KLMS journal

par Denis Lenoir

par Denis Lenoir La Lettre AFC n°138

Lundi 25 octobre, jour 1
Trois heures à tenter d’importer et de manipuler deux images. J’ai presque honte quand je pense que le logiciel m’a été prêté avec un splendide moniteur, un colorimètre pour l’étalonner, une imprimante et du papier. Je n’ai fourni que l’appareil photo numérique et mon vieux PowerBook G3.

Comme pour tous les logiciels un peu puissants la courbe d’apprentissage est assez raide, du coup ce soir, j’ai envoyé une seule image à Christian Lurin, mise au format 1,85 et vaguement étalonnée, essentiellement pour vérifier s’il la reçoit correctement, c’est-à-dire si je l’ai sauvegardée comme il faut, dans le bon format, et si je lui en ai envoyé tous les éléments nécessaires, l’image et la recette à appliquer à celle-ci ainsi que l’image modifiée.

Mardi 26 octobre, jour 2
La méthode intuitive a ses limites, je n’ai pas envoyé hier ce que je croyais mais seulement une image brute (" raw "), celle d’origine, et une recette à lui appliquer mais sans mise au 1,85. Aujourd’hui je tente d’envoyer une image modifiée et elle seulement, à 25 % de résolution.
Moins d’une heure de travail en tout, c’est rassurant et j’imagine pouvoir dans un avenir très proche descendre à une demi-heure. En revanche je vais buter très vite sur deux ou trois difficultés que je vois pointer : tout d’abord celle d’acquérir la discipline et de trouver le temps de faire sur le plateau les photos nécessaires, hier j’en avais pris deux et aujourd’hui une seule. Ensuite l’agacement de n’avoir sur mon Digital Rebel que l’optique bon marché vendue avec et qui n’ouvre qu’à 3,5. Et enfin, (le plus grave ?) la découverte qu’en dépit - ou à cause - d’années d’usage de Photoshop l’étalonnage film (où par conséquent je ne modifie que les lumières de tirage, m’interdisant de faire plus puisque ce film ne bénéficiera pas d’une finition numérique), particulièrement en absence d’un étalonneur, n’est après tout pas si simple !

Mercredi 27 octobre, jour 3
Ce soir, j’ai commencé avec l’espoir d’étalonner en une demi-heure les trois photos sélectionnées sur les six ou sept que j’ai réussi à faire sur le plateau et j’ai malheureusement vite déchanté : une heure à me bagarrer avec le logiciel qui quittait sans arrêt, je suis allé jusqu’à réparer le disque, redémarrer l’ordinateur, débrancher tous un tas de trucs reliés par USB. Avec un succès partiel, le KLMS quitte toujours mais beaucoup plus rarement. L’autre difficulté, liée à la première, était celle qui consiste à sauvegarder proprement mon image travaillée et à en travailler plusieurs à la fois. Un coup de fil à neuf heures et demie du soir à Christian Lurin que j’ai trouvé en pleine démonstration (à l’AFC ?) m’a apporté des réponses possibles, je vérifierai demain soir. Tout de même réussi à envoyer une image au télécinéma d’Eclair. J’espère qu’eux aussi progressent : Christian m’a dit que ce matin, il avait fallu qu’il les aide par téléphone, pour ouvrir l’image que j’avais envoyée hier.

Jeudi 28 octobre, jour 4
Ce soir tout est allé mieux. Encore ce que je crois être un ou des bugs (et qui ne sont peut-être que des fautes de manipulations) au moment de sauvegarder. J’ai travaillé et envoyé trois images en quarante minutes et maintenant - c’est un luxe non ? - les questions que je me pose et auxquelles je n’ai pas encore trouvé de réponse se rapportent au flux de travail : comment ouvrir et travailler plusieurs images en même temps ? Comment passer d’un clic d’une image à l’autre ? ». Essayé de trouver sur Internet l’optique Canon EF 24 mm f1.4 L USM autofocus qui résoudrait mes problèmes de prise de vues, mais elle ne semble en vente nulle part en France. J’en ai bien trouvé une en Angleterre mais un peu chère, j’attendrai mon retour à L.A. pour l’acheter sur le marché gris. Par ailleurs il est possible de prendre des photos sur le plateau si on le désire vraiment : depuis ma remarque d’avant-hier j’ai considérablement augmenté ma moisson. Reste l’étalonnage pur, ce qui est donc la raison d’être de ce logiciel et là, je me sens relativement inexpérimenté, j’attends de voir comment le coloriste va interpréter les images que je lui envoie pour juger de ma propre compétence. Je veux dire qu’il ne s’agit pas pour moi, bien que le logiciel le permette, d’envoyer à l’étalonneur ou au coloriste une image à répliquer mais plutôt un guide lui évitant de faire des contresens. Peut-être est-ce manquer d’ambition mais je les ai toujours considérés comme des partenaires à part entière qui collaborent avec leur propre sensibilité et leur propre goût et je ne désire pas me passer de leur apport.

Samedi 30 octobre, jour 6
Trois images, deux dont je suis sûr que si le coloriste ne les avait jamais reçues elles ne lui manqueraient pas vraiment et la troisième, un plan de crépuscule tourné réellement juste avant la nuit, dont j’ai pu faire deux versions, la première assez froide et plutôt claire et la seconde plus neutre en couleur et nettement plus sombre, celle que j’ai finalement envoyée. Une image donc qui me fait mesurer combien ce plan contenait de possibilités d’interprétation et combien je suis satisfait à l’idée de pouvoir communiquer au coloriste celle que j’ai retenue.

