Les studios succombent à la tentation du cinéma en relief
par Nicole VulserLe Monde, 7 juin 2008
Le relief étant obligatoirement lié au numérique, le passage progressif des salles de cinéma en tout-numérique provoque un nouvel engouement pour le cinéma en 3D, jusqu’à présent cantonné à une diffusion expérimentale.
Le 11 juin, Disney sort dans une quinzaine de salles un film en 3D, Hannah Montana, issu d’une captation de la tournée américaine des concerts de cette jeune héroïne d’une série télévisée de Disney Channel. Un moyen selon Jean de Rivières, directeur général de Walt Disney Studios Motion Pictures, basé à Paris, de s’adresser à un public qui tend à déserter les salles de cinéma, celui des adolescents et des préadolescents. Surtout depuis que les jeux vidéo semblent devenir leur passe-temps favori, au détriment du cinéma.
Disney part d’un constat simple : le prix d’une place de cinéma - même en 3D, soit 12 à 15 euros - reste trois fois moins cher qu’une place de concert. Les parents, réticents à autoriser les 8-15 ans à assister à des concerts, hésiteront moins à les laisser en voir au cinéma. La vision est bonne quelle que soit la place occupée par le spectateur, et lors d’une avant-première organisée par Disney, l’ambiance était au rendez-vous, les ados dansant dans la salle... Au point que Jean de Rivières parie sur 50 000 entrées dans l’Hexagone. Déjà 1 200 places ont été prévendues, comme pour un concert. Aux Etats-Unis, ce concert filmé, diffusé dans 680 salles en février, avait rapporté la coquette somme de 65 millions de dollars.
Pionnier en la matière, Disney avait déjà conquis 110 000 spectateurs en France avec L’Etrange Noël de Monsieur Jack en version 3D. En revanche, Bienvenue chez les Robinson n’a été projeté en 3D que dans des festivals.
Autre long métrage en 3D attendu, le 16 juillet, en France, Le Voyage au centre de la Terre, produit par New Line et Walden Media. Son réalisateur américain, Eric Brevig, explique au Monde que « la règle numéro un consiste à toujours penser au confort du spectateur ». Ne pas lui faire mal aux yeux, ni lui infliger d’incessants artifices forains comme les jaillissements de l’image qu’il faut utiliser avec parcimonie. Le réalisateur a donc joué avec des roches flottantes, le sentiment de vertige, l’impression de profondeur. « Pour les acteurs, la 3D ne change rien », assure Eric Brevig, qui a signé des films pour les parcs à thèmes de Disney.
Son adaptation du roman de Jules Verne donne un film familial destiné à plaire aux enfants, qui ont tous envie d’attraper l’écran ou de se terrer dans leur siège quand surgit une gueule de dinosaure. Scènes qui ne sont pas sans rappeler l’émotion foraine des premiers films des frères Lumière. Ce long métrage, qui a coûté 70 millions de dollars, sera lancé en même temps en Europe, et aux Etats-Unis dans 300 salles (dont la moitié seulement en 3D).
L’engouement pour le cinéma en 3D est contagieux. Aux Etats-Unis, les studios, Disney en tête, DreamWorks ou la Fox s’y mettent. Plus d’une vingtaine de films, essentiellement de l’animation, sont en préparation. « A Los Angeles, la direction de Disney a la conviction que la 3D est une opportunité et apporte des avantages aux spectateurs », affirme Jean de Rivières. D’ailleurs, Wall-e, Up ou Toys Story 3, les futurs dessins animés de Disney sont conçus en 3D. Pour les fictions, c’est parfois plus compliqué : si James Cameron réalise son Avatar, Peter Jackson a dû renoncer à son King Kong en 3D, jugé trop cher. De même George Lucas ne se lancera dans l’aventure d’une mise en volume de Star Wars que lorsque le nombre de salles équipées aux Etats-Unis sera suffisant.
En 1954, Alfred Hitchcock et John Farrow s’étaient déjà frottés au cinéma en relief en réalisant respectivement Le Crime était presque parfait et Hondo avec John Wayne. La technique était bien laborieuse : le metteur en scène devait viser quasiment à l’aveugle dans deux caméras, mais les spectateurs avec leurs lunettes bleues et rouges avaient pu goûter les prémisses de la 3D.
S’agit-il aujourd’hui d’une révolution technologique ? Norman Twain, le producteur américain du seul film 3D d’horreur Scar, reste très pragmatique : « Tout le monde a la même idée, le marché de la 3D s’accroît. Ce n’est pas un business classique, on le fait clairement pour gagner de l’argent. Cela peut se développer fortement pendant cinq ans », a-t-il dit au Monde en marge de l’exposition " Dimension 3 expo ", le deuxième forum international de l’image 3D relief, qui s’est tenu à Chalon-sur-Saône du 2 au 5 juin.
La viabilité de ces films n’est pas encore assurée. Les coûts de production sont supérieurs de 20 % à ceux d’un film classique, mais les copies numériques sont dix fois moins chères que les copies 35 mm. Pour l’heure, ces longs métrages ne peuvent se rentabiliser que dans les salles équipées en numérique (une centaine en France aujourd’hui et 250 aux Etats-Unis). Il est trop tôt pour envisager de créer une exploitation supplémentaire de ce type de films dans d’autres supports (télévision ou vidéo en relief), même si les premières innovations dans ce domaine voient le jour.
Toute nouvelle technologie créant des opportunités, les marchands de lunettes spécifiques pour la 3D devraient se réjouir. Il leur reste à les rendre moins lourdes, moins chères et trouver un système pour les nettoyer.
(Nicole Vulser, édition Le Monde du 7 juin 2008)