"Intermittents : pour une réforme sérieuse"

Editorial du "Monde" daté du mercredi 18 juin 2014

La Lettre AFC n°244

Le Monde, 18 juin 2014
Le conflit des intermittents du spectacle témoigne, de façon hélas éloquente, de toutes les palinodies françaises. Les causes en sont parfaitement connues et documentées depuis plus d’une décennie. Faute d’avoir été traitées de façon sérieuse, elles produisent aujourd’hui les mêmes effets.

En 2003, une précédente réforme du système d’indemnisation du chômage, dont relève le régime des intermittents, avait déjà mis le feu aux poudres et provoqué l’annulation des festivals d’été. Depuis, des pistes alternatives ont été explorées et chiffrées ; elles démontrent qu’il est possible de trouver un système plus juste et plus efficace. Mais elles ont été ignorées par les partenaires sociaux et par les gouvernements.
Il était donc prévisible que le nouvel accord conclu le 22 mars par le patronat et des syndicats (fort peu représentatifs chez les intermittents), déclencherait une nouvelle fronde. Son objectif est légitime : réduire le déficit de l’assurance-chômage. Mais son résultat est contestable : il précarise un peu plus les principaux intéressés, sans tenir compte de la spécificité de leurs métiers et il ne corrige pas les abus d’un système qui permet, notamment à l’audiovisuel public ou à de grandes sociétés de production, d’éviter de réelles embauches.
Devant la menace de voir de nouveau les festivals perturbés ou annulés cet été, le gouvernement balance d’un pied sur l’autre. Ainsi, au matin du 16 juin, le premier ministre assure que le régime des intermittents « est arrivé à bout de souffle » et qu’il faut le « remettre à plat ». La ministre de la culture lui emboîte le pas. Mais, dans l’après-midi, le ministère du travail confirme qu’il agréera bien, d’ici à la fin du mois, l’accord contesté, car il ne saurait, sans danger, remettre en cause la convention signée par les partenaires sociaux. Rien de tel pour envenimer le conflit et se couper un peu plus des milieux de la culture, déjà échaudés par une rude diète budgétaire.
Car, enfin, si une réforme solide est nécessaire, pourquoi ne l’avoir pas engagée plus tôt, calmement plutôt qu’en catastrophe ? Les quelque 2 000 festivals qui sont organisés en France, à commencer par celui d’Avignon, ne sont-ils pas créateurs d’emplois et de richesse, économique autant que culturelle ? L’excellence du spectacle vivant, dont les intermittents sont un rouage essentiel, ne contribue-t-elle pas au rayonnement culturel du pays ? Cela mérite une réponse sérieuse, pas du bricolage à la petite semaine. Sauf à estimer que la France n’a plus les moyens de cette ambition. Mais, dans ce cas, il faut le dire et l’assumer.

(Editorial, Le Monde, mercredi 18 juin 2014)