Cannes, Caméra d’or 2022

Par Jean-Claude Larrieu, AFC
Désigné par nos pairs du conseil d’administration de l’AFC à la fonction de membre du jury de "La Caméra d’or", je suis parti vers un Cannes inconnu, vivre dans la continuité les 12 jours du festival. Instruit par l’expérience de nos confrères qui eurent le privilège de tenir le même rôle, par celle d’avoir dirigé l’image des films Oriana et Petits arrangements avec les morts, qui obtinrent en leur temps ce prix remarqué, j’ai pénétré dans les hauteurs du Palais du Festival, édifice à l’allure d’aéroport international, pour y recevoir, des mains de nos hôtes prévenants, le sésame d’une organisation qui s’avèrera sans failles.

Le lendemain après-midi, quel vertige, comme si de rien n’était en habit de cérémonie, que de dévaler à pied en plein soleil la colline où j’habitais, et de nous découvrir, les sept membres du jury, et de nous unir en parade pour la cérémonie d’ouverture.
Dès le matin suivant, projection de deux films. Certains jours ce seront trois ou quatre. Chaque fois dans les meilleures conditions. Le plus souvent avec le public, la salutation du réalisateur, des acteurs, des producteurs. Découverte des têtes, des attitudes qui disent sur la personnalité.

Remise du sésame, la veille du premier jour - Photo Jean-Claude Larrieu
Remise du sésame, la veille du premier jour
Photo Jean-Claude Larrieu

Toutes sélections confondues, nous déambulerons quotidiennement au gré des projections, du "Grand Théâtre" à la salle "Un certain regard", à celles de "La Quinzaine des réalisateurs" et de "La Semaine de la critique". Ainsi se poursuivra notre plongée dans la découverte des vingt-six films, sélectionnés en France et à l’étranger, qui sont chacun la première œuvre de long métrage d’un auteur, montrée pour la première fois.

C’est stupéfiant. Tous ces projets ont un intérêt cinématographique indéniable. On découvre à cette occasion qu’il existe des œuvres personnelles, de très grande valeur.
Qu’attend-on soi-même du cinéma ? D’où naissent nos propres exigences ? Comment les confronter à égalité de force de réflexion avec ses semblables ?

Pour ma part, né dans un village où j’ai appris à vivre jusqu’à 21 ans sans aucun autre horizon que celui des parcelles agricoles et de la chaîne des Pyrénées, où à douze ans l’eau courante est entrée dans les maisons, c’est pendant l’année de mes 17 ans, suite à l’installation du relais de transmissions sur le Pic du Midi de Bigorre, qu’un poste de télévision noir et blanc à été posé dans la mairie.

Oui, ce fut la première et la seule fenêtre ouverte sur l’ailleurs, qui étonnait, l’hiver devant la cheminée, les caractères trempés à l’accent de rocaille de notre assemblée villageoise gasconne.
Depuis bien avant, allons savoir par quelle force du destin, dans la nuit heureuse de mes jours, j’étais poursuivi par la vocation absurde et secrète de "tourner la manivelle".
Et je la tourne.

Pour bien plus tard découvrir, déconcerté, l’existence de la lumière. Le métier de directeur de la photographie deviendra ma vie.

J’ignorais tout de tout. Mais quelles strates invisibles à franchir ! Et comment ? Et pour quelles raisons ? Autres que celle primordiale de quitter sans instruction et sans bagages le village, par défaut de ressources.
Et s’ouvrir par la suite, sous l’influence des amitiés essentielles, et du destin, vers un monde entier.

Toute assemblée est confrontée à la subjectivité de chacun.
Comment trouver la cohérence de la nôtre ?

