L’image animée
par Martial BarraultMa première confrontation avec ces problématiques spécifiques remonte à 1979. Un metteur en scène lyonnais, visionnaire, jeune, extraordinairement inventif, du nom d’André Ligeon-Ligeonnet travaillait à Paris, à Lyon, et à New York, sur un mode de spectacle nouveau qu’il avait baptisé : vidéoscénographies. Ligeon se distinguait des artistes issus du video-art, en ce sens qu’il était d’abord et avant tout, un metteur en scène. Il avait décidé qu’il lui fallait un partenaire à l’image s’il voulait dépasser les hasards et artéfacts électroniques entre sa caméra, ses magnétoscopes et ses projecteurs.
Nous avons collaboré plusieurs années. Ses installations étaient toutes nourries de moniteurs, d’écrans et de rétroprojecteurs. Et nos plateaux de tournage, tout autant. Les acteurs jouaient entre eux et avec eux-mêmes simultanément entre les scènes et le temps écoulé. Que le drame soit classique (Shakespeare) ou totalement improvisé à partir d’un argument de Mishima, l’imagerie hallucinante des spectacles de Ligeon et ses dramaturgies répercutées dans un abîme de projections étaient l’avant-garde des mutations complexes que l’image a connues depuis.
Parallèlement à ce travail d’avant-garde, l’image filmée a fait son chemin de scène en plateau. Très tranquillement, parfois. Notamment dans les secteurs culturels, où elle a fait sa place avec une certaine discrétion et cependant beaucoup de pertinence. Elle y a imposé ses règles, initié quelques styles (les projections au sol sont plus fréquentes en danse qu’au théâtre, par exemple), mais elle est restée une sorte d’invitée à part, qu’on apprivoise lentement, qu’on regarde parfois encore avec une certaine appréhension toute technique. Il faut savoir que dans bien des théâtres aujourd’hui encore, la gestion de la vidéo – c’est ainsi qu’on nomme les besoins et demandes en projections – est toujours confiée au secteur du son ! Et les images à tourner, elles aussi, bien souvent, quand ce n’est pas le metteur en scène ou son assistant qui s’y colle avec un petit caméscope amateur.
Dans d’autres secteurs par contre, comme l’évènementiel, la télévision ou les scènes de concerts, le recours aux projections en mouvement a littéralement explosé et l’image projetée s’est imposée comme une actrice majeure de bien des spectacles en partenariat étroit avec la lumière.
La technologie des écrans, des projecteurs, des plateformes de gestion des médias et des sources à Leds ont fait de tels progrès que ces domaines offrent actuellement des outils d’une puissance incroyable et d’une fiabilité à toute épreuve.
Cependant, à l’heure actuelle, nous sommes encore fort peu nombreux à être concernés par ces fabuleux outils de création. C’est un constat, uniquement, car les choses ne pourront pas en rester là bien longtemps. La rencontre entre ces concepts d’images, et nos capacités à les créer est si évidente, qu’on sent déjà la situation évoluer. A travers mes assistants, dont Cyril Mulon, et quelques-uns d’entre nous qui, parfois, me demandent conseil, je sais qu’un point d’information sur ces techniques ne serait pas inutile.
Eric Guichard, suite à une question posée par François Catonné, m’en donne l’occasion et, bien que j’aie trouvé la tâche assez immense, j’ai décidé d’y apporter cette première contribution afin qu’entre nous, un dialogue et des échanges d’expériences puissent commencer autour de ces techniques passionnantes.
Schématisons d’abord le principe de " l’image en scène " : c’est avant tout un lecteur média (lecteur DVD par exemple), qui envoie un signal à un projecteur dissimulé au public (vidéoprojecteur pour l’essentiel) pour aboutir sur une surface de projection intégrée au décor qui, d’ailleurs, soulignera le moins possible sa fonction d’écran entre les phases de projection.
