Festival de Cannes 2023
Entretien avec Haya Khairat, "Encouragement Spécial Angénieux" 2023
"Burn like a Fire in Cairo", par François Reumont pour l’AFCCannes, c’est la première fois pour vous ?
Haya Khairat : Oui, je vais venir à Cannes pour la première fois de ma vie ! Et ce n’est pas rien pour une cinéaste égyptienne ! Cannes, c’est encore un mot qui me submerge... Enfin, une submersion idyllique. C’est bien sûr une sorte de rêve qui se réalise quand on vous invite au plus grand festival du monde. Être encouragée afin que je progresse dans mon travail, que mes images sont appréciées pour ce qu’elles sont... et qu’elles vont peut-être être vues par des gens du monde entier ! C’est une sensation presque indescriptible mais qui me remplit de force et de confiance en moi. C’est un peu comme si la plus forte des voies intérieures hurlait à mes oreilles : « Aie confiance en toi, tu es sur la bonne voie ! ». L’autre chose particulière, c’est que cette récompense n’est pas décernée pour un projet en particulier. C’est un encouragement collectif pour mon travail, ce qui le rend encore plus fort personnellement.
Que représente la marque Angénieux pour vous ?
HK : Je pense que tout le monde dans le milieu du cinéma connaît cette marque. En tant qu’assistante, Angénieux, c’est d’abord le zoom super lourd, et super cher que tout le monde sur le plateau chouchoute et a juste trop peur de laisser tomber par inadvertance ! Personnellement, j’aime beaucoup les zooms, et j’en utilise très souvent parce que ça me permet, par exemple, de donner la dynamique qui manque à un mouvement de caméra, notamment sur une dolly Panther. Et puis ce que j’admire aussi, c’est la qualité optique à laquelle ces zooms sont parvenus, imitant presque le rendu des focales fixes.
D’où vous est venue l’envie de faire des images en mouvement ?
HK : J’ai toujours été attirée par l’art depuis mon enfance. J’ai découvert la photographie grâce à mon père. Ce dernier m’emmenait tous les dimanches à travers Le Caire visiter et prendre des photos avec lui de manière très simple. On allait ensuite déposer la bobine de film au laboratoire... Ce petit rituel était devenu l’une des choses que j’attendais le plus chaque semaine !
Je me souviens ensuite de l’appareil photo Polaroïd qu’il m’a offert pour mes 8 ans. Un objet dont je suis tombée amoureuse tout de suite. Et depuis, chaque cadeau d’anniversaire a toujours tourné autour de la même passion. Que ce soit un nouvel appareil photo argentique, un nouveau Walkman, un lecteur MP3... jusqu’à mon premier DSLR à l’âge de 16 ans. Parallèlement à l’image, la musique a aussi joué une importance très grande dans mon apprentissage. Je me revois encore en train de chanter tout un tas de titres populaires de mon enfance, comme ceux de Norah Jones. Et quand l’ordinateur est arrivé dans notre foyer, j’ai pu commencer à bricoler dessus, en remontant les clips de mes chanteuses favorites, récupérant de-ci delà des plans issus de bandes-annonces ou de films pour en créer de nouveaux. Cette relation entre la musique et les images m’a toujours passionnée. Dans la voiture familiale, j’écoutais la radio, tout en imaginant un petit film allant avec à partir de ce qui m’entourait. Les feux de signalisation, la foule, les rues, les immeubles et les nuages dans le ciel formant les motifs de ces petits clips dans ma tête. Les balades en voiture étaient pour moi une telle joie à cause de ça !
Comment avez-vous commencé professionnellement ?
HK : Mes premiers engagements ont été en tant que portraitiste avec mon appareil photo. J’avais ma propre page Facebook, et je proposais mes services. Je me suis donc mise à photographier des mariages, des événements divers autour de l’école, comme des remises de diplômes... Parallèlement j’ai prolongé cette passion que j’avais pour les vidéoclips en commençant à en fabriquer moi-même, sans remonter ce qui avait déjà été fait. ! C’est là où je me suis dit que j’avais trouvé ma voie. Je voulais me lancer dans le cinéma, et la prise de vues en particulier. Ce trajet d’autodidacte m’a beaucoup appris. Avec le recul je me rends compte que c’était un peu comme si j’avais tout déjà en moi... que c’était dans mes gènes ! Au fur et à mesure, en lisant des livres et regardant beaucoup de films et de clips, je me suis mise à écrire un scénario, cadrer, à éclairer un plateau, monter bien sûr et étalonner moi-même. En un mot réaliser un film. Mais toute cette démarche n’était pas dans un état d’esprit "OK, maintenant j’étudie le cinéma"... c’était juste la continuité de cette passion née dans mon enfance que je voulais satisfaire. Et ma soif d’apprendre et de passer toujours plus de temps à la pratiquer.
Quelle a été le déclic de votre carrière ?
HK : C’est un court métrage baptisé For Women Who Are Difficult to Love, dont la trame est inspirée d’un poème de Warsan Shire. Peu après, j’ai aussi tourné une publicité pour la marque égyptienne Cleo. Ce ne sont peut-être pas mes meilleures réalisations mais ce sont les deux films qui m’ont permis de démarrer en tant que réalisatrice et directrice de la photo. Peu après, les projets ont commencé à éclore, et j’ai arrêté d’être assistante caméra pour me consacrer entièrement à la direction de la photographie et à la réalisation.
