Angel

de François Ozon, photographié par Denis Lenoir, AFC, ASC

La Lettre AFC n°162

François Ozon m’a proposé de le rejoindre sur un projet stylistiquement déjà développé et aux références visuelles déjà bien établies, Minnelli, Powell et Sirk, pour ne citer qu’eux. J’avais ainsi devant moi un réalisateur qui savait exactement ce qu’il voulait et qui ne faisait pas mystère qu’il m’engageait parce que certains de mes films passés lui promettaient que je saurais à la fois m’inscrire dans une tradition et offrir une relecture contemporaine de cette même tradition. Donc de faire, à mon niveau, la lumière et le traitement de l’image, ce que le projet Angel en son entier était déjà, un authentique mélodrame et en même temps une lecture critique du mélodrame en tant que genre narratif. Difficile de faire plus excitant...

Je connaissais mal le travail de François Ozon, n’ayant vu que trois de ses film précédents, Sous le sable, 8 femmes et Swimming Pool. Assez cependant pour connaître la hauteur de son ambition artistique et être intrigué par la perpétuelle remise en question de film en film, un peu comme Ang Lee peut-être, de ce qu’il avait établi dans les œuvres précédentes. Ce n’est cependant que quand François est venu le présenter à Los Angeles où je vis depuis dix ans que j’ai découvert Le Temps qui reste, c’est-à-dire après le tournage d’Angel. Ce film oblige à reconsidérer l’œuvre entière de François Ozon et à reconnaître que ce qu’on avait pu prendre parfois pour de la légèreté ou de la froideur était bien plutôt pudeur et élégance des sentiments.

Une fois donnée la référence générale, le Technicolor des grands mélos hollywoodiens, je me suis lancé avec l’enthousiasme qu’on peut imaginer dans tout un tas de recherches. Celles-ci m’ont mené à un premier projet assez ambitieux où le film commençait avec des couleurs extrêmement désaturées, évoluait ensuite vers le Technicolor le plus kitch pour ensuite se modifier en quelque chose de moins flamboyant. Je pensais alors en particulier au travail de Jack Cardiff sur Black Narcissus (où Nathalie Kalmus, la femme de l’inventeur du procédé et sa grande prêtresse officielle, était interdite de plateau !) puis la référence devenait les autochromes Lumière et finalement le Kodachrome " vintage " !!! François a vite su me ramener à une palette plus homogène, mais ces recherches ont été loin d’être inutiles, toute cette réflexion sur les couleurs et le contraste m’ont incroyablement servi par la suite.

Très tôt nous avons tourné des essais en 35 mm, j’y tenais beaucoup, afin de comparer ce qui pouvait être obtenu par des procédés photochimiques et par des procédés numériques. François Ozon avait eu sur un des ses films précédents une expérience pas très heureuse avec ces derniers et je voulais lui montrer combien dans le cas d’Angel nous aurions avec l’étalonnage numérique la possibilité d’intervenir de façon beaucoup plus souple et plus nuancée.

Démonstration faite et principe d’une finition numérique admis, il me restait à la prise de vues à rendre ce que nous recherchions possible, à faire en quelque sorte la moitié du chemin, puisque s’il est exact qu’on peut " tout " faire en numérique il n’en reste pas moins vrai que si on sait à la prise de vues ce qu’on veut obtenir au final et qu’on prépare en quelque sorte le terrain, les choses se passent infiniment mieux. Renonçant donc à tout traitement photochimique particulier, j’ai ainsi joué sur le contraste de l’éclairage ainsi que sur les filtres caméra. Et de façon plus subtile, j’ai joué aussi sur la position de la lumière principale (keylight), de latérale au début à quelque chose de plus frontal au sommet de la gloire d’Angel, puis à nouveau plus latérale. Enfin, en me refusant au début du film le moindre contre-jour, puis au contraire en les favorisant ensuite jusqu’à l’artifice et l’excès, j’ai contribué à cette partition visuelle qui se joue sur l’écran.

François, et en cela il est bien l’héritier des Sternberg, Cukor ou Minnelli, est vraiment le directeur artistique de ses films. Et cela depuis la conception générale et les indications données à ses collaborateurs de création jusqu’au moindre détail dans l’exécution du décor et des costumes. Il n’y a pas un pli de rideau, la nuance d’une doublure ou la courbe d’une mèche de cheveux qu’il n’examine avec soin. Cela d’ailleurs justifiant si besoin était sa place derrière la caméra : de là rien ne lui échappe. Du coup le travail pour moi, même quand cela avait à voir avec le décor ou les costumes, passait directement par lui.
Et cet œil très sûr, il l’a aussi pour tout ce qui concerne directement mon travail : très vite j’ai compris que je pouvais lui faire la plus grande confiance et qu’il me signalerait les défauts d’éclairage qui pourraient m’échapper au retour vidéo.

Image de référence pour le coloriste - Photo prise par Denis Lenoir
Image de référence pour le coloriste
Photo prise par Denis Lenoir

Lors de l’étalonnage numérique, François et moi sommes convenus de réduire encore un peu l’écart des couleurs du début par rapport au reste du film : là où j’avais souhaité huit mois plus tôt désaturer considérablement l’image il devenait évident que, de par la palette des costumes et des décors déjà eux-mêmes très monochromatiques, nous n’interviendrions ainsi que sur les peaux, ce qui n’était pas souhaitable puisqu’une des façons de rajeunir Angel au début du film était de lui donner justement une peau un peu rose. Le désir de garder au film la plus grande unité visuelle fut aussi un facteur déterminant.

Et je crois que c’est parce que nous partageons tous deux la plus haute ambition artistique mais que nous n’hésitons pas non plus ni l’un ni l’autre à nous remettre en question non seulement de film en film mais même au cours d’un même film que nous nous sommes si bien entendus.

NDLR Angel fait partie de la sélection de l’édition 2007 du Festival de Berlin.