Pour activer tout cela, on imagine une conduite attentive de lancement des effets au cours du spectacle. Cette technique nécessitant un calage précis et fiable, le matériel de lecture devra répondre à des caractéristiques assez rares dans la gamme grand public (désactivation de l’OSD, On Screen Display, par exemple).
Partant de ce schéma, l’inventaire des moyens actuellement à notre disposition semble aller de soi :
Les écrans d’abord :
Ils sont, avant tout, le fruit de l’imagination des scénographes et peuvent prendre tous les aspects pourvu que l’image qui en ressorte suffise au projet scénique. Les puissances actuelles de projection permettent d’opérer sur quasiment toutes les surfaces. Plus traditionnellement on projette très souvent sur des cyclos, blancs, gris, ou noirs et très souvent en rétroprojection.
Le cyclo classique de rétroprojection est d’un gris de moyen à foncé, de type " nocturne ". Il se dissimule facilement et absorbe bien le point chaud du projecteur au centre de la projection. Le cyclo blanc, utilisé souvent en projection frontale, est parfois assez difficile à dissimuler.
Par ailleurs, les tulles, rideaux, fonds, sols et même les acteurs (qu’il ne faudrait surtout pas omettre) sont parfois des surfaces de projections propices à de magnifiques effets.
A noter :
- Un écran éclairé est une source à son tour, au théâtre les petites lumières sont souvent de grandes atmosphères.
- Il existe aussi des dalles opaques, blanchâtres contenant des leds et qui allient surface potentielles de projection à leur capacité de recevoir directement des images.
- Il existe aussi des écrans à leds, montées sur des arêtes fines et qui bénéficient d’une très grande luminosité (voir Le Mitrix de Barco sur https://www.barco.com, ou chez Alabama
Les vidéoprojecteurs :
Il paraît actuellement difficilement envisageable, hors raisons précises liées à la référence cinématographique ou au style du spectacle, d’envisager une projection qui ne soit pas issue d’un vidéoprojecteur.
Equipés de lampes Xénon, pour l’essentiel, ces appareils allient des puissances importantes, des surfaces d’images impressionnantes, d’excellentes répartition de la luminosité et des facilités de réglages géométriques particulièrement efficaces. En plus, correctement installés, ils sont raisonnablement silencieux.
A titre d’exemples, il est intéressant de découvrir la gamme Christie et ses HD series, Roadsters series et Roadie HD+30K, qui étalent leur puissances de 2 300 à 30 000 ANSI lumens. (Voir https://www.christiedigital.com)
A noter :
- Un vidéo projecteur est toujours une source de lumière potentielle, en plus d’être un projecteur d’images. Il peut toujours, si on a préparé ses effets, générer des couleurs, des trames, n’éclairer qu’une forme donnée, ou compléter des effets de gobos.
- Il peut devenir l’effet master d’une scène (projections d’effets ou de graphismes par exemple).
- Par contre, les erreurs passées de conceptions ayant réduit la lumière d’un spectacle aux seules projections vidéo, nos rappellent en ce sens, que la structuration d’une lumière complexe nécessite des écarts de contrastes et de chromas riches, étendus, progressifs et variés. Il ne faut pas confondre l’impression de puissance fournie par la projection d’une image avec cette recherche physiologique des rythmes de contraste qui cadencent la chronologie des tableaux d’un drame.
- Si on doit conserver de grandes images, je recommande, pour les petites salles d’utiliser des puissances situées entre 9 000 e 13 000 ANSI lumens. On peut ainsi compenser " l’éclatement " des objectifs courts qui s’averreront nécessaires à cadrer l’image.
- Pour toute salle de capacité classique, les puissances situées entre 12 000 et 18 000 ANSI lumens, donnent de beaux résultats. Au-delà, il ne faut pas résister au plaisir du 30 000 ANSI lumens !
- En rétroprojection, les vidéoprojecteurs peuvent aussi éclairer avantageusement les cyclos.
