La production de films, priorité de Canal+

Le groupe de télévision payante va réduire son soutien aux distributeurs et aux exploitants

par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°194

Le Monde, 20 décembre 2009

« Canal+ d’économies » : l’expression commence à circuler pour qualifier l’accord conclu, vendredi 18 décembre, par la chaîne leader dans la distribution d’offres de télévision payante en France avec une partie de la profession du cinéma.

Le nouveau dispositif de financement de la filière production-distribution-exploitation, signé pour cinq ans, a le mérite d’être clair : Canal se recentre sur ce qu’elle considère être son cœur de métier, la production des films, et s’apprête à réduire très nettement son soutien aux distributeurs et aux exploitants de salles.
Le volet production est donc conforté : la part du chiffre d’affaires de la chaîne consacrée au financement d’œuvres européennes passe de 12 % à 12,5 %. Sur ces 12,5 %, le taux consacré à la production française est porté à 10 %, contre 9% auparavant (soit 170 millions d’euros en 2008 pour 142 films préachetés). Cette enveloppe intègre une prime au succès (0,5 % du chiffre d’affaires), qui récompense les films ayant réalisé plus de 500 000 entrées en salles, ou les préachats français et européens « de diversité » qui rencontreront leur public.

Les organisations de cinéma ont dû batailler pour obtenir ce résultat, comme le raconte un participant : « Canal nous expliquait qu’il était fragilisé, avec la VOD (vidéo à la demande) et l’arrivée d’Orange dans le paysage, qui a signé un accord avec des organisations du cinéma en novembre. On leur a répondu que Canal doit sa bonne santé au cinéma français, et que la chaîne achète le foot toujours aussi cher... »
Le dispositif prévu pour les distributeurs et les exploitants reste à construire. Au départ, Canal souhaitait supprimer les 20 millions d’euros d’aides actuelles (13,5 millions d’euros pour les exploitants de salles et 6,5 millions d’euros pour le distributeur). « Mais on a été sensibles aux arguments des plus fragiles. Nous allons créer une fondation d’entreprise, qui serait dotée de 7 millions d’euros », en faveur des distributeurs et exploitants indépendants, a déclaré au Monde Bertrand Méheux, président du groupe Canal+.

Comment expliquer ce revirement ? « Notre volonté est de promouvoir le cinéma français. On diffuse quatre cents films par an. Aujourd’hui, c’est la production qui a beaucoup de mal à financer ses projets », plaide M. Méheux, en soulignant que la fréquentation en salles, en revanche, se porte bien : le Centre national du cinéma (CNC) « annonce 200 millions de spectateurs pour 2009 », un record depuis 1982.
Vendredi, Canal se félicitait que l’accord ait obtenu la signature de la plupart des organisations de producteurs (ARP, APC, SPI, UPS, mais pas l’API) et de deux distributeurs indépendants (SDI et le DIRE). La profession ne va-t-elle pas sortir divisée de cet épisode ? « Avant de signer, on a obtenu l’assurance qu’il y aurait bien un dispositif de soutien aux distributeurs et aux exploitants », souligne Françoise Gastaud, déléguée générale de l’ARP.

Autre question : pourquoi des distributeurs indépendants s’inscrivent dans la démarche de Canal+, qui leur est pourtant à première vue défavorable ? Ces professionnels comptent notamment faire reconnaître dans la future fondation leur qualité de distributeur indépendant, « c’est-à-dire non affilié à un groupe d’exploitation, à une chaîne de télévision, à un fournisseur d’accès à Internet, ni à une major américaine », explique un responsable. L’idée serait qu’à l’avenir les aides soient strictement réservées aux distributeurs qui répondent à cette définition. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
(Clarisse Fabre, Le Monde, 20 décembre 2009)