Qu’est-ce qui vous inspire en tant que cinéaste ?
HK : Je dirais que c’est avant tout la réalité autour de moi, les gens, les paysages et le chaos. Tout cela forme des histoires que je capte qui m’inspirent. À vrai dire, je suis toujours dans l’observation ! Et dès que quelqu’un me parle ou passe à proximité je fais attention à tous les détails. C’est une manière de visualiser ce qu’on vous raconte, de s’immerger dans une histoire en faisant partie d’elle. Par exemple, flâner dans les rues du Caire, regarder les gens au milieu du trafic, ou juste au bord de la plage, c’est vraiment mon kiff ! Et quand je me retrouve seule, à coup sûr je me retrouve au bout d’un moment en train d’observer, d’écouter de la musique ou de lire un livre... Ce sont mes trois sources d’inspiration principales. Et puis, comme je vous l’ai avoué, la photographie a été à la base de ma pulsion créatrice. C’est le cœur de mon travail, et d’une certaine manière une sorte de passage secret vers l’enfant artiste au fond de moi. Ça m’arrive donc maintenant de partir d’une simple photo que j’ai prise là maintenant, pour aboutir ensuite à un clip, avec une histoire qui m’a été inspirée. Et de même si je tombe sur une image de quelqu’un d’autre qui parle à mon cœur.
Et le travail d’autres cinéastes ?
HK : Si je dois citer quelqu’un, je dirais la cinéaste libanaise Nadine Labaki. Pour moi, cette femme est le parfait exemple qu’on n’est pas obligé d’imiter les hommes dans leur propre milieu. La manière dont elle assume sa féminité tout en étant très dure et courageuse par rapport à sa carrière est quelque chose que j’admire. Le fait également qu’elle soit à la fois comédienne et réalisatrice, en assumant de montrer toutes les strates de sa personnalité à la fois devant et derrière la caméra. C’est une manière aussi pour moi de ne pas se laisser rétrécir selon les standards de la société, et laisser exprimer sa puissance d’artiste... Un autre cinéaste dont j’admire aussi beaucoup le travail, c’est Michel Gondry. Ses films m’ont beaucoup inspirée, et surtout sa manière de dépasser les limites, l’académisme, tout en restant extrêmement simple, parfois enfantin, et bien sûr extrêmement touchant. C’est le cas notamment de Eternal Sunshine of the Spotless Mind, qui reste pour moi un de mes films de chevet. Enfin, plus récemment, j’ai été très impressionnée par Babylon, de Damien Chazelle, un film qui m’a littéralement embrasée. L’histoire m’a happée, en me faisant soudain replonger dans cette passion que vous pouvez ressentir à vos débuts, et qui parfois vacille tout au long de votre carrière artistique.
Quel est l’état du marché et les opportunités de travail pour vous en Égypte ?
HK : Depuis mes débuts, et même encore aujourd’hui, j’ai pas mal d’opportunités car la demande pour des nouvelles têtes est toujours présente dans le milieu. C’est super de ce point de vue d’être encore dans la case "jeune directrice de la photo", mais je pense maintenant à l’étape supérieure, où vous commencez à vous projeter dans une filmographie ou des projets plus établis. Je compte surtout profiter pour le moment de ce temps pour accumuler l’expérience et développer mes projets personnels. La seule chose vraiment compliquée, c’est de rentrer dans le milieu du cinéma. Trop peu de producteurs osent investir sur les jeunes talents qui n’ont pas déjà dans leur bande démo ce qu’ils recherchent. Sans même évoquer la difficulté de trouver des gens qui croient en vous et qui sont prêts à vous aider à développer vos propres scénarios.
Et le fait d’être une directrice de la photographie au Moyen-Orient ?
HK : C’est toujours un challenge. Mais beaucoup moins qu’à l’époque de mes débuts, et je ne parle même pas des années dans le passé ! Je me souviens très bien que lors de mes études on m’a souvent demandé : « Mais pourquoi veux-tu devenir directrice de la photo ? C’est un boulot très dur pour les filles, tu vas déguster ! Tu devrais plutôt faire du montage ». Et puis, lors de l’un de mes premiers tournages professionnels en tant qu’assistante opératrice, je me souviens encore du cadreur qui m’accueille en me demandant : « T’est venue vraiment faire le point... ou plutôt pour que je te filme ? ». C’était il y a neuf ans, et je m’en souviens encore comme aujourd’hui ! Ce sont quelques exemples de comportements auxquels les femmes sont confrontées sur les plateaux, que ce soit au Moyen-Orient ou même je pense n’importe où dans le monde. Heureusement, au fur et à mesure que les anciennes générations passent le relais, le fossé entre les genres au cinéma se réduit. J’espère sincèrement que dans le futur, notamment en Égypte, on sera de plus en plus nombreuses à faire le boulot. Et faire honneur à Nancy Abdelfattah, qui a été pour moi un grand exemple en tant que première grande directrice de la photo dans notre pays.
(Propos recueillis par François Reumont, pour l’AFC)
Documents visuels Angénieux