Les sources, enfin :
Dans les cas les plus simples, on rencontre un simple lecteur de DVD, de type Denon Professionnel qui apporte des solutions économiques en limitant raisonnablement les risques de mauvaise manipulation (pas d’OSD, un compteur fiable et un écran noir entre les plages de lecture).
Plus généralement, c’est devenu le domaine des disques durs reliés à un ordinateur ou à des plateformes multimédia.
S’il ne faut en citer qu’un, le système Warchout représente, selon moi, ce qu’il y a de plus performant dans la gamme des logiciels multi écrans.
Il gère la production et la présentation multi écrans depuis des PC standards reliés entre eux en Ethernet. Le nombre de connexions n’est jamais un problème.
Le principe est celui-ci : depuis une time line, un PC dit " producteur " distribue les médias aux PC " serveurs ", en toute transparence !
— Cette plateforme multi écrans peut parfaitement gérer votre projection unique avec les mêmes avantages.
A noter
- Ce type d’outils résout tous les problèmes d’angles de projection et de géométrie des images (warping) en elle-même et entre elles.
- On peut, par exemple, projeter sur une surface courbe et rattraper géométriquement l’image.
- Le système est compatible avec presque tous les formats de fichiers (on peut travailler ses photos et ses visuels sur Photoshop)
- On peut lancer de la vidéo en temps réel depuis une caméra directement reliée.
- Les ultimes nouveautés du produit : essentiellement, la prise en compte des commandes MIDI et DMX pour déclencher une time line annexe ou un effet auxiliaire.
- Ceci signifie, qu’avec un bon pupitreur, rien de s’oppose à ce que votre show, entièrement time codé, puisse conserver des strates d’interactions très intuitives.
- Pour découvrir Warchout : https://www.videmus.fr
Ainsi se termine le point d’actualité des outils les plus utilisés dans ce domaine, mais la liste n’en est pas exhaustive. Des projecteurs de lumières intègre aussi des images animées, la technologie Leds va nous faire connaitre de multiples possibilités mixant éclairage et projection. Il serait intéressant de faire à nouveau ce point dans un an, après quelques nouvelles expériences de terrain.
En fin d’année, j’éclaire à Dubaï le spectacle Freej La tradition, mis en scène par Philippe Riot, dans lequel interviendront huit à dix vidéoprojecteurs de grande puissance, l’ouverture de scène, composée de trois plateaux, fera près de quarante mètres. La scène centrale, à elle seule, offrira trois profondeurs successives dont deux seront séparées par un théâtre optique. Grâce à cette construction, des personnages et décors virtuels viendront se mêler aux acteurs, animaux, et décors du spectacle. Les fonds de scènes sont tous des écrans de rétroprojection et, à la face, des glissements automatisés de tulles et de rideaux pourront, à tout moment, créer des écrans pour des projections frontales.
On est là dans un show complexe qui nécessite une organisation extrêmement précise et des équipes parfaitement rôdées. Dans ce contexte, le trio " réalisateur, décorateur, directeur photo " retrouve immédiatement sa place, décliné en " metteur en scène/réalisateur, scénographe/décorateur, directeur photo/éclairagiste ".
Je ne cherche pas à compliquer les choses, mais simplement à montrer comment il nous faut, dans ce cadre précis, organiser et séparer nos interventions en deux phases collatérales. Des images sont à produire pour s’intégrer au spectacle à travers des médias variés et des supports de projections multiples, mais toutes devront converger pour s’unir en une seule et dernière image globale, celle du spectacle.
Que dire de plus ? Dans ce travail précis, la relation au maquillage ou au costume, est identique à ce qu’elle est en film, si ce n’est de connaître aussi les produits spécifiques à la scène, ou à la danse, ce qui s’apprend vite.
Pour l’instant je vais résoudre d’autres problèmes : les questions liées aux tournages des séquences qui seront projetées pendant le show. Cette année, nous allons utiliser des caméras Red. Voilà peut-être une bonne raison de faire un nouveau point technique au printemps ?