"Athena", de Romain Gavras, la question du retour vidéo

Par Ariane Damain-Vergallo

Contre-Champ AFC n°338

19 juillet 2021, premier jour de tournage. Sur la route qui passe en dessous de la dalle du Parc aux Lièvres à Évry, l’équipe image va tourner le premier plan du film Athena minutieusement répété la veille. Chacun sait que ce plan particulièrement complexe qui est l’un des cinq plans qui constituent le plan d’ouverture du film - un morceau de bravoure de onze minutes - va valider ou non tous les choix techniques faits au préalable.

En effet, le réalisateur, Romain Gavras a tenu à tourner durant quatre semaines une « maquette » du film en équipe très réduite, avec les comédiens et quelques figurants dans les mêmes décors que le film, la caméra étant tenue à l’épaule par le chef opérateur Matias Boucard, AFC, tandis qu’il court à ses côtés en énonçant ses remarques en direct. Cette maquette du film a ensuite été donnée à tous les chefs de poste afin qu’ils évaluent leurs propres besoins techniques.

La question centrale de savoir comment relier la caméra aux différents moniteurs du plateau s’est alors posée.

Matias Boucard, Jordane Lassalle, DIT et opérateur Qtake, ainsi que Dimitri Sorel, Data Manager, ont alors soulevé plusieurs problèmes que la simple utilisation de l’un des émetteurs les plus couramment utilisés en France ne résoudrait pas totalement. En effet ceux-ci présentent des caractéristiques limitatives pour ce type de film car ils utilisent des fréquences WiFi grand public qui sont parfois soumises à des perturbations même sur des courtes distances et a fortiori sur les longues distances que les protagonistes allaient parcourir dans et autour de la cité.

Dans un premier temps, il a été imaginé de "streamer" le signal vidéo sur un système en ligne et le recevoir en connexion Internet mais c’était peu stable, trop compressé et avec un risque de piratage non négligeable. Surtout le temps de réponse des "tops" envoyés par la mise en scène ou l’image pour déclencher des actions à distance comme des assauts, des tirs ou des explosions aurait été décalé d’une à deux secondes, ce qui aurait fait prendre des risques à l’équipe caméra, aux comédiens et aux figurants engagés dans la mêlée.

Finalement la solution adoptée pour l’émission des images du film Athena a été un système anglais utilisé dans les pays anglo-saxons depuis une dizaine d’années et que la production a loué à Londres, la France n’en possédant pas encore. Il s’agit du système Cobham qui est issu de la technologie de l’aéronautique militaire. Il permet de fonctionner même quand une grande distance – jusqu’à 200 mètres – sépare la caméra des moniteurs de contrôle et aussi à travers des murs ou à des étages différents.

En effet, le système Cobham possède un seul récepteur qui mélange les signaux HF de toutes les antennes relais installées tout au long du parcours de la caméra. Cet unique récepteur est capable de décoder et restituer l’image fournie par les antennes relais en une seule fois pour les restituer et décoder l’image en une seule fois.
Cela permet aux "tops" de déclenchement des différentes actions d’avoir un décalage de seulement 200 millisecondes, c’est-à-dire un cinquième de seconde, l’autre système émetteur restant pertinent pour toutes les personnes se déplaçant à côté de la caméra : les assistants caméra, les perchmans, le chef opérateur du son et les artificiers.
Car, pour une question de sécurité, les artificiers ont dû se trouver au cœur de l’action afin de déclencher eux-mêmes les feux et explosions et non pas à distance car d’éventuelles erreurs d’appréciation auraient pu survenir s’il avait été uniquement tenu compte du point de vue de la caméra et du retour vidéo.
Ce système Cobham étant utilisé pour la première fois en France, le loueur anglais a dû faire la demande d’une fréquence spécifique qui a fait l’objet d’une autorisation, les usages n’étant pas les mêmes en France qu’en Angleterre.

Jordane Lassalle - Photo Ariane Damain-Vergallo
Jordane Lassalle
Photo Ariane Damain-Vergallo

Une fois ces choix faits et ayant visionné la maquette du film, Jordane Lassalle et Dimitri Sorel se sont rendus sur la dalle du Parc aux Lièvres pour établir un plan précis, jour par jour, de l’emplacement du "vidéo village" qui devait impérativement être caché de la caméra car celle-ci opérait souvent à 360 degrés.

