Hélène Louvart, AFC, parle de ses choix d’image sur "La Chimère", d’Alice Rohrwacher

Par Brigitte Barbier, pour l’AFC

Depuis les débuts de la réalisatrice Alice Rohrwacher, la directrice de la photographie Hélène Louvart, AFC, l’accompagne sur tous ses films. Avec La Chimère, elles explorent encore et toujours le(s) support(s) argentique(s), en soutenant l’esprit romanesque qui marque les films de la réalisatrice italienne. Ce film est en Compétition officielle de cette 76e édition du Festival de Cannes. (BB)

De retour de prison, Arthur, un anglais un peu atypique, retrouve sa bande d’amis italiens, entre la région d’Umbria et le début de la Toscane. Ils sont considérés comme des “Tomborolis”, c’est à dire ils creusent, … et creusent, et trouvent parfois des tombes étrusques, contenant des objets, des matériaux précieux, des statues, puis les troquent à des “intermédiaires”, et ces objets de grandes valeurs se retrouvent par la suite dans les musées internationaux. Sans avoir reçu aucune formation d’archéologues, leur méthode reste bien évidemment très primaire. Arthur a par contre un don spécial, il “ressent le vide”, le vide de la terre et des âmes, se connectant ainsi avec les vestiges du passé. Le même vide qu’a laissé en lui le souvenir de son amour perdu, Beniamina.
Avec Josh O’Connor, Carol Duarte, Alba Rohrwacher, Isabella Rosselini.

Ce film a été tourné en argentique, comme les autres films de la réalisatrice, peux-tu nous parler de ce choix ?

Hélène Louvart : Avec Alice, depuis son premier film, Corpo Celeste, nous avons toujours tourné en Super 16. Sauf une fois en numérique pour deux épisodes de "L’Amie prodigieuse". Pour La Chimère, Alice voulait expérimenter une autre approche de l’image concernant le support, se détacher un peu de ce Super 16 mm qu’elle aime tant (et moi aussi par ailleurs), et donc se confronter au 35 mm.
Nous avons, juste avant La Chimère, tourné Le Pupille, un court métrage d’une quarantaine de minutes en 35 mm, et elle avait beaucoup apprécié le support.
Pour La Chimère, aussi pour des raisons budgétaires mais pas seulement, nous avons décidé que l’on pouvait essayer de mélanger les deux supports, et même pour aller plus loin, y rajouter du 16 mm.

Quel a été concrètement la logique de ce mélange de supports ?

H.L : Comme tout choix artistique est lié à l’histoire racontée, il était évident que nous allions "offrir le rendu du 35 mm" à la civilisation étrusque, sans jamais pouvoir égaler la beauté artistique de tout ce que leur civilisation a laissé derrière elle, mais par respect pour leurs œuvres enfouies. Et nous allions rendre la quotidienneté de cette bande d’amis, qui oscillent entre le stade de "héros" à "des simples voleurs" par un rendu Super 16 qui nous est très familier.
Et une caméra 16 mm Bolex pour filmer les animaux, la nature et quelques points de vue différents sur Arthur.
Pour préserver le support du Super 16 mm, qui peut devenir un peu granuleux selon l’exposition, nous avons décidé également de tourner les extérieurs nuit liés à leur quotidien en 35 mm.
Nous ne souhaitions pas non plus que ce principe de support soit trop visible à chaque changement de séquences, cela aurait été trop scolaire ou trop évident. Et pour cela, nous n’avons pas trop changé notre méthode de filmage, de découpage entre le Super 16 mm et le 35 mm.

Hélène Louvart, à gauche, et Andrea Cammertoni sur le tournage de "La Chimère" - Photo Hélène Degrandcourt
Hélène Louvart, à gauche, et Andrea Cammertoni sur le tournage de "La Chimère"
Photo Hélène Degrandcourt

La campagne de La Chimère contraste avec les lieux souterrains des Étrusques, un enjeu fort pour toi ?

H.L : Disons, c’est différent. En extérieur, le temps gris, le froid, que l’on retrouve dans les intérieurs (la partie hiver) et le soleil, la chaleur, les forts contrastes de l’été (la partie été) sont en totale opposition avec le monde de la vie antérieure des Étrusques, où les cavités souterraines sont sans lumière du jour, sans oxygène, et qui est un moyen de conservation incroyable.
Donc oui la différence est immense.

Comment avez-vous fait pour créer l’image de cet univers souterrain ?

H.L : Bien évidemment nous n’avons pas tourné dans les vraies tombes. Emita, la fidèle décoratrice d’Alice, a recréé à chaque fois des entrées, des grottes, des caves étrusques dans lesquelles nous pouvions tourner, et nous avons utilisé la lumière de la bougie d’Arthur, en la renforçant, ainsi que les lampes de poche de ses amis, et des LEDs en réflexion sur les murs, afin de dé-contraster le tout.

Sur le tournage de "La Chimère" - Photo Hélène Degrandcourt
Sur le tournage de "La Chimère"
Photo Hélène Degrandcourt

Et visuellement la campagne crée l’opposition naturellement…

H.L : Exactement, et comme dans les précédents films d’Alice, une lumière naturelle en extérieur jour, avec des HMI derrière les fenêtres pour chaque décor intérieur, et des LEDs en intérieur.

L’image soutient un certain romanesque de la narration, non ?

H.L : Oui car souvent, dans les films d’Alice, il y a des moments aussi plutôt poétiques, des moments de vie, de la danse, des chants, et aussi un certain humour dans son regard.

Et ta meilleure expérience pour ce nouveau film d’Alice Rohrwacher ?

H.L : Il n’y a pas une meilleure expérience en particulier. Je dirais le plaisir de mélanger les supports 16, Super 16 et 35 mm, en permettant ainsi durant la préparation d’être très précis sur le rapport Étrusques/quotidienneté, lié au scénario.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier, pour l’AFC)