Disparition d’Alain Le Roy, superviseur d’effets visuels

Contre-Champ AFC n°308

Nous avons appris avec tristesse la nouvelle du décès d’Alain Le Roy, superviseur d’effets visuels, emporté par un cancer aux suites pour le moins brutales dans la soirée du jeudi 16 avril 2020, à l’âge de 65 ans. Son rôle dans le domaine des effets spéciaux et visuels mérite que sa mémoire soit ici saluée, la société Excalibur, qu’il avait fondée, ayant eu sous son impulsion une importance évidente dans le domaine des industries techniques du cinéma. Christian Guillon et François Vagnon témoignent.

En avant-propos d’un "In memoriam", par Christian Guillon, PDG des Tontons Truqueurs
Certains d’entre vous ont connu Excalibur, et son fondateur et dirigeant, Alain Le Roy.
Pour les autres, Excalibur a été une société pilier du renouveau des effets spéciaux français, entre 1980 et 2010.
Alain Le Roy était un des pionniers, artisan équilibriste de l’arrivée des outils électro-mécaniques puis informatiques dans le cinéma, depuis le Motion Control, jusqu’aux CGI.

Vous lirez ci-dessous un texte écrit par François Vagnon, qui a été l’un de ses associés pendant dix ans. Ce texte retrace rapidement le parcours d’Excalibur, qui a été l’œuvre d’Alain Le Roy, et a contribué à plus de 70 longs métrages et d’innombrables publicités.
Il est également remarquable de noter que la société Excalibur a été conçue par Alain suivant ses convictions, de partage et de solidarité, et selon un principe égalitaire d’associés.
La lecture du texte de François vous en dira plus sur la place unique qu’Excalibur a tenue dans le paysage des VFX en France pendant trente ans. Il est vrai qu’Alain n’était plus dans le circuit depuis quelques années mais sa place est bien au Panthéon des illusionnistes et faux-imageurs que nous sommes, et à défaut de retrouvailles dans un cimetière, cela mérite sans aucun doute une pensée commune, voire un hommage.

Alain Le Roy nous a quittés, par François Vagnon, superviseur VFX et photographe
Ma première rencontre avec Alain Le Roy remonte à une soirée hommage à Jean-Marie Guinot, professeur d’optique à l’Ecole Louis-Lumière (dite "Vaugirard"). Cette soirée réunissait, autour d’Yves et Michèle Tulli dans les locaux d’Acmé Films, de nombreux anciens élèves de l’École dont Alain faisait partie (Cinéma promo 1976). Ceux qui l’ont connu à l’École disent se souvenir qu’il était un des rares à s’intéresser aux trucages et au domaine des effets spéciaux. A sa sortie de l’École, comme beaucoup d’entre-nous, il a fréquenté assidument les ateliers d’Alga-Samuelson à Vincennes et notamment le département optique où il a su y nouer des amitiés qui ont perduré bien des années plus tard.

Son intérêt pour les trucages optiques l’a conduit à se rapprocher de Georges Pansu et à collaborer avec Eurocitel. Si Eurocitel s’occupait des trucages optiques qu’on appelle maintenant de postproduction, Alain prenait en charge différents trucages impliquant de la prise de vues réelle, souvent image par image (Stop-Motion), des opérations de rétroprojection (transparences), de maquettes premier-plan filmées sur point nodal. Au fil du temps, une entreprise dédiée est devenue nécessaire et c’est ainsi qu’est née Excalibur, en 1982, sur la volonté d’Alain Le Roy.

Il avait été décidé par Alain de faire un investissement lourd dans un système de Motion-Control, d’installer un studio de 400 m2 dans des locaux implantés chez GTC, à Joinville-le-Pont. Cela a dynamisé Excalibur. C’est ainsi que j’ai retrouvé Alain, en juin 1987, puisqu’il m’a confié la tâche de piloter ce robot de prises de vues et de prendre en charge cette activité. Ce système a ouvert le marché vers les spots publicitaires, des clips comme "La Mère à Titi" du chanteur Renaud. C’était les débuts de la vidéo numérique, et la capacité du Motion-Control à effectuer des multi-passes étendait celle des trucages possibles.

