"Debriefing" NAB 2010

par Danys Bruyère, Directeur Caméra, TSF

La Lettre AFC n°198

Une semaine passée au NAB à Las Vegas est toujours riche en enseignements. Le NAB annonce les tendances du marché et des technologies qui nous serviront à raconter nos histoires.
Inutile de préciser que le " focus ", cette année, était pointé sur le relief sous toutes ses formes. Sujet quasi inexistant, il y a deux ans. Cette année, la majorité des fabricants, de la captation à la postproduction, présentait des solutions stéréoscopiques ou, au moins, une compatibilité, une raison d’être, dans ce nouveau monde rempli de promesses, plus réel, tri dimensionné, toujours plus engageant et plus profitable...

Sans être exhaustif, je crois avoir recensé plus d’une quinzaine de nouveaux arrivants sur le marché potentiellement en explosion du " rig stéréo ".
Les deux stars du salon étaient 3Ality et Element Technica, avec une dizaine de " rigs " chacun, sur différents stands partenaires.

Mais aussi, Stereotec, P+S Technic, StereoTango, SwissRig, Pace Technologies, Binocle, 3DFilmFactory, ParadiseFx, ScreenPlane, WeBe3D, Indietwin et j’en oublie...
À noter le " rig stead " et épaule, co-développé par P+S Technic et Philippe Bordelais, répondant à un réel besoin de portabilité, sans compromettre les fonctionnalités avancées pour la captation relief. Cette portabilité nécessite aussi des caméras de bonne qualité de petite taille, qui font, hélas, encore défaut.

Pour résumer, il y a cinq grandes " tendances " stéréoscopiques qui se dégagent du salon.
- L’approche que nous qualifieront de " cinéma " (même si les clients " broadcast " y trouvent aussi leur compte) : rigs (systèmes de support pour prises de vues stéréoscopiques) simples ou sophistiqués avec miroirs semi-réfléchissants, permettant les réglages motorisés (ou manuels) de l’inter-oculaire (IO) ainsi que la (V) vergence (souvent appelée " convergence ", sans oublier qu’une convergence en avant plan est souvent une divergence d’arrière-plan potentiellement douloureuse...)

- L’approche que nous qualifieront plutôt de " broadcast " : rigs très complexes, avec miroirs ou en montage parallèle, qui gèrent en temps réel au besoin l’IO et la V, mais aussi les 2 axes de centrage des optiques et ce, en temps réel, notamment lors de l’utilisation de zooms longue focale essentiels aux captations de sports ou d’événements culturels. Ces systèmes sont obligatoirement liés à des systèmes sophistiqués d’analyse d’images, avec ou sans transformation d’images en temps réel (donc pas toujours vérifiables) pour les besoins des diffusions en direct.

- L’approche hybride : rigs simplifiés qui règlent que très peu les paramètres au moment de la prise de vues et qui s’appuient (ou pas) sur des systèmes sophistiqués en postproduction pour manipuler (morpher) les deux images et optimiser/contrôler avec précision (ou pas) les images dans un environnement possiblement mieux contrôlé que sur un plateau ou un lieu de tournage aux conditions difficiles.

- L’approche 100 % postproduction : plusieurs sociétés se positionnent sur ce marché au plus grand potentiel de développement : la " dimensionalisation ".
Ces technologies permettent d’adapter le catalogue audiovisuel mondial au visionnement relief. Cette technologie, utilisée dans Alice au pays des merveilles ou Le Choc des Titans, permet ainsi de rendre en relief une partie ou la totalité des plans d’un film ou de concevoir des plans qui seraient peut-être impossibles à réaliser autrement.

