Dominik Moll et Jean-François Hensgens, AFC, SBC, parlent de leur collaboration sur "Des nouvelles de la planète Mars"
Sortie en salle le 9 mars 2016Le résultat : Des nouvelles de la planète Mars, une comédie existentielle dans laquelle Philippe Mars (François Damiens) doit faire face à un maelström d’événements qui vont secouer l’équilibre de sa vie trop tranquille.
Retour sur quelques aspects de la fabrication du film avec le duo réalisateur - chef opérateur. (FR)
Le film est une comédie, mais il est délibérément sombre dans son ambiance générale. Presque tout se passe de nuit...
Dominik Moll : Dès l’écriture du scénario (en collaboration avec Gilles Marchand), je souhaitais que ce soit un film très nocturne, qui se passe à la sortie de l’hiver quand les jours sont encore courts, pour qu’il fasse encore nuit quand Philippe Mars se rend au travail, et déjà nuit quand il rentre le soir. Ceci pour accentuer le côté cauchemardesque de ce qui arrive au personnage car la nuit a un côté plus fictionnel et plus proche du rêve que le jour. Je souhaitais que le film glisse lentement vers quelque chose qui s’éloigne d’un réalisme pur, qu’il ait un côté "mental". D’où aussi des incursions vers le surréel : le rêve où Philippe se voit en cosmonaute, les apparitions des parents défunts, etc.
Jean-François Hensgens : Dominik aime qu’il y ait des choix formels tranchés qui servent l’histoire. Ce n’est pas parce que nous sommes dans une comédie que cela nous dispense d’une exigence formelle. Il voulait que le film soit comme un long tunnel dont le personnage ne ressort qu’à la fin. Donc beaucoup de scènes de nuit, avec une image qui a du caractère et qui ressemble presque plus à l’image d’un thriller. Les quelques scènes de jour, comme par exemple dans la boîte d’informatique où il travaille, ont été traitées de façon à ce qu’on ne voit pas le ciel et qu’on s’y sente comme dans un bocal hermétique.
DM : Et la seule fois où l’on voit du ciel bleu et le soleil, c’est dans la dernière séquence du film, quand Philippe semble à nouveau regarder vers l’avenir avec une certaine confiance retrouvée. Ce sont ce genre de choix, pensés au préalable, qui permettent de donner plus de force à un récit.
Vous êtes-vous inspirés d’autres films ?
JFH : Parmi les choses qu’on a regardées, je me souviens notamment de Punch Drunk Love, de Paul Thomas Anderson. Une comédie romantique au ton très singulier, surtout en termes de cadrage et de mise en scène, et qui montrait bien qu’on pouvait se permettre des choix singuliers dans une comédie. Une autre référence a été certains films des frères Coen, comme Fargo, A Serious Man ou Inside Llewyn Davis, qui opèrent eux aussi des glissements d’une réalité en apparence banale vers des univers plus décalés. Je me souviens aussi qu’après la première lecture du scénario, Dominik m’avait dit, pour m’aider à me détacher d’une image trop naturaliste, qu’on pouvait tout à fait imaginer que Philippe n’ait en réalité pas survécu à la scène du hachoir, et que tout le reste du film soit un voyage dans les limbes, une sorte de rêve post mortem...
Une grande partie du film a été tournée en studio ?
DM : Lors de la préparation, nous n’avions pas d’emblée exclu le décor naturel mais on s’est vite rendu compte que cela aurait été un cauchemar logistique, d’autant plus que je voulais qu’il se situe en hauteur (11e étage). Et en termes purement économiques, Stéphane Riga, le directeur de production, avait calculé que le tournage en studio ne serait pas plus cher qu’en décor naturel où nous aurions dû appliquer les tarifs de nuit, sans parler de la fatigue qui s’accumule, etc. Et puis j’aime beaucoup le studio, pour le confort de travail et parce qu’on peut concevoir le décor de façon à ce qu’il serve au mieux la mise en scène.
JFH : Mais Dominik se méfie aussi du côté trop confortable du studio, où l’on sent que l’on triche trop avec les dimensions de l’appartement. Là aussi, avec la chef décoratrice Emmanuelle Duplay, il y a eu un choix tranché : celui de se servir du décor studio comme d’un décor naturel. De concevoir l’appartement et le palier au mieux par rapport aux besoins de la mise en scène, mais de ne presque pas tricher sur les proportions, de n’avoir quasiment pas de cloisons amovibles, et de le plafonner entièrement.
DM : C’est aussi un choix qui aide les comédiens car ils se sentent comme dans un vrai appartement. Je souhaitais aussi que la découverte de nuit fonctionne en direct, toujours dans l’idée de mettre les comédiens dans la bonne ambiance. Le résultat était bluffant, en regardant par les fenêtres, on avait vraiment l’impression de regarder une ville nocturne. Comme l’appartement était censé être situé dans un étage élevé, le décor était construit sur praticables, à environ deux mètres du sol.