Tournage avec le Motion Control d'Excalibur de "La Mère à Titi", clip d'Olivier Chavarot avec Renaud et Eric Serra - Images extraites d'un Making-Of produit par L'Envol Productions, en 1988
Tournage avec le Motion Control d’Excalibur de "La Mère à Titi", clip d’Olivier Chavarot avec Renaud et Eric Serra
Images extraites d’un Making-Of produit par L’Envol Productions, en 1988

Connaissant aussi l’histoire des trucages, Alain Le Roy a impulsé en France le retour de la technique du Matte-Painting en diffusant largement, sous forme d’un essai, la reconstitution de La Bastille à l’époque de la révolution française, afin de prouver à la fois la faisabilité et l’intérêt de la technique. Nous n’étions pas loin des cérémonies du bicentenaire, le choix était excellent.

Avec Christian Ange, d’Eurocitel et d’Excalibur, dont les compétences en matière d’optique, de travelling-matte sur fond vert en Truca étaient reconnues jusqu’aux USA, a été mis au point un système exclusif et novateur pour recomposer prise de vues réelles et peinture sur verre. A l’époque le système était piloté par un Minitel.

C’est ainsi que Jean-Marie Vivès, qui avait reconstitué La Bastille, a créé des trucages pour Bunker Palace Hotel, d’Enki Bilal. Quelques années plus tard, le système a été repensé et était piloté par un PC mais le principe de base était le même. Il a servi pour certains plans des Visiteurs et bien d’autres longs métrages. Paul Swendsen a pris le relais de Jean-Marie Vivès pour créer les Matte-Paintings de Giorgino, de Laurent Boutonnat , de Marie de Nazareth, de Jean Delannoy, pour n’en citer que quelques-uns.

Christophe Grelié, qui travaillait avec Alain depuis 1986, fit venir en renfort Yves Pupulin, pour répondre à la demande de rétroprojections (transparences) pour des longs métrages et clips. Un projecteur 35 mm dédié a été mis en place avec système de synchronisation des obturateurs. La synergie Excalibur – Eurocitel – GTC pour le tirage des pelures dédiées fonctionnait parfaitement. Christophe et Yves ont ensuite élargi leur champ d’activités et de supervision de trucages dans d’autres domaines techniques.

La nécessité permanente d’inventer de nouveaux outils, pilotable par moteur ou manuellement, a conduit à la nécessité d’avoir des compétences en mécanique, savoir fraiser, tourner, était nécessaire. Benoît Morvan les a acquises et s’est montré multi-tâches, aussi bien assistant à la prise de vues, projectionniste, machino, électro...

Les projets alliant mécanique, électronique et informatique se sont développés et un Motion-Control "portable", le Field-Recorder a été mis au point. Des projets ambitieux ont essayé de voir le jour comme une Louma motorisée en collaboration avec Jean-Marie Lavalou.

Le besoin de se doter d’un atelier de fabrication de maquettes et décors est devenu une évidence et Frédéric Jangot, attiré par la réputation d’Excalibur, l’a créé ex-nihilo. Frédéric a su s’entourer d’une équipe nombreuse et fidèle ne comptant pas ses heures. De ces ateliers sont sortis aussi bien des décors pour les parades de Disney que les énormes maquettes pour La Cité des enfants perdus, de Caro et Jeunet.

Maquette de "La Citée des enfants perdus", film de Caro et Jeunet
Maquette de "La Citée des enfants perdus", film de Caro et Jeunet

Au fil des années, le rôle d’Alain Le Roy dans l’entreprise s’est fait plus administratif, secondé par Corine Debeauquesne, commerciale, Luc Augereau a rejoint l’entreprise pour couvrir cet aspect. Alain parcourt alors des kilomètres à bord de sa vieille Ford Escort, muni désormais d’une valise téléphone Radio-Com 2000, pour aller de Joinville en banlieue Est, au triangle Ouest de Paris - Neuilly - Levallois pour des réunions préparatoires aux tournages dans les boîtes de prod’. Mais il continuait à superviser lui-même des tournages de nuages en aquarium, technique qu’il maîtrisait, même si la part d’aléatoire est grande dans les mélanges d’eau claire, salée et des injections de lait. C’est ainsi qu’ont été fabriquées des séquences d’orage pour des films d’Yves Robert et même plus tard pour Le Prince du Pacifique, d’Alain Corneau.

Les réunions techniques se faisaient collectives dans le bureau d’Excalibur. Alain savait se montrer pédagogue dans ses explications. Chacun allait de son idée, de ses propositions, pour examiner, décortiquer les story-boards des spots publicitaires qui arrivaient par fax, comme par hasard surtout le vendredi en fin d’après-midi. Méthode et devis à rendre à la production le lundi matin... Week-end studieux en perspective pour tous.

