L’inflation des films provoque un embouteillage en salles

par Nicole Vulser

La Lettre AFC n°143

Depuis dix ans en effet, le nombre de films sortis en France a augmenté de 40 %, sans que le nombre de salles ait suivi.
L’embouteillage est amplifié par d’autres facteurs. Il y a d’abord l’inflation du nombre de copies (35 000 supplémentaires entre 1996 et 2003), qui profite à une poignée de films franchement surreprésentés, au détriment de la diversité. Il y a aussi l’arrivée récente de films documentaires, passés de 30 en 2002 à 74 deux ans plus tard.
L’asphyxie des salles résulte aussi d’accords signés avec les majors hollywoodiennes, qui imposent parfois, dans le cadre d’une stratégie mondiale, une " sortie technique " de films sans vraiment attendre un public important. Une autre perversion du marché résulte de ce qu’on appelle les " out put deals ", ces accords de distribution signés entre les chaînes de télévision françaises et les majors américaines. Comme pour les sorties techniques, la préoccupation n’est pas l’exploitation en salles, mais la valorisation ultérieure des droits télévisés ou vidéographiques de ces longs métrages.

Le nombre toujours plus important de films diffusés fait surtout que leur durée de vie est de plus en plus courte. C’est la préoccupation majeure des distributeurs. Un tiers des 550 salles parisiennes propose un nouveau film toutes les semaines. En trois semaines, elles ont presque toutes modifié leur programmation. La séduction doit s’effectuer dans les quatre jours. Le vendredi qui suit la sortie, selon un critère qui s’apparente à l’Audimat, les exploitants décident de garder ou non les films à l’affiche.
La fréquentation en salles à Paris conditionne le succès d’un film. A cela, il faut ajouter qu’il devient difficile d’avoir accès à de bonnes salles.

Au-delà du parcours du combattant hebdomadaire, apparaît un malaise plus profond que le producteur Paulo Branco traduit ainsi : « Nous entrons dans une période de dictature des chiffres ; c’est l’antithèse même de ce qu’est le cinéma. Pour un jeune cinéaste aujourd’hui, un accueil favorable dans la presse ne suffit plus. Il y a un risque que de grands films passent inaperçus et ils n’auront pas de deuxième chance. Faire exister des films est de plus en plus difficile, en raison du nombre de sorties et de l’inflation des frais de sortie. Dire qu’il y a trop de films est une hérésie. Il faut maintenir cette diversité et mener une réflexion pour aider les bons films à exister. Cette dérive est due au fait que la télévision a totalement démissionné de sa mission d’éducation au cinéma. »
(Nicole Vulser, Le Monde, 13 avril 2005)