Quelle solution avez-vous adoptée pour la découverte ?
JFH : Dominik est très précis dans ses demandes, assez perfectionniste. Il avait surtout peur que le ciel ne soit pas assez dense car il voulait que les lumières lointaines de la ville rappellent le ciel étoilé des rêves de cosmonaute. Nous avons dans un premier temps envisagé la solution "translight" rétro éclairée, mais on s’est justement rendu compte que la densité du ciel serait trop claire et qu’il était très compliqué de travailler le ciel et les immeubles séparément. Du coup Emmanuelle Duplay a proposé la solution de très grands tirages photo "classiques" contrecollés sur panneaux Forex pour la ligne d’horizon formée par les immeubles. Ces panneaux Forex étaient placés à plusieurs mètres des fenêtres du décor. Et 3 ou 4 mètres derrières les immeubles, il y avait un ciel nocturne peint sur le mur du studio. Cela permettait d’éclairer séparément les immeubles et le ciel.
DM : Dans les panneaux Forex, nous avons également percé des trous derrière lesquels étaient placés des LEDs, avec différentes gélatines et calques, pour pouvoir créer des variations dans l’intensité et la colorimétrie des fenêtres éclairés et autres points lumineux. De plus, toutes les LEDs étaient sur dimmer. Ce que l’on voit est donc un mélange entre les éclairages qui sont sur les photos et des lumières rajoutées. Dans l’espace entre les immeubles et le ciel peint, nous avons en plus tendu des guirlandes, de type guirlandes de Noël, pour créer des lumières encore plus lointaines.
JFH : C’était un vrai travail de fourmi mais qui permettait, en variant le nombre de points lumineux, de donner l’illusion que la découverte varie selon les heures, entre des ambiances avec beaucoup de lumières allumées pour les débuts de soirée, et d’autres avec uniquement des lumières isolées pour les scènes en milieu de nuit. C’était un prélight qui a mobilisé pas mal de temps et de ressources, mais ensuite le tournage en studio a pu se faire en petite équipe (deux électros et deux machinistes), avec une stratégie d’éclairage à base de plaques à LEDs souples, qui nous permettait d’aller vite car nous ne disposions que de sept semaines et demie de tournage pour l’ensemble du film.
Les scènes de voiture ont-elles également été tournées en studio ?
DM : Je m’étais juré de ne plus jamais travailler avec des voitures travelling. A chaque fois, c’est un cauchemar. C’est compliqué de parler aux comédiens entre les prises, le son est souvent inutilisable, on ne peut même pas rouler très vite, il y a beaucoup de perte de temps pour se remettre en début de trajet, bref, je n’en voulais plus. C’est pour cette raison que j’ai demandé à Jean-François d’étudier la possibilité de tourner les nombreuses séquences de voitures de la dernière partie du film en studio.
JFH : J’avais déjà pas mal d’expérience en ce domaine et j’avais trouvé les résultats plutôt convaincants. Pour Mars, toutes les scènes de voitures étaient de nuit. On avait deux cas de figure qui se présentaient, avec ou sans pluie... Pour les scènes sans pluie nous avons travaillé avec des fonds verts, en mettant au point un ballet de passages de projecteurs, sur les visages des comédiens, pour simuler à la fois le passage des éclairages publics et les phares des voitures qu’ils croisent. Avec des variations de fréquence et de type de lumière selon qu’on était en zone urbaine ou sur autoroute. Une deuxième équipe a ensuite tourné des pelures qui ont été incrustées en postproduction.
Et les scènes avec pluie ?
JFH : Les scènes de pluie paraissaient dans un premier temps plus compliquées. L’idée était de faire la pluie en direct sur les vitres et le pare-brise, avec le même principe de fond vert et de pelure. Mais pour que la pluie marque sur les vitres (en prévision d’une incrustation sur fond vert), il fallait mélanger l’eau avec du lait, ça devenait très compliqué.
Finalement on a fait des essais en tournant ces séquences de pluie sans fond vert, avec un peu la même technologie basique que les découvertes de l’immeuble. Du coup, les fonds étaient noirs, et nous déplacions lentement des bandes de LEDs en arrière-plan pour simuler quelques lumières lointaines qui se diffractent avec les gouttes de pluie sur les vitres. Ça fonctionnait vraiment très bien et nous avons adopté ce principe. La création d’une sorte de bac pour récupérer l’eau autour de la voiture dans le studio de Bry-sur-Marne complétait la chose.