Heureusement les tournages des innombrables pack-shots tournés au Motion-Control laissent aussi la place à des tournages pour des plans de longs métrages : La Cité de la peur, d’Alain Berberian, L’Accompagnatrice, de Claude Miller, I Want to Go Home, d’Alain Resnais, où l’on couple Motion-Control et Front-Projection, Jefferson In Paris, James Ivory est sur le plateau, c’est Pierre Lhomme qui éclaire. On fait tourner sur une tournette motorisée Gérard Jugnot sur fond vert pour les trucages supervisés par Christian Guillon des 1001 nuits, de Philippe de Broca, les plans serviront pour des trucages optiques en Slit-Scan (machine construite spécialement) et pour des trucages numériques qui commencent.

James Ivory et Humbert Balsan sur le plateau d'Excalibur pour le tournage de la séquence servant au générique du film "Jefferson in Paris", en 1995
James Ivory et Humbert Balsan sur le plateau d’Excalibur pour le tournage de la séquence servant au générique du film "Jefferson in Paris", en 1995

Au fil des années, Excalibur est intervenu avec différents types de trucages sur plus de 70 longs métrages. J’ai le souvenir d’Alain Le Roy accueillant Youssef Chahine qui venait s’assoupir sur nos banquettes en attendant de voir en projection les plans truqués intégrés dans les bobines pendant que Jean-Marc Grégeois, de GTC, les étalonnait. D’Alain qui échangeait au restaurant des Audis avec Raoul Ruiz à propos de trucages à faire avec le SimpliFilm. Raoul Ruiz adorait les trucages faits en direct à la prise de vues.

Christophe Grelié, surveillant si le périscope passe, sur le tournage d'une maquette de bateau pour "L'Émigré", de Youssef Chahine, en 1994
Christophe Grelié, surveillant si le périscope passe, sur le tournage d’une maquette de bateau pour "L’Émigré", de Youssef Chahine, en 1994

On est à un moment charnière, et les trucages numériques pour le cinéma commencent à peine en France. La complémentarité du tournage en 35 mm et de l’image de synthèse devient l’évidence.
Pour des spots de publicité, Excalibur travaille de concert avec les pionniers de l’époque : Jacques Bled et Rodolphe Chabrier (Mac Guf), Pierre Buffin (Buf Compagnie), les équipes de Mikros, des liens plus étroits et techniques se nouent avec ExMachina, où l’amitié qui lie Alain et Daniel Borenstein (ancien de Vaugirard également) facilitent les choses.

Excalibur décide de créer un département de trucages numériques, que je dirige alors, Arnaud Fouquet me seconde et une collaboration plus étroite se noue avec Christian Guillon, désormais responsable à ExMachina. Nous collaborons pour La Femme du cosmonaute, de Jacques Monnet, puis pour Mad City, de Costa Gavras, en 1996-1997. Nous avons recyclé une vieille caméra Roux pour construire un système de kinescopage haute résolution pour le retour sur film des images truquées numériquement.

Mais dix ans avant, en 1987, Paul Coudsi réalise un court métrage de synthèse, Stylo, qui sera produit par Georges Pansu d’Eutocitel, c’est Alain Le Roy qui éclaire le film avec des sources virtuelles, Daniel Borenstein est détaché de TDI (qui deviendra ExMachina) et co-réalise le film. Le film remporte le prix Pixel INA de 1988, entre autres distinctions.

L’expérience se renouvelle en 1990 avec Réveil, toujours de Paul Coudsi. Cette fois-ci, il s’agit de mélanger des images de synthèse avec des prises de vues Motion-Control, sans doute une première technologique, bien avant tous les logiciels de tracking qui existent maintenant.

Cela prouve, si besoin, le rôle de pionnier dans l’histoire des effets spéciaux et visuels français qu’aura eu Alain Le Roy et l’entreprise dont il est à l’origine, Excalibur.

Bien sûr, si Excalibur peut s’enorgueillir du rôle qu’elle a joué dans l’histoire des industries techniques du cinéma, comme toute entreprise, elle a connu des difficultés.
Le mode de fonctionnement, une fois qu’Excalibur a pris une indépendance financière et partenariale complète, vis-à-vis d’Eurocitel, a conduit à une forme de cogestion entre les salariés devenus associés, un esprit coopératif. Alain maintenait un point d’équilibre, cela a très bien fonctionné assez longtemps, puis surgirent des conflits humains, parfois douloureux, en contraste avec l’utopie de départ. Alain en aura été meurtri d’évidence.

