Le sens de l’image

Rencontre avec Gérard de Battista, directeur de la photographie, par Francis Cornu

Le Monde TV&Radio, semaine du lundi 11 août au dimanche 17 août 2008

Gérard de Battista, AFC, est à l’honneur (et à la Une...) du Monde TV&Radio dans un article de Francis Cornu, cinquième volet de la série d’été que le quotidien consacre dans son supplément hebdomadaire aux métiers de la fiction.
Cette semaine, regard sur le directeur de la photographie.

Les métiers de la fiction (5)

Maître d’œuvre
Directeur de la photographie. Gérard de Battista se considère comme un " chef de chantier " au service du réalisateur. C’est lui qui définit les réglages et les mouvements de la caméra, coordonne le travail du cadreur, de l’éclairagiste et des autres techniciens ou machinistes.

Qui est-ce ? Les témoins d’un tournage, curieux ou figurants, posent souvent la question. Ils ont vite identifié le réalisateur et son premier assistant, qui se font entendre et immanquablement remarquer. Mais qui est donc cet homme (ou cette femme), l’œil souvent rivé à la caméra, pas toujours, dont le rôle a première vue indéfinissable revêt et manifestement une grande importance au regard du réalisateur comme de l’ensemble des techniciens ? Bien qu’inscrit en très bonne place au générique, le directeur de la photographie, ou chef opérateur, " chef op’ " pour les intimes, est souvent quelqu’un de discret.

Comme Gérard de Battista, par exemple. « Je suis entré dans le métier par la fenêtre », raconte ce dernier qui, ne se voyant pas exemplaire, précise d’emblée qu’il n’a pas fait l’IDHEC, devenu La fémis l’école du cinéma et de I’audiovisuel. Autodidacte ? Oui, mais fort précoce ! Aujourd’hui sexagénaire, notre homme est, en quelque sorte, entré dans la carrière à l’âge de 11 ans. Armé dune petite caméra d’amateur il tourne alors de très courts métrages avec un camarade de classe de cinquième, un certain Serge Moati, qui sera bien plus tard à la télévision, le " bon-à-tout-faire " que l’on sait : producteur réalisateur et animateur. « Serge écrivait, moi je filmais et nous y mettions tout notre sérieux », raconte, amusé, Gérard de Battista.

A la fin des années 1960, les deux compères se retrouvent en Afrique, où ils réalisent des documentaires sur des opérations de développement, pour le compte du ministère de la coopération. Là-bas, ils font une rencontre majeure, celle de Jean Rouch. le cinéaste ethnologue qui a inspiré la Nouvelle Vague. Ce maître recommande Gérard de Battista à François Reichenbach.
S’ensuivra une collaboration de quinze ans. Mais le jeune cadreur ou opérateur (vulgairement appelé " cameraman "), avant que d’être " chef op’ ", travaille aussi avec d’autres documentaristes de renom, tels Chris Marker et William Klein. Nombre de ses collègues qui ont « fait l’école » peuvent envier à Gérard de Battista pareille formation sur le tas.

Le premier long métrage de fiction auquel il travaille, en 1978, est Le Soleil en face de Pierre Kast, avec Jean-Pierre Cassel, entièrement tourné avec une caméra à l’épaule, façon reportage ou documentaire, exercice auquel, évidemment, il est déjà rompu. A ce propos, Gérard de Battista se livre à une de ces mises au point dont il a le secret : « Il faut arrêter de faire tout un plat avec cette manière de tourner ; pour une scène de La Bête humaine, Renoir l’avait utilisée dès 1937 et Duvivier dans La Bandera encore avant... » Incollable sur l’histoire de son métier, cet homme, qui a une centaine de films de cinéma et de télévision à son actif (documentaires compris, et sans compter quelque trois cents films publicitaires), cultive la modestie de ceux qui sont sûrs de leur savoir, de leur savoir faire.

C’est ainsi, sans la moindre insistance, qu’il explique toute l’étendue de sa fonction. « Le directeur de la photo, dit-il, est celui qui dirige la fabrication de l’image et de la lumière de la première rencontre avec le metteur en scène, longtemps avant le tournage, jusqu’à l’étalonnage [l’unification de la lumière et du rendu photogra-phique des différents éléments du film], et parfois jusqu’à la vérification des copies envoyées dans les salles. » En amont du tournage, après les discussions initiales avec le réalisateur, au vu du scénario, le chef op’ participe aux repérages, au choix des décors et des costumes, peut intervenir sur le découpage et sur le plan de travail.
Sur le plateau, Gérard de Battista considère qu’il est un « chef de chantier » qui non seulement définit les réglages et mouvements de la caméra, mais encore coordonne le travail du (ou des) cadreur(s), de l’éclairagiste et autres techniciens ou machinistes, en veillant, à tout moment, à rester au service de l’« architecte », le réalisateur. Et d’ajouter : « Un directeur de la photo doit être dirigé un peu comme un acteur. »

Cette conception du métier est sans doute l’une des raisons pour lesquelles Gérard de Battista a travaillé avec des gens aussi différents que Bertrand Blier, Mehdi Charef, Josiane Balasko, Gérard Jugnot (cinq films), Tonie Marshall, Claude Zidi, Claude Miller, Claude Lelouch et Bernard Stora. Le chef op’ à tout faire confesse être « assez éclectique ». Après avoir notamment tourné avec lui deux remarquables téléfilms, Suzy Berton et Le Grand Charles (de Gaulle), puis Elles et moi – à venir prochainement sur France 2 –, Bernard Stora vante son « extraordinaire capacité d’adaptation », et multiplie les compliments : « D’une grande discipline il est le plus ardent défenseur du projet à réaliser. Il sait ramener sans cesse à l’essentiel. J’aime beaucoup ça. Il a une énorme expérience. Il est d’une habileté fantastique avec la caméra. C’est un homme de culture et un homme de terrain, baroudeur s’il le faut, un merveilleux compagnon d’aventures. »
Enfin, Bernard Stora souligne que Gérard de Battista, qui a accompli la plus grande partie de sa carrière avec la pellicule, est, en France, « le pionnier et le meilleur spécialiste du numérique et de la haute définition (HD) ». Suzy Berton, en 2003, a été le premier film mariant les deux procédés. « Pas étonnant que Miller [La Petite Lili, Un secret] et Lelouch [Les Parisiens, Roman de gare] ne jurent que par Gérard », insiste Bernard Stora. Mais ledit Gérard, fidèle à lui-même, conclut : « Le numérique, la HD, ce ne sont que des outils. L’important, c’est le sens de l’image. Le reste n’est que de la cuisine. »

(Article publié avec l’aimable autorisation de son auteur, Francis Cornu, Le Monde TV&Radio, 10-11 août 2008)