La Cinémathèque et l’art et essai chez le médiateur

par Nicole Vulser

La Lettre AFC n°159

L’affaire est assez grave pour que le médiateur du cinéma ait été saisi par des organisations syndicales. Aux termes de la loi du 29 juillet 1982, ce médiateur a à connaître les litiges relatifs au libre jeu de la concurrence dans la diffusion des oeuvres en salles. Dans ce cas précis, il examine les dossiers pendant trois mois, le temps de formuler des observations et des recommandations.
Le nouveau médiateur nommé en avril, Roch-Olivier Maistre, a reçu fin juin trois dirigeants de la Cinémathèque ainsi que les plaignants. Vincent Paul-Boncour, directeur du distributeur Carlotta Films, a déploré que la programmation de la Cinémathèque ne soit « pas réservée aux seuls films rares et difficiles », même s’il comprend « la nécessité d’ouvrir celle-ci à des films plus récents ». Il a souligné que « le prix des places est de 7 à 8 euros dans les salles indépendantes alors que le Pass (de la Cinémathèque) ne coûte que 10 euros par mois, pour un éventail de films extrêmement large ».

Ce Libre Pass (qui engage l’abonné pour douze mois en lui donnant accès à tous les films et à toutes les manifestations) a séduit plus de 5 400 cinéphiles. Selon Jean-Marie Rodon, des cinémas Action, la fréquentation des salles indépendantes a chuté en moyenne de 30 % en un an. Serge Toubiana, directeur général de la Cinémathèque, a affirmé ne pas se situer dans une « logique d’exploitation », un film n’étant montré qu’une fois ou deux. Sa mission (conserver, restaurer, créer des activités pédagogiques...) est plus vaste que celle des salles d’art et essai. Il a eu beau jeu de rappeler le souci qui devait être le sien au moment de son déménagement : ne pas perdre son public.
Dans ses recommandations en date du 25 septembre, que Le Monde s’est procurées, le médiateur a conscience des « réelles difficultés » et de « l’économie fragile » des salles parisiennes d’art et essai. Il assure aussi que « la mission d’intérêt général qui incombe à la Cinémathèque et les moyens importants que lui attribue l’Etat pour la mener à bien créent naturellement des devoirs vis-à-vis du public ». Il affirme que « la situation parisienne n’est en rien caractérisée par une carence de l’offre privée et de l’initiative privée », mais, pour autant, les concours publics dont bénéficie la Cinémathèque ne « doivent pas être de nature (...) à fausser le jeu de la concurrence ».

A la proposition des indépendants d’ouvrir le Pass aux établissements privés, M. Maistre souligne « de sérieuses difficultés de mise en œuvre » d’un tel projet. Il préconise en revanche « d’ajuster à la hausse le tarif du Libre Pass (...) pour tenir compte des équilibres du marché ». Le prochain conseil d’administration de la Cinémathèque en tiendra-t-il compte ? Le Conseil de la concurrence, également saisi dans ce dossier, tranchera plus tard.
(Nicole Vulser, Le Monde, 12 octobre 2006)