L’arrivée d’autres entreprises sur ce marché étroit, l’émergence dans le domaine de la publicité des "cost-controllers" qui savaient faire jouer la concurrence d’une manière souvent déloyale, des producteurs déposant le bilan puis renaissants sous une nouvelle raison sociale, laissant des ardoises qu’ils savaient ne jamais assumer, auront eu raison de l’entreprise Excalibur.

Alain Le Roy a alors quitté complètement le domaine du cinéma, et je pense qu’il ne souhaitait pas renouer avec les contacts passés.

Alain Le Roy, sur le tournage d'un clip, en 2016
Alain Le Roy, sur le tournage d’un clip, en 2016

A l’occasion de son décès, nous avons appris qu’il avait repris depuis quelques années des activités qui lui tenaient à cœur, la scénographie et la muséographie. Alain Le Roy a contribué à la mise en scène et mis en lumière les expositions "Voir, ne pas voir la guerre" (Musée d’histoire contemporaine - 2001), "Corse Industrielle" (Musée de la Corse à Corte - 2004), "L’autochrome" (2003) et "En quête d’Irlande" (2005) pour le musée Albert Kahn, à Boulogne-Billancourt. Puis les expositions "Doisneau chez les Joliot-Curie" (CNAM - 2005), "Studio Harcourt" Paris (2005) et "A la recherche d’Albert Kahn", pour le musée en 2013.

Nous avons tous une pensée à l’égard de sa famille et de ses proches, Alain allait avoir 66 ans et c’est bien tôt, c’est toujours trop tôt pour les quitter.

Alain était extrêmement discret avec nous sur sa vie en dehors de l’entreprise, sur ses origines. Ce témoignage est donc essentiellement professionnel car c’est ainsi que je l’ai connu.

Sans doute beaucoup se souviennent encore de lui, de son travail et de son rôle. Alors il serait légitime, même si cela peut paraître maintenant de l’histoire ancienne - vingt ans sont passés -, qu’un hommage professionnel lui soit rendu, dès que cela sera possible en cette période particulière. Que lui soit donné la juste reconnaissance de sa contribution essentielle et visionnaire pendant plus de vingt cinq ans, à l’Histoire des effets visuels du cinéma français.

  • Lire les témoignages de certains de ses camarades de promotion à l’Ecole Louis-Lumière sur le site Internet des ALL (Anciens de Louis-Lumière).

Dans le portfolio ci-dessous, d’autres exemples de tournages effectués avec les moyens d’Excalibur.

Messages

  • Un morceau de ma vie professionnelle qui se rappelle à moi avec la disparition d’Alain Leroy. J’ai connu Alain en 1979, rue Raymond Losserand, dans le studio de Camé 5, avec Alain Breuvard et Daniel Borenstein. On le surnommait "Aramis" et Alain Breuvard, c’était Tintin. Avec Daniel Borenstein, ils bricolaient notamment des bancs de repro pilotés par des moteurs pas à pas et un vieux Parvo de 1905..., reliés à des circuits imprimés... Et sur le tout petit plateau, on faisait des trucages fous pour la pub en 35 mm. Un paquet de souvenirs. Après, avec Yves Tulli et Alain Laury, ils ont monté Acmé Films, rue Paul Fort, le studio a assuré une partie de la logistique de mon tout premier film terminé en 1982, "Nuit". On se croisait jusqu’en 1983, je suis parti vivre et travailler à Montpellier... On s’est retrouvé en 1987 avec le lancement du Stylo à cause de Daniel Borenstein... Mais Alain a joué un rôle décisif dans la réalisation du "Stylo", notamment dans la mise au point du système de prise de vues, ainsi que le découpage et les cadrages du film. Je pense avec le recul qu’il a eu sa part de responsabilité dans l’idée même du film... Pour le "Réveil", Excalibur a assuré le tournage avec Motion Control et le trucage prise de vues réelles, animation 3D, ainsi que la coproduction avec Eurocitel..
    Alain était un acteur très créatif du domaine des effets spéciaux en cinéma en France, grâce à son savoir-faire et au studio Excalibur qu’il avait monté à Joinville le Pont.
    Nous avions tous un investissement personnel et créatif énorme dans ce domaine à cette époque. La relation professionnelle allait de pair avec l’estime et le respect, quand ce n’était pas l’admiration, autant pour les personnes que pour les projets.

    Voir en ligne : Témoignage