Festival de Cannes 2024

Entretien avec Hiroshi Okuyama, réalisateur et chef opérateur de "My Sunshine"

"Hockey à Hokkaido" par François Reumont

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Au milieu des paysages enneigés du nord du Japon, le cinéaste Hiroshi Okuyama livre un film de patinage artistique tout en couleurs pastel et hors du temps. Un trio de rôles pour un ex patineur vedette devenu entraîneur dans ce village très rural, une élève très prometteuse et un jeune hockeyeur maladroit et rêveur dont les yeux brillent pour cette dernière. Filmée par le réalisateur lui-même, cette fable délicate sur l’adolescence, les non-dits et la transmission est présentée dans la sélection Un Certain Regard de la compétition Cannoise. (FR)

Sur l’île d’Hokkaido, l’hiver est la saison du hockey pour les garçons. Takuya, lui, est davantage subjugué par Sakura, tout juste arrivée de Tokyo, qui répète des enchaînements de patinage artistique. Il tente maladroitement de l’imiter si bien que le coach de Sakura, touché par ses efforts, décide de les entraîner en duo en vue d’une compétition prochaine… À mesure que l’hiver avance, une harmonie s’installe entre eux malgré leurs différences. Mais les premières neiges fondent et le printemps arrive, inéluctable.

Duquel des trois personnages vous semblez-vous le plus proche ?

Hiroshi Okuyama : C’est surtout le jeune garçon Takuya qui me ressemble le plus. J’ai moi-même fait du patin à glace dans mon enfance, et j’en ai gardé quelques souvenirs. Pour autant le film n’est pas autobiographique, c’est surtout un contexte dont je me suis inspiré, notamment l’écrin glacé dans lequel s’est conçu le film. L’histoire, les enjeux dramatiques sont en revanche bien originaux.

Le film est un peu hors du temps... difficile de savoir quand il se passe.

HO : De manière générale, je n’aime pas trop circonscrire ou délimiter trop précisément la temporalité dans mes films. Laisser le doute permet, selon moi, de garder un côté plus universel, où chaque spectateur peut mieux s’identifier à l’histoire. Si on se place trop précisément dans une époque, passée ou présente, je trouve que ça limite le film. Et cette devise s’applique autant au choix du lieu, ou même aux dialogues que je n’ai pas envie de rendre trop explicatifs, en laissant un maximum la place à l’interprétation du spectateur.

Le lieu est donc très important pour vous ?

HO : Pour moi le lieu de tournage détermine l’identité d’un film. Et pour My Sunshine, j’ai passé énormément de temps à trouver les décors. Presque autant de temps que mes interprètes !
Je dirais que je suis donc un cinéaste qui préfère les paysages, parce que filmer des visages seuls, ça ne suffit pas forcément à faire naître une émotion, tandis que filmer des personnages dans un contexte de lieu, c’est ce qui me parle le plus. C’est dans un lieu qu’on est amené à trouver le meilleur angle de caméra, la meilleure valeur pour découper une image presque comme une carte postale et raconter mon histoire.

Hiroshi Okuyama à la caméra
Hiroshi Okuyama à la caméra


Vous êtes plutôt un réalisateur qui a décidé de faire l’image lui-même ou un directeur photo qui est passé à la réalisation ?

HO : Je suis plutôt à la base un directeur de la photo qui avait des velléités de réalisation plutôt que l’inverse. Bien sûr - comme beaucoup j’imagine - au départ mon envie de faire des films était là sans trop me poser cette question. Mais je dois reconnaître que c’est toujours à travers ma relation à l’outil caméra, aux objectifs que j’envisage le film. Cette relation privilégiée à l’image me classe donc dans cette catégorie. Et puis, je trouve que c’est une bonne chose de s’essayer à un autre exercice que sa propre spécialité... d’autant plus aujourd’hui, il est objectivement beaucoup plus facile que du temps de l’argentique d’essayer de fabriquer ses propres images. Donc je pense que les réalisateurs devraient plus souvent s’essayer à être leurs propres DoP, tout comme un DoP a beaucoup à gagner à s’essayer lui-même à la mise en scène.... Pas forcément pour toute sa carrière, mais oui, pourquoi pas expérimenter de temps en temps autre chose, et changer un peu de prisme sur sa façon de faire les choses...


La patinoire est le lieu récurrent du film, et devient un peu votre studio … comment avez-vous abordé le tournage dans ce décor ?

HO : Pour la patinoire, j’avais une idée très précise de ce que je voulais. Et il se trouve qu’au Japon, il n’y a qu’une centaine de ces installations. Et surtout je voulais absolument que ce soit un lieu qui ait des fenêtres, ou au moins des ouvertures sur l’extérieur à travers lesquelles on aurait pu éclairer. Donc là, le choix s’est brutalement réduit, et on s’est vite arrêté sur celle-ci qui remplissait ces conditions, et qui en plus avait ce côté rétro dont on a parlé, pour donner ce fameux côté intemporel au film. Surtout pas un lieu trop moderne qui aurait complètement déséquilibré le film... En matière de caméra, j’avais gagné un prix avec un film précédent au festival de Pusan et Arri m’avait offert une dotation. J’ai donc filmé en Alexa, avec des optiques Ultra Primes, pas mal diffusées en Black Pro Mist pour faire monter un peu les ombres et créer ces flares dans les entrées de lumière des fenêtres.

Les cadres sont au début très fixes, mais ils prennent peu à peu leur envol...

HO : Le film était construit sur un mouvement qui suit l’histoire. Au début, on est très statique, la neige arrive, et la rencontre arrive entre Takuya et Sakura. Au fur et à mesure que les liens se tissent, la caméra se met à bouger, pour culminer dans la scène du lac gelé. L’idée étant d’accompagner cette relation à la caméra, pour à la fin revenir à des plans très fixes quand la neige se met à fondre et que l’épilogue arrive.


Parlons justement de cette séquence du lac qui marque le point culminant de la relation entre les trois personnages...

HO : Pour le lac, j’avais dans l’idée de donner l’impression au spectateur qu’une quatrième personne virtuelle se joignait à cette joyeuse sortie. Pas Dieu, mais peut-être un ami imaginaire ?!
J’ai donc chaussé moi-même les patins, et je me suis joint aux comédiens comme cette quatrième présence.
La caméra glisse avec moi, de manière très libre et on s’est vraiment beaucoup amusé. Cette séquence a été tournée sur deux jours, avec du temps gris le premier jour, qu’on a gardé pour le début de la séquence. Par chance, le soleil est sorti le deuxième jour et là on s’est lancé dans cet espèce de happening joyeux avec beaucoup d’entrain jusqu’à la tombée de la nuit.


Un mot sur le look, le film a des couleurs très pastel, et une gamme très réduite de tons. Il y a un côté très Kodachrome, des années 1960 ?

HO : Pour préparer le rendu, j’ai profité des repérages pour observer les couleurs et les teintes de chaque décor. Par exemple, la scène de la ville, avec le plan de Arakawa sur le balcon, puis ensuite dans la rue, avec la voiture et le train. Là, je n’avais pas encore la caméra Arri avec moi à disposition, alors j’ai filmé avec ma propre Blackmagic et j’ai ensuite cherché sur Resolve pour trouver le rendu qui me convenait et m’en servir de référence. Je peux citer aussi le cinéaste Roy Anderson, dont j’aime beaucoup les films, et par relation les peintures de Edward Hopper dont Roy Anderson admet lui-même être un grand admirateur.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)