Les mutations urbaines bouleversent la géographie des cinémas à Paris

par Nicole Vulser

La Lettre AFC n°170

Le Monde, 21 octobre 2007

La géographie des cinémas, à Paris et dans sa banlieue, est en pleine évolution. Des salles ferment, d’autres ouvrent, accompagnant la mutation économique, démographique et sociologique des communes voisines de la capitale et la renaissance urbaine de quartiers autrefois industriels, notamment au nord et à l’est de Paris.

Les changements, qui concernent pas moins d’une centaine de lieux de projection tant à Paris qu’en banlieue, ne vont pas sans conflits. La fermeture attendue du Grand Pavois dans le 15e arrondissement ou les recours déposés par les groupes UGC, puis par MK2, devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise contre le projet d’extension du cinéma d’art et essai de Montreuil, Le Méliès (Le Monde du 19 septembre), en sont les symptômes.
Invoquant, comme à Montreuil, un risque d’abus de position dominante de la part d’un cinéma municipal bénéficiant de subventions publiques, UGC a aussi contesté, devant le même tribunal, l’autorisation de créer trois nouvelles salles à Noisy-le-Grand. Les gros opérateurs ne sont d’ailleurs pas seuls dans ce combat : l’association Indépendants, solidaires et fédérés (ISF), qui regroupe une dizaine de cinémas privés d’art et essai, dont ceux du réseau Utopia, s’est elle-même inquiétée, mercredi 17 octobre, d’une « dérive de plus en plus délirante des collectivités locales ».
Comment expliquer ces changements, transferts d’activité ou créations ex nihilo ? « La complexité du marché tient aux bizarreries des zones de chalandise », souligne Benoît Dannard, chargé des études au Centre national de la cinématographie (CNC). « Quand on habite la banlieue, il est parfois plus facile de faire dix minutes de RER pour aller au cinéma à Paris que de se rendre dans une commune plus proche. »

Bouleverser la donne
La géographie des cinémas parisiens n’a en fait jamais été stable. D’après l’ouvrage Les Cinémas de Paris (CNRS éditions), on recensait 342 salles après la seconde guerre mondiale, disséminées de façon assez homogène dans tous les arrondissements. Mais l’arrivée des multiplexes bouleverse profondément la donne. Entre 1946 et 1995, 70 % des cinémas, qui n’offrent souvent qu’un seul écran, ferment. Les premières touchées sont les petites salles de quartier, suivies de celles du boulevard Rochechouart. Celles des Grands Boulevards se raréfient. Les Champs-Elysées sont aussi atteints. Les dernières statistiques du CNC précisent que la chute a été particulièrement sévère, entre 1977 à 2006, dans Paris intra-muros où on est passé de 465 écrans à 379.
En revanche, dans la petite couronne, le nombre des salles a augmenté, de 143 à 285. Et les projets se multiplient. A ceux de Montreuil et Noisy-le-Grand s’ajoutent trois salles municipales à Rueil-Malmaison, deux autres aux Clayes-sous-Bois et autant à Sarcelles. Appartenant à des exploitants privés, les Ecrans d’Arcueil, pilotés par Jean Henochsberg, vont ouvrir neuf salles près de Montrouge.

L’Utopia doit ajouter une nouvelle salle à son petit complexe de Saint-Ouen-l’Aumône. Pathé compte inaugurer dix salles à Versailles. Enfin, la Commission départementale d’équipement cinématographique (CDEC) a donné son aval à la construction de trois salles à Argenteuil. Et si le groupe UGC a fermé cinq salles dans le 15e arrondissement et trois sur les Champs-Elysées, « essentiellement », selon M. Sussfeld, son directeur général, « sous la pression immobilière », il s’est redéployé sur la petite couronne, à Rosny, Cergy, Créteil et plus récemment à la Défense, où l’ancien complexe ne drainait plus que 60 000 spectateurs par an et en accueille près du triple aujourd’hui.

Quartiers désenclavés
UGC a joué un rôle de pionnier en installant, au milieu des années 1990, un premier multiplexe aux Halles avant de se redéployer sur une zone alors mal couverte, l’est de Paris. Le groupe a ouvert son site de Bercy en même temps que la nouvelle ligne de métro 14. « Ce cinéma a joué un rôle moteur dans la commercialisation de la cour Saint-Emilion », affirme Alain Sussfeld.
MK2 a poussé plus loin encore cette stratégie d’implantation dans les quartiers de l’Est parisien. C’est ainsi que le groupe de Marin Karmitz s’est déployé près de la Bibliothèque nationale de France, puis quai de Seine et quai de Loire, dans le 19e arrondissement. Ce recentrage vers les zones en cours de réaménagement n’est pas achevé. MK2 devrait investir quelque 30 millions d’euros pour créer 14 salles en 2012 dans la ZAC Paris-Nord-Est, située entre Aubervilliers et les entrepôts Mac Donald, bientôt désenclavée par le tramway et la nouvelle station Evangile de la ligne E du RER.

« Une concertation a été engagée avec les huit communes qui pourraient être impactées par ces nouveaux cinémas », explique Régine Hatchondo, déléguée de la Mission cinéma de la Ville de Paris. « Cette zone, qui comprendra des commerces, des espaces verts et des logements sociaux, sera reliée par une passerelle, au-dessus du périphérique, à Aubervilliers. » Non loin, porte des Lilas, un complexe plus modeste (sept ou huit salles d’art et essai) est également à l’étude pour 2012. La Ville de Paris, qui a reçu cinq candidatures, n’a pas encore désigné le futur exploitant.
Le groupe Pathé, choisi pour le réaménagement du complexe de Beaugrenelle, dans le 15e arrondissement, devrait aussi déployer à terme un nouveau multiplexe de 16 salles dans la travée inoccupée de la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette.
(Nicole Vulser, Le Monde, 21 octobre 2007)