Le scénario, maillon faible du cinéma ?

par Mathilde Blottière

La Lettre AFC n°159

Directeur du Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle, Christian Biegalski déplore ouvertement un déséquilibre des professions : « Le métier de producteur est sous-estimé, celui de réalisateur surévalué, et celui de scénariste, seul praticien du cinéma à ne pas disposer d’une carte professionnelle, carrément déconsidéré. » En France, le budget dévolu à l’écriture d’un film en dit long sur ce manque de reconnaissance. Selon une étude réalisée par le syndicat UGS (Union guilde des scénaristes), le coût du scénario se serait totalement effondré au début des années 1990 et ne représenterait plus aujourd’hui qu’à peine 2 % du budget total des films (contre 10 % au début des années 1960 et 8 % actuellement aux Etats-Unis). Résultat : des scénarios qualitativement sacrifiés et des scénaristes globalement sous-payés.
Auteur et directeur de la section cinéma de l’UGS, Jérôme Soubeyrand estime à une soixantaine seulement le nombre de scénaristes de cinéma professionnels susceptibles de vivre de leur activité. (...)

Elément déclencheur du financement d’un film, sans lequel celui-ci ne peut exister, le scénario est donc, selon Christian Biegalski, « l’objet paradoxal », indispensable mais dévalorisé, de l’industrie du cinéma. « Tout se passe comme si les scénaristes étaient les seuls à assumer le risque qu’implique toute phase d’écriture, ce moment incertain où rien ne garantit encore la faisabilité du film. » Ce risque, de nombreux producteurs, dépourvus de fonds propres, ne peuvent plus l’assumer. « Fragilisés, ils sont devenus frileux et, aujourd’hui, ils dépendent des aides publiques ou des chaînes de télé. » (...)

Pour avoir les coudées plus franches, certains scénaristes, las d’être les éternels accoucheurs des idées du réalisateur, rêvent d’être à l’initiative d’un film, d’en proposer le sujet original. Mais au pays de la politique des auteurs, cela reste pour l’heure un vœu pieu. « La première et invariable question d’un producteur qui a accepté de lire le projet d’un scénariste, c’est : qui met en scène ? » raconte Christian Biegalski. « Si vous n’arrivez pas avec un tandem auteur-réalisateur ou avec une liste de metteurs en scène potentiels, vous êtes perdant. » A moins de réaliser soi-même : plutôt que de chercher un bon metteur en scène pour une bonne histoire, certains producteurs préfèrent ainsi courir le risque qu’un bon scénariste fasse un mauvais film. (...)

L’espoir réside dans la professionnalisation progressive d’un métier longtemps appris sur le tas. Depuis 1980 et l’ouverture par Christian Biegalski du premier cours d’écriture scénaristique en faculté, de nombreuses formations, séminaires et autres ateliers ont vu le jour. Déléguée générale du Festival international des scénaristes, qui fêtera ses 10 ans début 2007, Isabelle Massot résume les dernières avancées. « Ça bouge du côté des institutions. En 2000, le rapport Gassot a accéléré la mise en place de nouvelles aides à l’écriture, des scénaristes ont fait leur entrée au conseil d’administration de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques et une commission de soutien au scénario a été créée. »
(Mathilde Blottière, Télérama, 22 octobre 2006)