En effet, le "vidéo village" est véritablement le QG du film.
C’est une grande tente noire où, durant le tournage, se tiennent les chefs de poste, en premier lieu le réalisateur Romain Gavras et son chef opérateur Matias Boucard ainsi que le DIT et le Qtake. Le "vidéo village" est implanté dans l’endroit le plus calme du plateau afin de favoriser l’attention et la prise de décision des chefs de poste, primordiales dans ce contexte.
Car seule la caméra, portée successivement par Aymeric Colas, au Steadicam, et Myron Mance, au Movi, suivis des assistants caméra Lara Perrotte et Damien Conti, a évolué dans des endroits étroits, sombres et dangereux, au milieu des explosions, du feu et des hordes de jeunes pourchassés par les CRS, le tout dans un vacarme peu propice à la réflexion.

Lara Perrotte - Photo Ariane Damain-Vergallo
Lara Perrotte
Photo Ariane Damain-Vergallo
Damien Conti - Photo Ariane Damain-Vergallo
Damien Conti
Photo Ariane Damain-Vergallo

Le premier jour du tournage d’Athena, le "vidéo village" est donc installé au centre de la dalle du Parc aux Lièvres et les antennes relais du système Cobham disposées en étoile car la caméra va effectuer tout autour de la cité un trajet important. Les assistants vidéo, Romane Jammes et Aile Mandé, installent les trois antennes relais et les câblent le long du parcours de la caméra. Une certaine nervosité est palpable au sein de l’équipe du retour vidéo. Le système va-t-il fonctionner ?
Car il s’agit de tourner la partie 3 et 4 de ce long premier plan de onze minutes en cinq parties où les jeunes déclenchent l’émeute, volent un fourgon de police et font le tour de la cité du Parc aux Lièvres, acclamés par les leurs, tandis qu’à la fin, le titre du film – Athena – surgit de l’écran. Les parties 1 et 2 seront tournées à la toute fin pour bénéficier de l’atmosphère générale faite d’exaltation mais aussi de fatigue.

De g. à d. : Lara Perrotte, Myron Mance, de dos en arrière-plan, Mathilde Nury et Damien Conti - Photo Ariane Damain-Vergallo
De g. à d. : Lara Perrotte, Myron Mance, de dos en arrière-plan, Mathilde Nury et Damien Conti
Photo Ariane Damain-Vergallo

Le premier jour, la partie 3 est donc tournée, caméra à l’épaule, par le chef opérateur Matias Boucard qui se trouve à l’intérieur du fourgon de police, caméra qu’il passe ensuite au cadreur Myron Mance assis à l’arrière d’une moto qui s’éloigne rapidement du fourgon.
C’est un raccord spectaculaire intérieur fourgon-extérieur fourgon qui peut être immédiatement validé par le réalisateur et le chef opérateur. En effet Jordane Lassalle, le DIT, peut tester en direct les transitions entre les plans à l’aide du Qtake qui est un logiciel d’assistance vidéo permettant de gérer les flux vidéo.

L’enjeu principal du film Athena était donc de se tourner et se monter en direct dans l’ordre strict des séquences donnant ainsi un poids important au travail de retour vidéo, le "vidéo village" étant ainsi placé au cœur même du processus de la création et de la fabrication techniques du film.

Chaque matin Romain Gavras et Matias Boucard vont visionner les rushes de la veille, voire le prémontage du film mais également le plan de la journée déjà tourné sous la forme de maquette.

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Romain Gavras et, au 2e plan, Mathias Boucard
Photo Ariane Damain-Vergallo

Chaque soir, Dimitri Sorel, le Data Manager, transcode tous les rushes en fichiers proxies sur des disques navettes SSD, accompagnés des rushes natifs, qu’un régisseur dépose au labo Digital Colors, récupérant en même temps les navettes de la veille. Les maquettes de transition sont aussi envoyées au monteur du film qui peut ainsi les valider jour après jour. Les chefs de poste peuvent aussi à tout moment visionner en ligne, sur une plateforme sécurisée mise à disposition par le labo, l’ensemble des rushes, le prémontage et la maquette.

C’est ainsi que le 29 septembre 2021, après cinquante jours de tournage dont cinq semaines de nuit, l’équipe image – caméra et retour vidéo – peut enfin se dire que mission a été accomplie.

(Article rédigé par Ariane Damain-Vergallo d’après des propos recueillis auprès de Dimitri Sorel)