- L’approche " tout en un " : nouveaux arrivants qui confirment à quel point la stéréoscopie est considéré sérieusement aux USA et ailleurs dans le monde.
- Panasonic présente un nouveau caméscope " tout en un " qui intègre deux capteurs distincts et deux objectifs asservis simultanément. Nous avons pu voire un prototype de cet outil lors du Micro Salon. Il est maintenant possible de commander cet appareil qui certes ne correspond pas aux besoins du cinéma, mais qui sera sans doute une solution simple et ergonomique pour les " making of " de nos films.
- Sony a aussi présenté très brièvement à plus de 500 personnes un petit caméscope (taille EX3) développé en partenariat avec Discovery Channel qui utilise sans doute 2 capteurs, deux optiques et sur lequel on peut régler la V, mais aussi l’ IO par un système. L’appareil ayant été instantanément assailli par des dizaines de curieux munis d’appareils photo, il m’a été impossible d’obtenir plus d’informations sur cet outil, avant qu’il ne soit retiré de la vue et que la conférence continue. The show must go on...
- Nous avons vu deux OVNIs apparaître dans ce monde de géants. Les sociétés Indietwin et 3D-One qui ciblent aussi le marché du documentaire et de la création indépendante. Les deux sociétés assemblent des composantes existantes pour constituer leurs caméscopes futuristes. Il faut voire les photos sur Internet pour le croire...

Dans l’état actuel des choses, il n’y a pas, de mon point de vue, un seul système adapté à toutes les situations de tournage qu’impose un long métrage. On devra, quasi obligatoirement, avoir recours à plusieurs techniques et technologies, simultanément, pour ne pas se limiter dans le type ou la qualité et le prix des prises de vues dont nous avons besoin et que le relief exige, si ce " nouveau " format doit s’imposer durablement cette fois-ci dans notre paysage cinématographique.

Sinon, pour ce qui nous intéresse tout aussi vivement, nous avons pu voir la promesse de nouvelles innovations pour les caméras à grands capteurs.
- Aaton présentait le Digimag de la Penelope dans une configuration très précoce, mais affichant malgré tout des images très prometteuses. L’approche innovante de la Penelope se confirme avec l’avant-première du magasin numérique, prévu pour se monter simplement sur le corps de la caméra actuelle, avec très peu d’interventions techniques pour passer du couloir film vers le dos numérique. On aurait bien espéré pouvoir réaliser cette opération sur le lieu de tournage plutôt qu’en atelier (si quelqu’un écoute...) Aaton annonce des résultats très encourageants au-delà de 13 diaphs de dynamique avec ce nouveau capteur fabriqué par les rois du grand format : Dalsa. En connaissance de cause, suite à toutes nos expérimentations avec la Dalsa Origin, il semble plus probable qu’Aaton arrive à ces résultats que RED avec l’Epic qui annonce des performances similaires...

- Arri a sans aucun doute été la " star " de ce salon avec la présentation des prototypes de la nouvelle Alexa, évolution de la D-21 dans un format beaucoup plus compact, avec système d’enregistrement embarqué, utilisant le très performant codec d’Apple, le ProRes.
Autre grande surprise sur le stand Arri, la présence de 2 nouveaux zooms co-signés Alura par Arri et Fujinon. Les nouvelles focales présentées : 18-80 mm T2.6 et 45-250 mm T2.6. Le prix annoncé de ces optiques imposera leur place avec tous les nouveaux arrivants sur le marché du grand capteur...
Ces zooms sont des dérivés beaucoup plus abordables de l’excellent 18-85 mm T2, que nous avons pu tester en fin d’année dernière (et qui a été présenté sur notre stand au Micro Salon) et d’un 75-400 mm T2 qui a été annoncé par Fujinon, mais qui n’est pas encore en production. Si la qualité est à la hauteur de la réputation des deux constructeurs associés, nous ne pourrons qu’en être ravis. Néanmoins, souvenons-nous que la qualité en optique a toujours un prix...

- Panasonic a présenté une caméra concept mono capteur qui devrait être de la taille d’une image 35 mm. Nous en savons très peu sur ce nouveau produit, mais il cible très clairement le marché des SLR " prosumer ". Sinon, pas d’annonce de caméra grand capteur " haut de gamme " chez Panasonic.

