Fini de jouer pour les intermittents

par Bruno Masi

La Lettre AFC n°114

Le mouvement de contestation des intermittents du spectacle s’amplifie, directement mené par la CGT, le syndicat représentatif de plus de 70 % de la profession. Après une manifestation dans les rues de Paris lundi, l’occupation de la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France et de l’hôtel de région des Pays-de-la-Loire à Nantes depuis mardi, les intermittents entendent bien affirmer leur attachement aux annexes 8 et 10 de l’Unedic, l’assurance-chômage, qui régissent leur statut depuis 1969. Un statut que le Medef critique depuis une dizaine d’années, brandissant des chiffres calamiteux contestés par la profession, mais galvanisé par la présence de la droite au pouvoir, qui semble avoir rangé la question culturelle au rayon des pertes et profits. Bref, un imbroglio politico-culturel dans lequel le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, pourrait bien jouer le rôle du " ravi de la crèche ".

Premier épisode : le 19 juin, une réunion interprofessionnelle se déroule au siège du Medef, à Paris. Les confédérations syndicales et le Medef discutent de l’équilibre financier de l’Unedic. Après une interruption de séance, le Medef sort un accord signé par la CFDT, la CGC et la CFTC, prévoyant le doublement des cotisations pour les seuls employeurs et les salariés relevant des annexes 8 et 10. C’est la première fois que l’unicité de l’assurance-chômage est remise en cause.
Pour être applicable, la mesure doit être agréée par le ministre des Affaires sociales, François Fillon. Dilemme : le code du travail s’y oppose. Le 17 juillet, le ministre présente au Parlement la loi sur les contrats-jeunes. Dans le texte, est glissé un amendement au code du travail qui rend possible cette décision. Durant le Festival d’Avignon, les intermittents interpellent Jean-Jacques Aillagon. Il s’engage oralement à faire pression pour que l’accord n’entre pas en vigueur avant le 1er octobre. Le 13 septembre, le texte est pourtant publié au Journal officiel.

Mais l’organisation patronale n’entend pas s’arrêter là. Un document interne au Medef, daté du 10 juin, soit une dizaine de jours avant la rencontre, détaille « le redéploiement du régime d’indemnisation des intermittents de l’audiovisuel et du spectacle ».
Objectif : démanteler les annexes 8 et 10 et faire dépendre les salariés qui en relevaient de l’annexe 4, celle des intérimaires. Les annexes 8 et 10 fixent le seuil nécessaire à l’ouverture de droits (valables douze mois) à 507 heures par an. Elles concernent, selon les chiffres de l’Unedic, plus de 27 000 techniciens et ouvriers de l’audiovisuel et près de 66 000 artistes et comédiens.
L’annexe 4 prévoit de fixer ce seuil à 606 heures, pour une indemnisation durant quatre mois. Seulement 30 % des actuels intermittents y parviendraient.

Le rattachement à l’annexe 4 aurait pour principale conséquence d’instaurer un régime d’assurance-chômage à trois vitesses, en fonction de la précarité des statuts, chose nouvelle et profondément contraire à l’esprit du régime d’assurance solidaire dit " à la française ". Visiblement, ce document a circulé dans les bureaux des différentes organisations syndicales signataires de l’accord du 19 juin.
En coulisse, le ministre, Jean-Jacques Aillagon, maintient toujours son soutien à la profession. Après l’arbitrage de Jean-Pierre Raffarin en sa défaveur sur la redevance audiovisuelle, et son budget qui devrait être revu à la baisse, le ministre de la Culture ne semble pas être d’un poids conséquent au sein du gouvernement.

Même si une modification du système paraît nécessaire, la culture joue gros dans ce dossier. On peut facilement imaginer les conséquences directes d’un changement radical de statut : la fin d’un nombre colossal d’artistes et de compagnies du spectacle vivant, un coup dur pour la production cinématographique française et, plus généralement, le durcissement des conditions de travail des intermittents.
(Bruno Masi,° Libération, 19 septembre 2002)