"Photocall" du jury de la Caméra d'or - De g. à d. : Éléonor Weber, SRF, Jean-Claude Larrieu, AFC, Lucien Jean-Baptiste, invité, Rossy de Palma, présidente, Samuel Le Bihan, invité, Natasza Chroscicki, Ficam, Olivier Pelisson, SFCC - Photo Festival de Cannes
"Photocall" du jury de la Caméra d’or
De g. à d. : Éléonor Weber, SRF, Jean-Claude Larrieu, AFC, Lucien Jean-Baptiste, invité, Rossy de Palma, présidente, Samuel Le Bihan, invité, Natasza Chroscicki, Ficam, Olivier Pelisson, SFCC - Photo Festival de Cannes

Nous étions un jury de sept membres, chacun issu d’une chapelle, différents sans être complémentaires, spontanément chaleureux et bavards, analytiques, emportés.
Entrainés par les élans picaresques, le panache, la parole affirmée de notre présidente, Rossy de Palma.
Bavards sans relâche, à se crier comme dans des gueuloirs de transatlantique, mais en générant la bonne humeur, en ouvrant le champ, par débordements d‘énergies, au point de vue de chacun, aux oppositions, aux rassemblements, pour enfin élire, autant que possible en son âme et conscience, mais d’un élan commun.

La table de la première délibération du jury de "La Caméra d'or" - Photo Jean-Claude Larrieu
La table de la première délibération du jury de "La Caméra d’or"
Photo Jean-Claude Larrieu

War Pony, de Riley Keough et Gina Gammel a gagné le prix de La Caméra d’or.
Une mention spéciale a été donnée au film japonais Plan 75, de Hayakawa Chie.

War Pony, à la sortie de la projection, avait acquis pour la première fois notre adhésion à l’unanimité. Mis à mal un moment par l’arrivée de quelques autres œuvres. Mais c’est ce film qui a gagné.

Par la puissance d’un bout à l’autre de son panorama, par son écriture, sa construction, son rythme, la profondeur révélée de ses personnages, décryptés à chaque instant avec une justesse bouleversante. Un trait cinématographique pur.

Plan 75 est une œuvre puissante, maîtrisée, retenue. Un regard sans cesse approfondi sur la société japonaise, et sur nous-mêmes. Fait de mille détails d’une humanité à pleurer d’effroi. Il s’agit là, à mes yeux, d’un autre chef-d’œuvre.

Pour écarter le regret de n’avoir à attribuer qu’un seul prix, on peut ajouter que c’est déjà une récompense pour un film que de figurer dans l’une des quatre sélections. Et pour certains que nous aimions aussi, qui m’ont beaucoup touché, que d’être primés par l’une d’elles.

Ce sera le cas de :
Joyland, immense film du Pakistanais Saim Sadig ;
La jauria, du Colombien Andrés Ramirez Pulido ;
Les Pires, des Françaises Lise Akoka et Romane Gueret.

Un autre film marquant, abouti, vaste et juste, resté à l’écart :
1976, de la Chilienne Manuella Martelli.

D’autres encore nous attiraient, nous retenaient, sans parvenir à dépasser les lignes de nos avancées. Comment ne pas les citer ?
Dalva, de Emmanuelle Nicot ;
Butterfly Vision, de l’Ukrainien Naksym Nakonechnyi ;
Rodéo, de Lola Quivoron ;
Alma Viva, de la Portugaise Cristèle Alves Meira ;
The Dam, de Ali Cherri .

Ces 26 films, même si certains s’affaiblissent à nos yeux dans le courant de leur déroulé et ne parviennent pas à convaincre jusqu’au bout, tous ont une valeur qui force l’étonnement et le respect.

C’est en tant que membre de l’AFC que j’étais présent ici, porté sans le dire, par la connaissance que nous avons dans notre métier de ce qu’est la construction d’un film, la valeur d’un découpage, d’un plan, le choix d’un cadrage, l’inflexion d’un rythme.

J’ai reçu tous ces films comme un juré spectateur, non pas attaché à l’image seule et à la lumière, mais sans retenue, comme une vague qui vient vers vous, vous emporte ou pas.
Chaque fois avec l’espérance de voir se révéler un auteur.

Merci à Stéphane Letellier et Olivier Gautron, qui nous ont si bien accueillis !