Avec effarement...

par Bruno Delbonnel

par Bruno Delbonnel La Lettre AFC n°170

Je lis avec effarement le compte rendu du conseil d’administration. Mon effarement se porte surtout sur la présence " éventuelle " de l’AFC à Camerimage.

Comme vous ne le savez certainement pas, j’étais l’année dernière membre du jury principal de ce festival. La seule chose que l’AFC avait remarquée était l’absence de Denis Lenoir qui aurait dû être avec moi dans le jury.
A part les deux opérateurs français qui avaient des films en compétition, Patrick Blossier pour Indigènes et Yves Cape pour Flandres, et qui ne restèrent que le jour de la présentation de leur film..., aucun opérateur français.

L’association anglaise était représentée par une cinquantaine d’opérateurs parmi lesquels Michael Seresin, Seamus Mac Garvey (à qui l’on doit le magnifique The Hours ainsi que The War Zone de Tim Roth...), John Mathieson (qui travaille régulièrement avec Ridley Scott et John Maybury...), etc.
Joe Dunton était présent. Pour ceux qui ne le sauraient pas, Joe Dunton est une légende vivante. Il est plus qu’un loueur de caméra. Il travaille en étroite collaboration avec les opérateurs auxquels il répond à n’importe quel demande.
Bob Beitcher, qui n’est jamais que le président actuel de Panavision, aurait dû nous rejoindre pour quelques jours mais resta bloqué à Londres pour cause de brouillard...
Michael Chapman qui n’est que l’opérateur de Taxi Driver et Raging Bull faisait parti du jury dans lequel je me trouvais. Ainsi que Phil Meheux à qui l’on doit le dernier James Bond Casino Royale mais qui est aussi une encyclopédie vivante du cinéma anglais et un ex président de la BSC... Chris Doyle vint de Hong Kong pour une " master class " tout à fait édifiante...

Vilmos Zsigmond vint présenter The Black Dahlia de Brian de Palma, Wim Wenders vint trois jours ainsi que Robby Müller...
Et David Lynch resta toute la durée du festival... car il en est le parrain.
Je pourrais continuer ainsi et aligner les noms de tous les opérateurs présents, mais je pourrais surtout parler de ma gêne face à la question qui revenait tous les jours : « Où sont les opérateurs du plus gros producteur d’Europe∞ : la France ? Ce festival, qui est la fête des opérateurs, n’est il pas assez bien pour eux ? »

Le grand intérêt de ce festival ? C’est le seul vrai festival d’opérateurs. Lodz est une petite ville entièrement dédiée à ce festival pendant une semaine. Les opérateurs sont entre eux. Il n’y a aucune urgence, il n’y a pas de conférences de presse, il n’y a pas de stars... Il n’y a rien du coté star system du festival de Cannes qui n’a absolument aucun intérêt pour un opérateur ou pour une association, sinon se donner l’illusion qu’elle joue dans la cours des producteurs et des acteurs, ce qui est un leurre, comme chacun sait.

A Camerimage, j’ai eu la chance de rencontrer cet opérateur polonais qui fait son propre étalonnage numérique sur une machine de sa conception, ainsi que ses scans... Le résultat est impressionnant.

Un opérateur russe dont le film en HD présentait une palette de couleurs absolument sublime que je n’ai vu nulle part ailleurs. Une " opératrice " allemande qui a fait un travail superbe sur un film indépendant magnifique. Un opérateur brésilien dont le travail sur La Maison de sable était extraordinaire (film qui est passé totalement inaperçu lors de sa sortie en France, il y a six mois... bien entendu). Un jeune opérateur marocain qui a eu l’audace de faire un film en Scope avec un budget dérisoire...
Et je ne vous parlerai pas de la semaine passée avec Michael Chapman et de toutes ses histoires avec Gordon Willis, dont il fut le cameraman, et les tournages avec Scorcese... Et les histoires de Dick Pope avec Mike Leight...

Alors, excusez ce ton un peu cassant, mais quand je lis : « Quel interêt d’aller à Camerimage sinon pour tenir compagnie à Pierre Lhomme... », je me dis que je ferais mieux de rendre ma carte de l’AFC et aller me saouler avec ce fou de Chris Doyle, cet Irlandais insensé qu’est Seamus Mc Garvey et ce Mexicain hallucinant qu’est Guillermo Navarro qui, non seulement gagna la " Golden Frog " à Camerimage, mais termina en beauté avec l’Oscar.