement que par les fenêtres qui en longent un des côtés, désir d’un contraste important. Les photos numériques m’ont permis pendant le tournage de très bien me rendre compte de l’effet obtenu et ce soir, je les ai retravaillées avec plaisir (et avec l’énergie nécessaire en dépit des longues heures de travail) car je ne veux surtout pas que le coloriste croyant bien faire essaye de donner du détail aux ombres.
Régal de manipulation grâce à l’interface, je me sers successivement pour la même image et en fonction de ce que je veux obtenir de l’outil " courbes " modifiant celles-ci façon Photoshop et d’un équivalent Hazeltine cliquant sur des flèches + ou - pour jouer sur la densité de toute l’image ainsi que sur ses trois paires de couleur (cyan/rouge, magenta/vert, jaune /bleu). J’apprécie beaucoup aussi, une fois mon choix arrêté, la façon dont le " report " se présente, tel que mon destinataire le recevra, pour une dernière approbation.

Nouvelle visite de Norlynne Coar : des t-shirts pour l’équipe et une petite victoire pour moi : non seulement elle m’apporte la possibilité d’accéder au Look Manager System version Cinematographer pendant deux mois - ce ne serait qu’une victoire personnelle -, mais elle m’annonce qu’à la suite de mes plaintes (transmises par ses soins) les " marqueteurs " ont décidé d’offrir une possibilité d’essai digne de ce nom aux chefs opérateurs : trente jours de la version " cinematographer ". Je la remercie chaleureusement et sincèrement et poussant mon avantage lui suggère d’offrir à tous (je pense particulièrement aux étudiants et aux opérateurs moins expérimentés) la version extralite sans limites de durée aucune. A suivre, j’espère.

Mercredi 6 avril, jour 13 (et dernier)
Journée rasoir au possible, pas de photos et pas de travail non plus par conséquent avec le 3cP. Mais comme c’est le dernier jour de ce bref test, il est temps de tirer quelques conclusions. Le 3cP est un logiciel d’étalonnage et de transmissions d’images de référence tout à fait épatant. Rapidité, simplicité, commodité, élégance, exactitude, tout est là. S’il était à vendre à un prix raisonnable, je l’achèterais. Mais il va falloir attendre, d’abord que le logiciel mûrisse un peu, de l’aveu même de Yuri le produit a encore quelques bugs, et ensuite que sa commercialisation soit plus clairement définie (je veux dire moins élitiste !).

Lors d’un prochain tournage, en juin, j’essaierai le Speedgrade et puis je tâcherai de comparer les trois produits. En attendant j’encourage Yuri à venir faire un tour à Paris afin de présenter son produit à l’AFC ainsi qu’aux laboratoires et sociétés de postproduction nos associés.