Des feux dans la nuit

Aussi affamés que des naufrageurs

Lorsque j’ai lu le scénario Des feux dans la nuit, adaptation libre du roman "Naufrages", d’Akira Yoshimura, ma première pensée a été qu’il faudrait un budget au moins dix fois plus élevé. Dominique Lienhard, le réalisateur, avait tourné son premier long métrage, Müetter, en 2006, trois personnages dans une maison en plans fixes. L’ambition de son deuxième film était toute autre.

Film d’époque, figuration, bateaux, tout cela avec moins d’un million d’euros, un pari fou. Mais nous avions une envie folle de le relever. Des feux dans la nuit ne serait pas une reconstitution historique, nous avons plutôt cherché à l’emmener vers la stylisation du conte. Voici ce que dit Dominique de nos références dans le dossier de presse : « Quand j’ai rencontré Pascale Marin, elle avait déjà fait des recherches visuelles, nous avons évoqué les contrastes et les ombres de La Nuit du chasseur, de Charles Laughton, les couleurs froides très expressives des extérieurs de Silence, de Martin Scorsese, ou encore la magie et la rudesse des lumières naturelles dans Michael Kohlhaas, d’Arnaud des Pallières. »

Le décor

A l’écriture, Dominique imaginait un fjord norvégien, notre financement nous a emmenés en Corse jusqu’à la petite plage de Ficaghjola. Très encaissée, orientée nord nord-ouest, les seuls accès sont par bateau ou par un sentier escarpé, sans possibilité de véhicules et pas d’électricité sur place. On peut dire qu’on était déjà dans l’histoire. Une météo moins ensoleillée que d’habitude pour un printemps corse nous a bien servie, sans rien ôter à la beauté du lieu mais soulignant son âpreté.

Photos de repérages - © Pascale Marin
Photos de repérages
© Pascale Marin


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Caméra et équipe embarquées (à gauche) - Lionel Vinck, perchman (à droite) - © Dominique Lienhard (photo de gauche) - © Laura Marret (photo de droite)
Caméra et équipe embarquées (à gauche) - Lionel Vinck, perchman (à droite)
© Dominique Lienhard (photo de gauche) - © Laura Marret (photo de droite)

Le matériel

Nous avons été très frugaux. Nicolas Bouchard, à l’époque chez Transpa a été un vrai partenaire, il a bataillé pour que nous ayons de quoi tourner malgré une enveloppe très réduite. Pour la caméra, une RED Epic Dragon, pour les optiques, une série Zeiss GO et un zoom Angénieux 25-250 mm devant lesquels je mettais toujours un Hollywood Black Magic. Gérard Cadiou, chez Transpacam, avait soigneusement sélectionné pour nous une de leur série Zeiss GO qui supporterait d’être motorisée. Très légers, ultra compacts, extrêmement lumineux, ils ont été des alliés infaillibles.

Côté lumière, une boule HMI de 4 kW était notre plus grosse source pour les extérieurs nuits, secondée de deux M18 et de deux SkyPanels S60. Pour les intérieurs jour l’un des M18 reprenait du service en réflexion à travers l’une ou l’autre des fenêtres ainsi qu’un Joker 800, et dans la pièce un Switch DMG en version classique ou mini.

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Pour les intérieurs nuit, un pipeline et quelques sources "maison" à base d’ampoules dépolies ou de bougies. Nos personnages sont pauvres et vivent dans un endroit reculé, avec Baptiste Vinciguerra, l’accessoiriste, nous avions convenu que pour les intérieurs nuit il y aurait très peu de bougies à vue. Hervé Redoulès, le chef décorateur, avait fait construire un "fucone" pour notre intérieur principal, un âtre ouvert traditionnel, signe de la pauvreté des personnages qui n’ont pas les moyens d’un âtre en pierre. Dans ce "fucone" nous alternions entre effets de lumière, rampe à gaz, parfois vrai feu de bois.

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Concernant les mouvements, pas de dolly, juste un plateau et des rails. J’ai aussi organisé les choses pour que nous puissions avoir un Ronin, cela nous a permis de bouger même dans des endroits très accidentés et aussi de stabiliser certains de nos plans en bateau quand nous devions filmer depuis une autre embarcation.

Travelling plage et Pierre-Marie Paubel, opérateur Ronin - © Pierre-Marie Paubel (photo de gauche) - © Laura Marret (photo de droite)
Travelling plage et Pierre-Marie Paubel, opérateur Ronin
© Pierre-Marie Paubel (photo de gauche) - © Laura Marret (photo de droite)

Les costumes

Dominique imaginait initialement des costumes dans les tons bruns. Mais Alexia Crisp-Jones, la costumière, lui a proposé que tous les habitants du village soient vêtus avec des déclinaisons d’indigo. J’ai totalement souscrit à cette idée et je l’ai appuyée, d’une part pour l’identité particulière que cela procurait, d’autre part car je savais que le contraste de couleur sur les rochers rougeâtres de la plage de Ficaghjola serait à notre avantage, enfin et surtout car je souhaitais "bannir" le rouge de tout le début du film.