DM : C’était très amusant de bricoler ça en direct et très satisfaisant de pouvoir visualiser sur l’écran de contrôle un résultat immédiat et crédible. Il faut quand même souligner que cette mise en place fonctionne bien tant qu’on reste sur des plans de profil. Les plans de face deviennent beaucoup plus statiques à cause de la difficulté à générer des lumières qui se déplacent de manière réaliste dans la profondeur. Comme je préfère filmer les scènes de voiture de profil, cette méthode me convenait parfaitement. Et en plus il suffisait d’ouvrir la vitre de la voiture pour parler aux comédiens !
Comment avez-vous cadré le film ?
DM : Pendant la préparation du film, Jean-François m’avait parlé du Stab One, ce système de caméra gyro-stabilisé. Nous avons fait des essais et son utilisation nous semblait intéressante, notamment dans l’appartement, puisqu’il offrait un compromis entre souplesse, simplicité d’utilisation et stabilité, tout en permettant à Jean-François de cadrer lui-même. Mais comme nous n’avions pas le budget pour avoir deux corps de caméra en permanence, l’une en configuration Stab One, l’autre en configuration machinerie classique, nous avons pris la décision de faire tout le film en Stab One. Car une installation/désinstallation prend environ 20 minutes, comme quand on passe d’un plan normal à un plan Steadicam. Et forcément, on s’est retrouvé dans des cas de figure où le Stab One n’est pas du tout l’outil adéquat.
Lesquelles ?
JFH : C’est quand même une technologie assez fragile, et dans des cas de figure un peu rock’n roll, comme les scènes finales en extérieur sous la pluie, les système peut vite avoir tendance à se dérégler et à faire des mouvements incontrôlables, comme s’il voulait mener sa propre vie.
DM : Je pense que le Stab One est bien adapté à quelques situations spécifiques, mais je ne m’engagerai plus à faire un film exclusivement avec ce système. Probablement parce que, par goût, je préfère la précision de la machinerie classique et que finalement j’essayais de me servir du Stab One pour reproduire des mouvements mieux adaptés à de la machinerie classique. Je pense que c’est un système qui peut très bien convenir à certains styles de mise en scène mais pas forcément au mien. Par exemple, Jean-François l’a de nouveau utilisé à 100 % sur L’Economie du couple, le film de Joachim Lafosse, qui en était très content car c’est un système qui convient bien à son style de mise en scène.
Quels ont été vos choix techniques ?
JFH : Je suis quelqu’un qui aime bien creuser les outils avec lesquels je travaille. C’est pour cette raison que je change assez peu de caméra. Depuis quelques films déjà j’explore les possibilités de la Red Dragon qui me convient bien, et avec laquelle je me sens en confiance. Sur ce film, j’ai décidé de lui adjoindre une série G anamorphique de Panavision, pour donner aux arrière-plans cet aspect un peu irréel qu’on retrouve avec le Scope. Une autre technique que j’aime utiliser sur tous les films, c’est la polarisation à la prise de vues. En utilisant un filtre en permanence sur la caméra, j’arrive à contrôler les brillances dans l’image, un paramètre que je trouve essentiel quand on tourne en numérique.
Que ce soit sur les peaux, sur certains éléments de décors et, bien sûr, sur les paysages, la rotation du polarisant permet de doser exactement ce que je veux dès la prise de vues. La seule contrepartie, c’est la quantité de lumière. Car le filtre a un coefficient de 1 diaph 2/3, soit, avec le capteur de la caméra Red Dragon que j’exploite à 2 000 ISO, une sensibilité effective de l’ordre de 640 ISO. Ça revient à peu près, en termes de niveau, à ce qu’on pratiquait en 35 mm, d’autant que les optiques anamorphiques sont moins lumineuses que les sphériques.
Dominik, c’est votre premier long métrage en numérique. Ce passage s’est-il fait sans problème ?
DM : C’est vrai que mon dernier long métrage, Le Moine, avait encore été tourné en 35 mm et que j’ai un attachement un peu sentimental à la pellicule. Mais entretemps, j’avais tourné les deux épisodes de la série Tunnel en numérique, avec Jean-François à la lumière. C’était d’ailleurs notre première collaboration. La façon dont Jean-François avait travaillé le numérique, en le poussant dans ses limites, avait donné un résultat qui m’avait tout à fait rassuré, je n’avais donc pas vraiment d’appréhension.
JFH : Personnellement, j’aime beaucoup le fait que le réalisateur puisse – s’il le souhaite – visualiser en direct une image qui est très proche du rendu final souhaité. Surtout un réalisateur comme Dominik qui a un vrai point de vue sur l’image. Ça permet parfois de pousser des partis pris encore plus loin que ce qu’on aurait osé faire en pellicule.
(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)
Des nouvelles de la planète Mars
Directeur de production : Stéphane Riga
Chef décoratrice : Emmanuelle Duplay
Chef opérateur du son : François Maurel
Chef monteuse : Margot Meynier