Mardi 2 novembre, jour 8
Nouveau décor, Benoît et Isabelle face à face dans un café. Je choisis deux photos, le champ de l’un et celui de l’autre, travaille les deux et n’en envoie qu’une, de peur de compliquer inutilement les choses si par maladresse et malgré moi je n’ai pas su bien reproduire dans le contrechamp l’étalonnage du champ.

Mercredi 3 novembre, jour 9
Des plans séquences qui se développent à travers des ambiances lumineuses qui varient en densité et en couleur donc différentes images. Mais le problème est que je les traite séparément, sans la contrainte d’une valeur de tirage unique. Je suis à peu près sûr que le KLMS sait répondre à ce genre de situation mais je ne sais toujours pas comment afficher plusieurs images à la fois ni comment les travailler simultanément (mais est-ce possible ?) et je n’ai pas le courage de chercher dans le manuel. Du coup je propose au coloriste des images très " moyennes " pour ne pas le mettre devant quelque chose d’impossible à reproduire.

Vendredi 5 novembre, jour 11
Christian Lurin à qui j’ai envoyé ce journal me propose de venir me donner une leçon particulière pour répondre aux questions que je me pose, j’accepte avec empressement car cela devrait me permettre d’optimiser mon flux de travail. Hier et aujourd’hui j’ai filmé quelques séquences très contrastes et colorées, par négligence, je ne les ai pas toutes couvertes (photos numériques) et je l’ai regretté les deux soirs car dès qu’on sort du tout venant les interprétations possibles se multiplient et les choix que je fais sur mon ordinateur sont vraiment un garde-fou utile. Cela dit il serait intéressant de confier à différents coloristes ou étalonneurs le même négatif, dans la moitié des cas accompagné d’images de références travaillées au moyen du KLMS et dans l’autre moitié en les laissant libres de les interpréter puis de comparer. Nous, les opérateurs, aurions peut-être de pénibles surprises...

Lundi 8 novembre, jour 12
J’ai fait tout un tas de photos, les ai travaillées une par une - Christian Lurin vient demain et me montrera j’espère comment en travailler plusieurs à la fois - les ai envoyées, un quart d’heure pour six photos, tout cela pour avoir finalement un message m’annonçant que la boîte est pleine et que mes images ne sont donc jamais parvenues à Éclair. Pas mal frustrant après un réveil à cinq heures du matin et deux heures sup. !!!

Mercredi 10 novembre, jour 14
Aucune image aujourd’hui, je crois qu’à l’avenir je réserverai l’usage du système à des séquences dont l’interprétation laisse au coloriste une marge d’erreur.
Christian Lurin a fait hier le voyage de Roubaix et m’a montré quelques trucs utiles. De mon côté, je lui ai fait part de quelques petites remarques qui j’espère donneront lieu à des améliorations dans une prochaine version. Et puis une déception, il n’y a rien encore (Christian va probablement faire des pieds et des mains pour essayer de changer cela à l’avenir) pour travailler plusieurs images à la fois comme dans le cas d’un plan séquence. Le KLMS, tel qu’il est aujourd’hui, permet d’appliquer simplement les mêmes valeurs de tirage à plusieurs images mais, détail d’importance, on ne peut pas appliquer de changement à toutes les images à la fois.

Lundi 15 novembre, jour 18
Dernière entrée de ce journal, je suis maintenant en vitesse de croisière. Photos sur le plateau avec mon cher Canon Eos 300d dont je me sers aussi comme d’une sorte de cellule, comme autrefois on se servait de photos Polaroïd (et avec à peu près la même précision/imprécision, comme on voudra), vingt minutes à une demi-heure dans ma chambre d’hôtel de manipulations y compris la rédaction d’un court e-mail même les jours sans images (ne serait-ce que pour dire qu’il n’y en a pas !) et le sentiment extrêmement satisfaisant de contrôler les rushes. Cela fait longtemps que je ne regarde plus jamais les rushes en vidéo, puisque je sais bien qu’ils ne peuvent rien m’apprendre. Jusqu’ici sur chaque film, j’avais à expliquer pourquoi, racontant comment sur un téléfilm à Toronto je m’étais retrouvé en train de sous-exposer le film de plus en plus sans jamais obtenir l’image nocturne que je souhaitais jusqu’à ce qu’un assistant opérateur me mette en garde ; dorénavant j’aurai une réponse beaucoup plus brève (et un peu arrogante !) : « Je ne visionne pas les rushes, je les fais. »
Plus sérieusement après trois semaines d’utilisation du KLMS je redoute déjà le prochain tournage où pour quelque raison (connexion Internet trop lente ou inexistante - et encore c’est faux j’aurai toujours la possibilité d’envoyer des photos bien que cela exige de moi de les travailler sur le plateau afin qu’elles partent avec les rushes - écran LCD si loin des standards qu’impossible à étalonner - c’est le cas de mon vieux Powerbook) je ne pourrai me servir du système, cela va être très frustrant.
Merci à Christian Lurin à Paris et Christopher Pearson à Los Angeles de m’avoir permis de mener à bien ce test en grandeur réelle.