La crise à Hollywood, ce n’est pas du cinéma

par Claudine Mulard

Le Monde, 4 avril 2009

Les studios hollywoodiens, qui aiment se vanter, ont attendu le mardi 31 mars pour dévoiler les résultats – nombre d’entrées, chiffre d’affaires – que leurs films ont réalisé en 2008. C’est étrange, car les chiffres sont excellents. Ils ont été donnés par l’association qui représente l’industrie du cinéma, la Motion Picture Association of America, lors du Salon des exploitants en salles, à Las Vegas (Nevada).

En 2008, les recettes en salles dans le monde entier atteignent 28,1 milliards de dollars (21 milliards d’euros), soit une augmentation de 5,2 % par rapport à 2007, essentiellement dopée par le marché international. Le progrès de 1,7 % sur le territoire nord-américain, où 610 longs métrages ont été distribués, est dû à la hausse d’environ 5 % du prix des billets de cinéma (prix moyen à 7,18 dollars, soit 5,36 euros), alors que la fréquentation a légèrement baissé.

Hollywood aurait dû pavoiser, alors pourquoi une telle discrétion ? La raison est stratégique : la crise et ses aides financières. Au Congrès, une clause accordant des réductions fiscales à hauteur de 246 millions de dollars (184 millions d’euros) aux studios hollywoodiens a été rejetée en janvier par une majorité de 52 sénateurs, qui doutaient de la pertinence d’une aide à une industrie bénéficiant de recettes record.
Mais les studios espèrent toujours introduire les abattements fiscaux dans un nouveau projet de loi. Les deux sénatrices démocrates de Californie, Barbara Boxer et Dianne Feinstein, y sont favorables, car les résultats en salles ne représentent qu’une fraction du chiffre d’affaires des studios, qui se trouvent en réelles difficultés économiques, notamment en raison de la chute des ventes de DVD.

Vers un nouveau modèle
« La situation critique de cette industrie est très difficile à estimer », explique l’économiste Jack Kyser, du bureau d’études Los Angeles County Economic Development. « Comme l’industrie automobile et d’autres secteurs, le show-business évolue vers un nouveau modèle économique, mais personne ne sait lequel ! Alors tout le monde avance, avec prudence. »
Mais les chiffres sont inquiétants. Celui de l’emploi dans le cinéma, la télévision et les tournages publicitaires pour la région de Los Angeles a chuté à 122 200 en février, contre 141 400 en novembre 2008. Hollywood n’a pas connu, depuis longtemps, autant de licenciements (800 postes à la Warner) et de coupes budgétaires. Ces chiffres traduisent un net déclin d’activité et une réduction des coûts, ce qui laisse entendre que le nombre de tournages est en baisse, même si Hollywood reste discret sur cette question.

Un an après la grève des scénaristes, le conflit latent entre les studios et le syndicat des acteurs, Screen Actors Guild (SAG), qui n’ont pas renégocié leurs accords, fait peser une menace de débrayage et contribue au ralentissement.
Un autre signe est la valse à la tête des studios. Pour diriger la News Corp., Rupert Murdoch a choisi Peter Rice, l’homme derrière les films indépendants Slumdog Millionaire et Juno, et DreamWorks a passé un accord de distribution avec Disney. Mais le feuilleton qui fait haleter Hollywood est la tentative de prise de contrôle du mini studio LionsGate par l’investisseur Carl Icahn, qui tente de racheter la dette de la compagnie en difficulté. Et pourtant LionsGate a produit le film d’horreur The Haunting in Connecticut, en deuxième position du box-office pour le week-end du 27 au 29 mars.

Acteurs au chômage
La crise pourrait favoriser des concentrations, comme l’absorption de la jeune agence de talents Endeavor, dirigée par Ari Emanuel, frère du chef de cabinet de Barack Obama, par la vénérable William Morris Agency, fondée en 1898.
Pour certains acteurs, la crise crée des rôles de chômeurs... au cinéma : Ben Affleck (en golden boy licencié), Kevin Costner (en ouvrier du bâtiment) et Tommy Lee Jones (en vertueux responsable d’entreprise) rejoignent la distribution de The Company Men, un drame sur la récession économique qui abordera l’impact humain de la réduction d’effectifs en entreprise. Le tournage débute en avril à Boston (Massachusetts) sous la direction de John Wells, qui ferme sa fameuse salle d’Urgences au bout de quinze saisons - le dernier épisode de la série médico-sentimentale est diffusé, jeudi 2 avril, par la chaîne NBC.
Certains secteurs résistent mieux, comme les productions originales des chaînes câblées : The Number One Ladies’Detective Agency, la nouvelle série de HBO qui a pour cadre l’Afrique, dont le premier épisode a été écrit et réalisé par Anthony Minghella (et produit par Sydney Pollack), est déjà qualifiée de « joyau » par la critique.
(Claudine Mulard, Le Monde, 4 avril 2009)