Festival de Cannes 2023
Hélène Louvart, AFC, revient sur son concept de travail et ses choix à propos de "Firebrand", de Karim Aïnouz
Par Brigitte Barbier, pour l’AFCFirebrand raconte l’histoire de Katherine Parr, la sixième et dernière épouse du roi Henri VIII d’Angleterre. Elle épousa Henry VIII en 1543, s’occupa de l’éducation des enfants du Roi qu’il a eu de ses précédentes épouses, elle a dirigé le pays jusqu’au moment où Henry VIII revient en Angleterre après une longue bataille avec la France. Son souhait était de convertir Henry à la religion protestante. Le film commence au moment où Henry VIII revient de France et reprend tous pouvoirs, malgré son affaiblissement physique.
Avec Alicia Vikander, Jude Law, Simon Russell Beale.
Avec Karim Aïnouz, vous explorez des univers visuels forts, n’est-ce pas ?
Hélène Louvart : Oui et c’est là tout le plaisir de partager à nouveau un projet avec Karim.
Raconter cette histoire ancienne était un challenge pour Karim, qui a une vision plutôt joyeuse, moderne, colorée de par son background de cinéaste, et surtout son fort désir de ne pas tomber dans le conventionnel.
Alors comment l’as-tu accompagné dans ce challenge ?
H.L : Voici comment ça a commencé, par des échanges avec Karim comme ceci : « On ne va pas faire un film de musée », puis j’ai compris qu’il n’allait pas falloir avoir trop de références picturales de cette époque « qui auraient pu nous encombrer la tête » car… « on ne pourrait pas faire mieux » et… « autant alors ne pas s’en inspirer ». J’en ai conclu qu’il fallait s’orienter vers un regard un peu "païen", rien de "divin" - surtout dans la lumière - et traiter les personnages comme des êtres humains avec toutes leurs qualités et surtout aussi avec tous leurs défauts, malgré leur appartenance à la famille royale. Voila la base de notre concept de travail.
A partir de ce concept, tu as fait des choix artistiques.
H.L : Les personnages bougent beaucoup donc la caméra bouge pour les suivre (plans serrés) ou les inscrire dans leur contexte (plans larges), et la lumière également. Cette dernière évolue en fonction du dialogue, de l’intention de jeu, elle a une luminosité qui peut changer en cours de plan, soit pour une raison naturelle (soleil ou nuage par les fenêtres), ou bien pour une raison de perception du moment. Un mensonge, un doute, une affirmation dans le jeu des personnages et le "curseur" de la luminosité change. Bien évidemment ce changement de lumière étant lié au jeu et aux phrases des acteurs, il reste sûrement assez peu visible au final, même s’il a été fortement créé sur le plateau et amplifié à l’étalonnage. Mais une fois le film fini (montage, mixage, étalonnage), on suit l’histoire et les personnages… Et je peux dire qu’ils restent "accompagnés" par cette luminosité qui évolue comme une forme de vague.
J’ai fait aussi des choix de couleurs, que l’on ressent imperceptiblement, afin de donner une touche moderne à l’histoire.
Et aussi des choix techniques.
H.L : Nous avons tourné à Haddon Hall, dans un manoir médiéval, et en amont du tournage, nous avons construit des ponts lumière dont les structures étaient cachées dans les murs rajoutés pour cela.
Beaucoup de projecteurs LED en wireless, utilisés autant pour les jours que pour les nuits, bougies à l’image, ainsi que feu de cheminée comme source principale, lune sombre et colorée aux travers des fenêtres, et un soleil coloré également, sur les objets et les murs. Pas trop sur les personnages car cela aurait rendu notre concept trop évident, car bien évidemment on s’arrange pour ne jamais être "au-dessus" de l’histoire.
Quel est le lien le plus évident entre l’image de Firebrand et le type de film qu’est Firebrand ?
H.L : L’osmose. Le plus important, c’était d’être en osmose avec ces "personnages royaux" que nous filmions. Dans l’histoire racontée, ils ont des tempéraments changeants, ils n’ont pas de "très bons caractères", ni de "très mauvais caractères", ce sont des êtres humains avec tous leur défauts et leur qualités, rien de linéaire dans ce contexte de trahison, beaucoup de non-dits, de mensonges, de foi et de croyance mal placées, d’ego, d’amour, de violences, de gaité, de rire, et le regard de Karim et le mien étaient comme si on "s’amusait avec eux". C’est ça le lien, cette énergie qui se dégage dans le film, et l’image (cadre et lumière) qui ne fait que suivre et décrire leur état.
Les trois piliers pour orchestrer l’alliance image/personnages.
H.L : Beaucoup de travail de préparation : sur papier, des plans d’éclairage à faire, à effacer, à refaire, à modifier en fonction de la taille des pièces, des supports à cacher en déco. Dans certains espaces, nous avons utilisé des ballons (LEDs à l’intérieur).
Beaucoup de plaisir à travailler, avec une équipe anglaise impeccable.
Une énergie positive de la part de la production, de Karim, qui reste essentielle à notre époque.
(Propos recueillis par Brigitte Barbier, pour l’AFC)