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Le rouge

La couleur rouge a vraiment une signification particulière dans le récit, associée à la mort, elle fait irruption à l’image avec le morceau de tissu qui sert d’appât pour la pêche aux poulpes, ensuite avec la découverte du bateau des morts et la couleur de leurs vêtements qui "contamine" l’image comme la maladie se répand parmi les villageois.
Cependant, avec de nombreux éclairages sensés provenir de feux, de torches et de bougies, l’équilibrage était subtil. Avec Vincent Amor, l’étalonneur, nous avons, à la fin de l’étalonnage, refait une passe spécifique de toutes scènes de nuit éclairées par des flammes afin de doser cette arrivée progressive du rouge. Au début, quand ils sont affamés, la couleur des flammes est dorée avec presque une pointe de vert, puis quand l’opulence revient, on est dans des teintes plus confortablement orangées, enfin, quand Alan brûle la robe de sa sœur, nous avons poussé la saturation du rouge dans les flammes au-delà du naturalisme.

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Bateau réel, bateau virtuel

En plus des barques de pêche des villageois avec lesquelles nous avions de nombreuses séquences, deux bateaux apparaissent à l’image. L’un réel, l’autre virtuel.
Parce que les contradictions font aussi le sel de notre métier l’apparition du bateau réel devait être quasi irréelle et j’espère que les spectateurs seront convaincus que l’épave de notre bateau virtuel repose réellement au fond de la Méditerranée.

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L’enjeu avec avec ce bateau virtuel a été de déterminer la position exacte de son échouage sur les rochers et de faire comprendre à nos figurants qui évoluaient autour, à bord de barques, les déplacements qu’ils devaient effectuer autour d’un bâtiment qui n’existait pas encore, sachant qu’en cela ils n’étaient pas toujours aidés par la houle. Anaïs Versini, première assistante réalisatrice, a été une fantastique alliée.

Schéma pour la modélisation du bateau échoué - ©Fabrice Barbey – Protozoaire
Schéma pour la modélisation du bateau échoué
©Fabrice Barbey – Protozoaire


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Voir la mer, même dans la nuit noire

Lors d’une de nos sessions de découpage, Dominique me décrivait un plan qu’il avait imaginé pour l’une des séquences de surveillance des feux. Les deux personnages sont face à la mer, le feu est à l’avant-plan et éclaire leur dos. Je lui ai proposé de travailler en double passe afin de conserver les reflets de la mer et pas un aplat entièrement noir. Les personnages éclairés par le feu ont été tournés en pleine nuit et l’arrière plan de mer avec la ligne des rochers se découpant sur le ciel en nuit américaine. Fabrice Barbey, de Protozoaire, notre prestataire VFX, assurant la fusion des deux. C’est peut-être cette idée qui m’a valu le plus beau compliment d’un réalisateur, Dominique Lienhard a écrit pour le dossier de presse : « Je suis impressionné par le travail de Pascale. C’est une magicienne. »

Bande annonce officielle :


https://youtu.be/7sIo5GEIda0

Équipe

Pour accomplir cette magie je n’aurais pas pu travailler seule, j’ai été entourée d’une équipe magnifique, le film leur doit énormément, ainsi qu’aux entreprises qui nous ont accompagnés dans l’aventure sans jamais nous lâcher.
Assistante caméra : Eléa de Celles
Cadreur Ronin : Pierre-Marie Paubel
Chef électricien : Bertrand Artaut, assisté de Thibault Bru
Cheffe machiniste : Laura Marret, assistée de Lola Ruet
Etalonneur : Vincent Amor

Technique

Matériel caméra : Transpacam (RED Epic Dragon, optiques Zeiss GO, zoom Angénieux 25-250 mm)
Matériels lumière et machinerie : Transpalux et Transpagrip
Laboratoire : Micro Climat
Etalonneur : Vincent Amor
VFX : Protozoaire (Fabrice Barbey)

synopsis

Un village isolé entre mer et montagne. Ses habitants tentent de survivre comme ils peuvent. Le père d’Alan, un jeune garçon de 15 ans, est parti se louer pour deux ans, loin de là, laissant le jeune Alan responsable de la survie de la famille. Une tâche démesurée pour Alan qui se voit aussi attribuer la responsabilité de surveiller de grands feux allumés sur la plage, pour faire cuire du sel, mais aussi, finit-il par apprendre, pour attirer les bateaux les soirs de tempête. Une nuit, un bateau s’échoue en offrant aux villageois sa précieuse cargaison. Une manne divine ?