En hommage à Pierre Soulages

Par Gilles Porte, AFC

par Gilles Porte Contre-Champ AFC n°336

Aujourd’hui le peintre Pierre Soulages est mort... Aujourd’hui je repense à ma rencontre avec Roger, en plein cœur du confinement 2020, dans le Gard, et aux mots que j’avais écrit dans l’éditorial de mai cette année-là.

« (...) Lors de ma première sortie journalière, je rencontre Roger, 84 ans. Un poil plus âgé que ma mère, Roger était agriculteur quand ma mère se lançait dans des études de médecine… Les vignes et les asperges, c’était son truc, à Roger… D’ailleurs il suffit de bien regarder ses mains pour comprendre que ce qu’il me raconte, c’est tout sauf de la littérature ! Roger me désigne cette fameuse deuxième ligne que constituent les agriculteurs, aujourd’hui cités en exemple. Passant le bonjour à ma mère, à 200 kilomètres d’ici, et à ma sœur, infectiologue à Toulouse, il se félicite du comportement exemplaire de "la première ligne"…
Pourtant Roger, à 20 heures, n’applaudit pas à sa fenêtre… Roger, à 20h, il peint… Il a commencé à l’âge de 17 ans ! Sa peinture n’est pas figurative et encore moins naïve, elle est abstraite…. Et Roger le revendique ! (…) Son métier de la terre ne lui a pas permis de se consacrer beaucoup à sa peinture dans sa vie active alors aujourd’hui, il s’y plonge.
Roger me raconte comment il a, un jour, décidé de vendre certaines de ses terres viticoles pour acheter une toile. Il en était tombé amoureux lors d’une exposition. Au village, beaucoup le prenaient pour un fou. En plus, la toile qu’il avait choisie n’avait pas de couleurs ! Fier, Roger me la fait découvrir dans un coin de son atelier et je remarque une tache sombre entre deux photos noires et blanches... Il a eu le nez creux Roger, ce noir est de Soulages ! (…) Il me confie que, bien qu’étant un admirateur de Soulages, il a toujours aimé se retrouver face à un immense écran blanc avant que le rayon du projecteur ne le prenne à revers. (…) Puis Roger ajoute : le domaine dans lequel tes collègues et toi exercez ne doit être pas être moins considéré que l’agriculture et la santé… Ce serait une grossière erreur que de prétendre l’inverse.
Rarement, je crois, il ne m’était arrivé de voir, dans un noir si opaque, un tel rayon de lumière… »

Aujourd’hui je vais appeler Roger et on va reparler de Pierre Soulages à l’heure où des grands écrans s’éteignent autour de nous et où des écrans LED, tout noirs, nous attendent, tapis dans l’obscurité...
Et comme dans un tableau du peintre, Roger fera apparaitre cette lumière secrète qui nous animait hier et nous animera encore demain. Merci Monsieur Pierre Soulages d’avoir existé !