Alain Choquart, AFC, témoigne

par Alain Choquart La Lettre AFC n°125

Philippe Renaut, assistant opérateur, vient de nous quitter alors qu’il se trouvait en tournage à l’île de La Réunion.
Ce décès si brutal a suscité parmi ceux qui l’ont côtoyé une émotion à la hauteur des grandes qualités humaines et professionnelles de Philippe.

J’ai connu Philippe alors qu’il était déjà un assistant très expérimenté, très à l’aise et d’une grande discrétion sur un plateau. Perle trop rare... Très vite, d’assistant, Philippe s’imposa à mes côtés comme un vrai compagnon de route que j’avais plaisir à retrouver avant chaque projet de film, tôt le matin au comptoir d’un café parisien, après avoir déposé ses enfants à l’école, ses doigts roulant une nouvelle cigarette en écoutant avec gourmandise les détails de ce prochain tournage.

Sa formation artistique lui avait aussi appris le respect de l’outil et les pires difficultés n’ont jamais fait souffrir le matériel dont il avait la responsabilité. Nous nous sommes ainsi retrouvés, avec une équipe principalement sénégalaise, au-delà du Niokolo Koba, en pleine saison des pluies, entre nuages de poussières et orages diluviens, pour le film de Moussa Touré TGV, tourné en grande partie dans un bus sillonnant des pistes pour le moins chaotiques. La pression de ce type de tournage semblait à peine l’effleurer et jamais une seule fois il ne me céda la caméra avant qu’elle ne fût totalement prête et totalement protégée. Il avait bien compris qu’une fois entre mes mains, je ne la lui rendrais pas de sitôt !
Le film de Bertrand Tavernier Ça commence aujourd’hui le plaçait devant une toute autre difficulté : de nombreuses séquences seraient tournées dans une salle de classe maternelle au milieu des enfants, la caméra sur un bras mobile fixé au travelling sans cesse en mouvement. Pas question d’envisager la moindre répétition, il faudrait faire le point " au jugé ", en tendant l’oreille pour anticiper les changements de point que je lui chuchoterai tout en improvisant le plan qui ne devait en rien donner une impression de " reportage ". Par ailleurs, nous aurions un Steadicam pour toute la durée du film. La hantise de beaucoup d’assistants ! Il lui faudrait en maîtriser les connexions et surtout l’équilibrage dont je lui laisserai la charge afin de me laisser plus de temps pour préparer la lumière. Philippe, tant par sa gentillesse que par son professionnalisme, s’intégra rapidement à une équipe déjà très soudée. Et briser la carapace du brillantissime ingénieur du son Michel Desrois fut pour d’autres une épreuve du feu !

Dès lors, je prévenais Philippe très tôt des différents projets de films qui m’étaient proposés, afin d’être certain de sa disponibilité. Philippe a aussi été assistant de Gilles Arnaud, Pierre Boffety, Bruno Privat, Pierre Berthier, Pierre Aïm...

  • J’ai eu ainsi le plaisir de sa présence à mes côtés sur de nombreux tournages successifs. Les souvenirs s’égrènent, d’autres remonteront à la surface de la mémoire plus tard...

Ainsi le grand respect qu’il ressentait pour le passé littéraire et cinématographique de José Giovanni, lors du tournage de Mon Père, au cœur de la Dombes. Nous y avons fêté l’anniversaire du chef machiniste Albert Bonomi, attablés devant des plâtrées de cuisses de grenouilles fraîches. Philippe ne boudait pas sa part...

J’ai revisionné ces jours-ci quelques images du tournage de Laissez-passer de Bertrand Tavernier. Le premier plan qui montre Jacques Gamblin dans le film est une course sous les bombardements ; des vitres explosent, une façade s’effondre, Jacques bondit, s’abrite, rejaillit... Comme moi, Philippe, " au point ", n’avait droit qu’à une seule prise. Et dans ces images que j’ai revues, lui qui s’avouait si peu sportif se lance dans une course au travers de la figuration et des explosions, virevoltant avec sa télécommande de point, le regard rivé sur Jacques Gamblin ; jamais je ne l’avais imaginé dans mon dos dans une telle chorégraphie, si félin particulièrement lorsqu’il effectue une pirouette aérienne à 360 degrés afin de ne perdre ni le plan ni l’équilibre ! Sa seule prise fut bonne. Très bonne, même.
Philippe n’a jamais raté une projection de " rushes ". Regarder le nourrissait. Si, à l’issue d’une journée de tournage, un trop lourd rangement de matériel l’empêchait d’assister à la projection du soir, rien ne pouvait lui faire plus plaisir que d’organiser une nouvelle projection pour lui.

Il me faut, pour conclure, évoquer un film qui a beaucoup compté pour Philippe. Il s’agit de Boesman and Lena, de John Berry, que nous avons tourné dans la région de Cape Town, avec une équipe principalement sud-africaine. John Berry est décédé avant la sortie du film. Philippe lui vouait une vraie affection et était ébahi par sa fougue et son incroyable passé d’acteur et de metteur en scène. Dans sa valise d’assistant, Philippe a longtemps conservé une photo de John Berry, hilare... Un film était aussi pour lui une aventure humaine.

Pour Boesman and Lena, Philippe était à la tête d’une équipe importante, aux habitudes de travail différentes des siennes. Son travail rigoureux fut aussitôt à la hauteur de l’immense exigence technique qu’imposait la présence de Danny Glover et Angela Basset et, malgré son anglais approximatif, Philippe fut tout de suite très respecté de ses assistants avant d’en être véritablement adulé pour ses profondes qualités humaines. Il noua par ailleurs lors de ce tournage une formidable complicité avec le chef électricien Philippe Deneau. Je me réjouissais de les réunir à nouveau à Phnom Penh dans quelques semaines pour le prochain film de Bertrand Tavernier.

Philippe Renaut va nous manquer. Lui, si discret, me fait déjà ressentir son absence comme assourdissante.
Je voudrais témoigner toute mon affection à Bernadette, Théo et Matthias et leur exprimer à quel point ceux qui ont travaillé avec Philippe vont conserver le souvenir d’un homme rare.