Commander au restaurant à la place de la réalisatrice ou du réalisateur...

par Gilles Porte, AFC

par Gilles Porte La Lettre AFC n°208

A la veille du tournage d’un long métrage, j’ai toujours pensé qu’il est bon pour un film qu’un " directeur de la photographie " ou qu’une " directrice de la photographie " puisse commander au restaurant à la place de la réalisatrice ou du réalisateur, si jamais celle-ci, ou celui-ci, a quelque chose de plus urgent à faire...
Cela ne signifie-t-il pas simplement que ce duo a appris à se connaître ?

Qu’il a passé beaucoup de temps ensemble ? Qu’il s’est souvent posé autour d’une nappe en papier ou en tissu, imaginant des cadres, des lumières, des mouvements, des regards, des textures, des décors, des couleurs ou tout autre chose qui n’a pas forcément à voir avec la composition d’une image de cinéma comme la constitution d’un menu, par exemple, dans un petit restaurant découvert lors de repérages ?

J’aime la préparation des films avec le réalisateur ou la réalisatrice avec qui je m’engage : écouter, visionner, proposer, repérer, tâtonner, noter précisément l’endroit que touchent les premiers rayons du soleil, observer une ombre gagner du terrain, prendre un temps que plus jamais nous n’aurons sur le plateau quand il s’agira de " respecter un plan de travail ", etc.

Combien de films sont très bien préparés en France ?
Combien de producteurs ou de directeurs de production " ratiboisent " des jours de préparation au réalisateur, au directeur de la photographie, au premier assistant réalisateur ou encore au chef décorateur afin d’économiser sur des devis de plus en plus serrés ?

Au milieu de ces considérations, voilà que je reçois " un appel au secours " du Maghreb, tout près de Marrakech, le 12 février : un directeur de la photographie est victime un accident cardio-vasculaire à la veille du tournage sur lequel il est engagé, et la réalisatrice m’appelle à la rescousse afin que son film puisse commencer le jour J, c’est-à-dire moins de 24h après ! Après une courte rencontre avec le directeur de la photographie qui me confirme la nécessité pour lui de faire une pause, je plonge dans un film, ignorant tout de l’équipe qui compose l’embarcation, des choix techniques qui ont été faits en amont et, a fortiori, des habitudes alimentaires de la réalisatrice !

Traverser le moyen Atlas sans aucune visibilité - avec la nouvelle Alexa que je ne pourrai juger qu’à la vue des images que je découvrirai sur grand écran, au mois de septembre - avait quelque chose d’effrayant. Même si nous y sommes arrivés, je fais ici le souhait que les producteurs belges et marocains du Sac de farine (c’est le titre du film) ne négligent pas, lors de leur prochaine aventure cinématographique, le fait qu’un directeur de la photographie puisse commander au restaurant pour un réalisateur si ce dernier est absent car ce simple constat témoignera d’une complicité établie " avant que tout le monde ne se trouve sur le pont " qui ne pourra que servir le film.

NB : Après une batterie d’examens, le directeur de la photographie que j’ai remplacé va bien et voit à nouveau la vie défiler à 24 et/ou 25 images/seconde.