"Culture : nouveaux métiers, nouvelles tendances"

Par Coralie Donas

La Lettre AFC n°238

Le Monde, 5 décembre 2013
Modeleur numérique, réalisateur en informatique musicale, animateur, " showrunner "… : ces métiers ne vous disent rien ? Pourtant, ils existent. Revue de détail des nouvelles possibilités offertes, dans le monde du spectacle vivant et du cinéma, par les évolutions technologiques.

Cinéma
Le passage au numérique, la diffusion à grande échelle de la 3D et le développement de l’animation bouleversent le paysage cinématographique et les métiers qui l’accompagnent. « Il y a quand même une permanence, nous continuons à raconter des histoires », se défend en souriant Jérôme Enrico, directeur de l’ESEC, l’Ecole supérieure d’études cinématographiques, à Paris. « Mais, bien sûr, les métiers ont changé, on développe des départements 3D, la pellicule est abandonnée au profit du numérique. Les assistants opérateurs sont ainsi devenus des data managers, chargés de sauvegarder les données numériques. Pratiquement plus un seul film ne se fait sans un minimum d’effets spéciaux, ne serait-ce que pour recréer une foule, incruster un décor. Ce qui donne du travail pour toute une série de techniciens en postproduction numérique. »
Autre exemple d’évolution : les étalonneurs, qui règlent la colorimétrie en postproduction, sont passés de l’optique au numérique.

3 D
Des studios de création numérique lancés il y a plusieurs années, comme Mac Guff, BUF, Mikros image, Cube, connaissent un fort développement aujourd’hui. « Mac Guff a fabriqué Moi, moche et méchant pour les studios Universal, Tim Burton consulte BUF pour ses effets visuels, Mikros image a créé Logorama », s’enthousiasme Olivier-René Veillon, directeur de la Commission du film d’Ile-de-France, qui participe à l’organisation du festival Paris FX, un événement qui rassemble les professionnels de la 3D et des effets spéciaux les 4 et 5 décembre à Enghien-les-Bains (Val-d’Oise).

« Les animateurs 3D peuvent viser deux marchés », reprend M. Veillon, « celui des effets visuels et celui de l’animation. D’autant que le secteur se porte bien, une dizaine de studios émergent, comme Knightworks, ChezEddy, Digital Factory… »
« Les débouchés du numérique sont nombreux dans la télévision, le cinéma, le Web, la téléphonie mobile. Mais il y a de la concurrence. Environ 600 graphistes sont formés chaque année dans les meilleures écoles », prévient Lionel Fages, producteur chez Cube. « Les établissements se sont réunis au sein du Réseau des écoles françaises de cinéma d’animation (RECA), et leur site Internet permet notamment de savoir quelles sont les spécificités de chacun. »

Les métiers du numérique dans le cinéma peuvent être très spécialisés. Ainsi le modeleur numérique sculpte les volumes des personnages, les animateurs leur donnent vie, le " set up " consiste à placer les os, les muscles et leurs mouvements sous la peau des personnages, les " matte painters " créent les décors, le " compositing " permet d’assembler les différentes couches d’images…

Pour ceux qui maîtrisent ces aspects, des débouchés se dessinent aussi dans le domaine des jeux vidéo. « La qualité des jeux a beaucoup évolué, les images sont réalisées en haute définition, les décors sont très soignés et les studios de création font appel à des directeurs d’animation, des " story-boarders " formés au cinéma d’animation », souligne Marie-France Zumofen, directrice adjointe et responsable de la formation initiale aux Gobelins, l’école de l’image.
Le " motion design ", soit l’art du graphisme animé, enseigné dans des écoles comme les Gobelins, Lisaa, George-Méliès, Supinfocom, est également utilisé aussi bien dans le cinéma que dans les jeux vidéo.

Séries
Si La fémis se défend d’une révolution, cela n’en reste pas moins un signe fort. L’école de cinéma a ouvert à la rentrée un département consacré à la création de séries TV. « Nous formons historiquement aux métiers de la création télévisuelle, fictions et documentaires », souligne Marc Nicolas, directeur de l’école. « Depuis dix ans, on peut noter une préoccupation montante des producteurs et des diffuseurs en France de faire des séries télévisées et, donc, de disposer de plus de personnes formées. » Si France Télévisions reste le producteur le plus important de séries, explique encore M. Nicolas, d’autres faits montrent la place grandissante du genre.
Ainsi, avec son département de la création originale, Canal+ a placé les séries au cœur de sa stratégie d’entreprise. Arte, de son côté, s’est imposée ces dernières années comme un diffuseur de séries étrangères non américaines.

La formation de La fémis, qui accueille par ailleurs, parmi les directeurs du nouveau département un scénariste de série américaine, Frank Pugliese, est donc centrée sur ce nouveau mode d’écriture, qui se fait en équipe, menée par un " showrunner ", un scénariste qui impulse les directions et dirige toute la création artistique.
D’autres formations de " showrunner " se sont développées dans différents établissements, comme chez Ina Expert, la société de formation de l’Institut national de l’audiovisuel. Autre tendance : Internet a transformé la diffusion de films et de séries, créant ainsi de nouveaux besoins en marketing et en vente chez les distributeurs ou dans les sociétés de VOD.

Son et musique
Dans Un mage en été, une création de Ludovic Lagarde et Olivier Cadiot présentée en 2010 au Festival d’Avignon, l’environnement sonore permet au comédien, seul en scène, d’évoluer dans différents univers et même de changer de voix. La réalisation informatique musicale était réalisée par l’Ircam, l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, qui organise chaque année des ateliers, In vivo théâtre, durant lesquels sont invitées des troupes de théâtre en résidence pour travailler sur les nouveaux aspects du son.
« Nous accompagnons et formons les ingénieurs du son qui doivent se convertir à de nouvelles technologies, avec l’objectif que notre savoir-faire se propage », détaille Arshia Cont, directeur du département interfaces recherche/création à l’Ircam. « Les pratiques évoluent dans ce domaine et des formations sont en train de se monter sur ce thème. » Plus généralement, les métiers du son et de la musique intègrent des technologies – musique interactive, composition sur tablette – qui font fortement évoluer les métiers.

Métier né à l’Ircam, le réalisateur en informatique musicale, RIM, se retrouve désormais hors de l’institut. A l’origine, ces professionnels assurent l’interface entre les artistes et les ingénieurs ou les chercheurs. « Ils travaillent aujourd’hui dans le monde entier sur des projets artistiques, font de la programmation pour des projets d’art numérique, assurent la performance ou le montage des installations. Le métier n’est pas encore bien défini, il se situe à la rencontre de l’ingénieur du son, du musicien, de l’artiste. Beaucoup sont intermittents », note M. Cont.
L’université Jean-Monnet, à Saint-Etienne, propose un master 2 professionnel, accessible en formation initiale et continue, sur le métier.

(Coralie Donas, Le Monde, jeudi 5 décembre 2013)