- Sur le stand Sony, nous avons pu enfin voir la tant attendue HDW F-9000-PL, équipée de l’excellent capteur de la F35, mais dans un emballage beaucoup plus compact. Seuls regrets, sa commercialisation risque d’arriver trop tard et à un prix trop élevé. Sony a aussi montré, aux clients américains, un prototype d’une caméra grand capteur ciblant aussi le marché " low cost ". Segment qui a été complètement renversé dans les derniers 24 mois avec l’arrivée de la RED et ensuite l’arrivée " en masse " sur le marché d’appareils photo capables de faire de la captation HD, à partir de capteurs très sensibles, à des prix défiant toute concurrence.

- RED a dévoilé, lors d’un événement " off ", les nouvelles Scarlet et Epic.
La première, très compacte, avec mono capteur 2/3” et la seconde avec le nouveau capteur Mysterium X (qui ne fait pas révolution). La nouvelle Epic sera, du point de vue ergonomie, un appareil beaucoup plus modulaire que la RED One. Nous avons pu l’apercevoir dans sa configuration " minimale ", qui n’est pas sans nous rappeler les appareils photo... On peut même y mettre les optiques asservies électroniquement de Canon... Seul regret, nous ne connaissons toujours pas la date de livraison des nouveaux modèles.

- Le stand Canon attribuait une place presque aussi importante aux " Digital SLR " qu’aux optiques " broadcast ", lors de cette édition du NAB. L’année dernière, Canon n’exposait pas, à mon souvenir, d’appareil photo sur ce salon qui cible le marché pro. Canon continue d’annoncer en coulisses l’arrivée d’un caméscope grand format avec accessoirisation, mieux adapté à la captation d’images en mouvement... La petite révolution des appareils photo a stimulé tous les constructeurs d’accessoires à réfléchir pour adapter ces " gadgets de la Fnac " à être utilisés dans un cadre professionnel ou, en tous les cas, semi-pro. Même Arri propose une gamme d’accessoires pour ces nouveaux " incontournables " du marché.

Je ne suis hélas pas convaincu que tous ces développements des grands capteurs " low cost " contribuent à tirer le cinéma vers le haut. Certes, on peut entendre que ce ne sont que de nouveaux outils dans la palette et qu’il est libre à tous d’utiliser au mieux leur potentiel. Cependant, par le faible coût de ces appareils et la fausse promesse d’un cinéma plus " démocratique ", l’attente de résultat qui en découle est proportionnelle. C’est précisément ce qui affecte notre quotidien en tant que loueur et le vôtre en tant que chef opérateur. Reste à savoir quel cinéma, et avec quels moyens, nous souhaitons construire notre futur.

Côté éclairage, les LEDs progressent en puissance et en fonctionnalités.
Lite Panels et Gecko Technologies (que nous connaissons tous) montraient des luminaires LED type Fresnel focalisables qui ciblent aujourd’hui plutôt le marché des petits studios que le marché du cinéma, mais dans les deux cas, une étape de l’évolution des LED a été franchie. Reste à démontrer le rapport lux/puissance/encombrement et la fiabilité, même en milieux contrôlés, de ces appareils truffés de fonctionnalités électroniques.
Aussi présents, nombre de fabricants de tous les continents, promettant des éclairages LED à colorimétrie prétendue irréprochable, pour toutes les applications et tous les prix.
Le NAB n’est malheureusement pas la meilleure vitrine pour les nouveautés en éclairage. Mieux vaut voir des salons plus spécifiques (Cinec en Allemagne ou CineGear à Los Angeles) ou bien les gros salons d’éclairage événementiel qui sont plus riches en innovations.

Il sera, comme chaque année, intéressant de réviser ce petit " brief " après la prochaine édition du NAB pour voir ce qu’il reste des nouveautés, voir ce qui aura émergé ou sombré et si la stéréoscopie nous aura transportés vers ces nouveaux horizons, dans un langage encore inconnu, sans profondeur de champ, sur cet immense croisière du rêve, piloté par Monsieur Cameron et ses avatars...