L’image se penche sur ses mutations

par Annick Peigne-Giuly

La Lettre AFC n°150

Les techniciens de l’image réinterrogent leur métier. Alors que se termine en région parisienne le festival " En lumières ", consacré au travail des directeurs de la photographie, l’Association française des directeurs de la photographie cinématographique (AFC) a réuni, mi-novembre, plusieurs centaines de professionnels du cinéma autour d’un projet de « Charte de l’image ». Directeurs photo mais aussi réalisateurs, monteurs, directeurs de production ont participé à cette mise à plat des métiers de l’image, à l’heure des mutations induites par le numérique.

Visionnage
La chaîne de fabrication d’un film s’est transformée pour le directeur photo, confronté aux caméras digitales et à la postproduction numérique qui a décuplé les possibilités de transformation des prises de vues d’origine. Interventions pêle-mêle : « Avant, chacun pouvait voir chaque soir sur grand écran les images tournées dans la journée. Ces visionnages de rushes permettaient de repenser le travail » ; « Les films se font de plus en plus vite » ; « Aujourd’hui, il est impossible d’assurer la continuité de notre regard sur le film ».

Comment l’image a-t-elle fini par leur échapper ? « C’est une question économique », explique une réalisatrice. « Cela coûte évidemment moins cher de tirer les rushes en vidéo, une image compressée qui n’est pas l’image réelle du film. Comment juger, dans ces conditions, de ce qu’on vient de faire ? » Après le tournage et le montage, les passages de la " copie vidéo " à la " copie film " pour la projection en salles, puis le transfert en DVD pour la vente, sont de nouvelles interventions sur l’image, susceptibles de nuire à l’intégrité artistique du film.

« L’idée du film »
« Fondamentalement, notre métier est resté le même », explique le directeur photo Eric Gautier (Rois et reines, Gabrielle). « Mais les nouveaux outils brouillent la chaîne. » Auparavant, un étalonneur, instruit par le directeur photo, assurait ce suivi artistique du film en laboratoire jusqu’au tirage de la copie zéro. « Aujourd’hui, à chaque étape de fabrication, l’idée du film peut se perdre », poursuit Gautier. « L’image n’existe pas vraiment, c’est du virtuel et l’on peut à tout moment changer les paramètres. » De plus en plus, cette « idée du film » semble échapper au tournage. Les " effets spéciaux " rendus possibles par le numérique repoussent de plus en plus l’image du film en fin de chaîne : jusqu’au dernier moment, on peut gommer un fil électrique dans le champ mais aussi corriger la lumière, le chromatisme. « Des subtilités, mais elles font le style d’un film », assure encore Gautier.

La charte, en tentant de redéfinir ce rôle du directeur de la photographie, pose la question de la standardisation de l’image. « Le numérique offre tellement de possibilités », explique Charlie Van Damme (Mélo, Le Soleil assassiné), « qu’on a tendance à polir l’image comme du papier glacé. Nous voulons faire prendre conscience de la nécessité d’une concertation. Avec les producteurs, mais aussi avec les réalisateurs. Il faudra sans doute imaginer de nouveaux métiers... Nous sommes dans un entre-deux difficile à gérer... En attendant qu’arrive le tout-numérique. »

(Annick Peigne-Giuly, Libération, 12 décembre 2005)