Le directeur de la photographie Bruno Romiguière parle de son travail sur "La Vie en grand", de Mathieu Vadepied

Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, le chef opérateur Mathieu Vadepied a choisi de constituer une équipe composée de vieilles connaissances. Outre Nathalie Vierny, la scripte, Michel Sabourdy, le "gaffer", et François Tille, le chef machiniste, il a décidé de confier l’image du film à Bruno Romiguière, qu’il connaît depuis plus de dix ans. Discussions avec ce dernier autour de l’image et de la collaboration avec un opérateur passé à la réalisation... (FR)

Quel était l’enjeu principal de ce film pour vous à l’image ?

Bruno Romiguière : C’était arriver à créer cette situation d’intimité si particulière avec les deux adolescents qui interprètent les rôles principaux. C’est pour cette raison qu’on a décidé de tourner à deux caméras, à l’épaule, en équipe très légère. Tourner à Stains, au milieu de la cité, imposait aussi un certain style d’image urbain à la fois brut et sauvage que j’ai découvert lors des repérages.
D’une certaine manière, la démarche cinématographique était d’être à la fois dans la recherche tout en conservant un maximum de liberté pour les jeunes interprètes. Ça se traduit à la fin par un film ou le travail de cadre et d’écriture l’emporte un peu sur la lumière ou l’image pure, mais qui était extrêmement motivant et enthousiasmant à faire.

Travailler avec un réalisateur qui est lui-même chef opérateur, est-ce plus facile ?

BR : Je dirais que c’est à la fois stressant et génial... Génial parce que travailler avec quelqu’un qui a les bons réflexes permet de gagner beaucoup de temps, notamment par exemple sur les repérages et les grands choix de tournage en termes d’emploi du temps, de lumière naturelle par exemple. D’un autre côté, tellement absorbé par la gestion des deux adolescents et du reste du casting, Mathieu a peu à peu mis complètement de côté les contingences techniques, ce qui nous a obligés à se débrouiller avec les moyens du bord !
Par exemple, je me souviens notamment d’une séquence extérieure sous la pluie battante avec un car de CRS qu’on a tourné littéralement sans lumière... De ce point de vue, je dois dire que c’est un film qui a été vraiment compliqué à faire avec les caméras numériques d’il y a dix ans. Le gain en dynamique offert par les dernières générations et la possibilité tourner en Raw tout en restant léger a littéralement rendu l’image de ce film possible.

Avez-vous beaucoup préparé le film ?

BR : J’ai commencé à travailler un mois et demi avant le tournage. J’ai pu suivre beaucoup de répétitions, assister aux essais et commencer à filmer ces moments de manière à se faire mieux accepter par les comédiens. Cette phase a été capitale pour qu’ils connaissent le maximum de l’équipe avant de débarquer sur le plateau. Néanmoins, le travail d’une séance d’essai ne remplace pas la pression et l’importance du tournage, et je dois dire qu’on a quand même pas mal bataillé pour conserver la mobilisation de ces jeunes sur les deux mois qui ont suivi...

Quand le film a-t-il été tourné ?

BR : Entre juin et juillet 2014. Mais il faut savoir que sur le mois de juin on n’avait les adolescents que quatre heures par jour. On passait donc les quatre premières heures de la journée à mettre en place et à tout répéter avant qu’ils n’arrivent sur le plateau et qu’on enchaîne alors le plus de choses possibles pendant le temps qui nous restait. Les vacances de juillet arrivant, on a été autorisé à les faire travailler six heures par jour, mais on était encore loin d’un rythme habituel de travail avec des comédiens adultes professionnels.

C’est plutôt un film solaire alors ?

BR : Oui et non. A la fin on est parti sur une image assez froide. Cette décision s’est imposée naturellement l’étalonnage à cause des décors froid ou gris (à part peut être l’appartement qui est plus chaud), et des nombreuses peaux africaines qu’on a été amené à filmer. Avant de tourner, j’ai pu faire des essais comparatifs assez poussés chez Panavision Alga entre plusieurs caméras (la Sony F55, la Red Dragon, la Black Magic 4K et l’Arri Alexa), et rapidement on a sélectionné la Sony et l’Alexa. Mais grâce à son rapport qualité/poids plus avantageux, c’est la Sony qu’on a gardée à la fin.

Pourquoi ?

BR : Je trouve c’est une caméra très équilibrée. Elle a peut-être un peu moins de caractère dans l’image que l’Alexa, mais elle est très légère, elle a une très grande dynamique et offre des couleurs très satisfaisantes. Mon seul regret c’est l’absence de réserve dans la visée. En termes d’enregistrement, on est parti sur du RAW car on savait que beaucoup de séquences seraient tournées en lumière disponible, et on voulait conserver un maximum de latitude pour finir le film. Équipée avec une série Zeiss Distagon T2,1 et dépouillée de tout accessoire, on a vraiment quelque chose de léger et compact qui nous a permis de tenir à l’épaule sur les huit semaines du tournage.

Avez vous utilisé un Easy Rig ?

BR : Non, Mathieu nous l’a interdit ! Il n’aimait pas l’image que ça crée et voulait vraiment qu’on sente la caméra à l’épaule, avec son côté brut sans la petite stabilisation qu’apporte la suspension. C’est François Tille, le chef machino, qui a cadré la deuxième caméra.

Et la postproduction ?

BR : L’étalonnage s’est fait chez Digital District, avec Muriel Archambault. Comme Mathieu fait un peu parti de cette famille d’opérateurs qui n’aiment pas le contraste forcé, ou les surmanipulations de l’image en postprod’, on essaie de rester en cohérence au maximum avec les choix faits lors de la prise de vues. Pour moi, le résultat final se partage entre un côté très réaliste et aussi très onirique, comme dans la séquence de fin, dans la cour de lycée, où ce coucher de soleil avec ces flares crée une ambiance magique, et pourtant entièrement naturelle.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)


Michel Sabourdy, "gaffer"
« Mathieu était très attaché à l’authenticité du film. C’est sans doute pour cette raison qu’il n’a fait aucune concession sur le casting, en allant chercher des adolescents loin d’être les plus faciles à gérer sur un plateau ! Pour la lumière c’est un peu pareil, une lumière opportuniste qui se cale sur la réalité en rapport avec le propos. C’est vrai qu’au départ, j’aurais aimé qu’on exploite un peu plus les fins de journée d’été, où la lumière est quand même plus intéressante, les incidences moins verticales. Mais rapidement, à cause des contingences liées au plan de travail des adolescents, on a dû y renoncer à quelques exceptions près. »

« En termes de matériel, j’ai tout de suite proposé à Bruno les projecteurs LED Fillex, très légers, fonctionnant sur batterie Vlock avec une bonne autonomie, et que je pouvais percher avec une petite Chimera. La lumière du jour a été souvent la référence, même en intérieur nuit, sans hésiter parfois à mélanger les différentes températures couleur selon les lieux. Enfin, des Joker de K 5600 équipés de Bug-A-Beam nous ont bien servi en réflexion, pour créer rapidement des zones de lumière et contrôler avec les couteaux intégrés. Depuis, j’ai découvert la gamme LED Flexlight, encore plus légère que les Fillex. Ça se présente sous la forme d’une petite plaque LED souple qu’on peut diffuser et facilement installer en bout d’une perche. »