Madeleine Collins

Vers le mois de septembre 2011, Justin Taurand m’a appelé pour me proposer un scénario qui s’appelait Les Gouffres. C’était une histoire fortement symbolique qui parlait d’un côté d’une exploration de gouffres récemment découverts dans un pays d’Amérique latine, et de l’autre, de la descente psychologique d’une chanteuse d’opéra, venue accompagner son mari géologue dans son expédition. Le scénario était d’Antoine Barraud. Avec un budget prévu pour un court métrage, nous sommes arrivés à raccorder des séquences tournées dans un hôtel désaffecté dans les Pyrénées, où il faisait moins 12 degrés ; les grottes de Betharam et les extérieurs à la Réunion où il faisait 30 degrés. Le film fut sélectionné à Locarno. Mais surtout, une collaboration était née.

Antoine m’a parlé pour la première fois d’un scénario, qui racontait l’errance d’une femme, en 2014. Plusieurs actrices ont été pressenties pour le rôle principal, mais ce n’est qu’en 2018 que Virginie Efira a confirmé son intérêt. A partir de là, il a fallu encore attendre un an pour le financement (et aussi, pour qu’elle soit libre).
L’histoire se déroule entre la France et la Suisse, ce qui a valu encore quelques pirouettes dans les raccords. Nous avons tourné principalement autour de Paris et à Lille, avec une semaine à Genève en toute fin de tournage pour des extérieurs. Le film est une co-production. A part ma fidèle première assistante, Agnès Jeanneau, l’équipe était composée d’un mélange de techniciens belges, suisses et français.

Le film a deux ambiances distinctes : en France, une atmosphère que j’appellerais "Gauche-Caviar" ; à l’Opéra de Lille, cocktails et maison cossue ; en Suisse, plus modeste, plus austère. Plus minérale.

Nous avons fait un vrai dossier image, avec ambiances, textures et couleurs. [voir portfolio ci-dessous]

Antoine a une grande sensibilité pour le montage. Sur le tournage de Madeleine Collins, on commençait généralement par improviser la scène, acteurs et caméra et, au fur et à mesure qu’il voyait les moments qui l’intéressait, on précisait les cadres pour être sûr qu’il avait les plans qu’il lui fallait pour monter la séquence. Virginie est exigeante sur la manière dont elle est éclairée. En conséquence, nous avons dû découper beaucoup plus qu’à notre habitude, pour pouvoir contrôler la lumière à tout moment sur elle.

Pour la première fois sur un long métrage, j’ai utilisé majoritairement des sources LEDs. C’est ce qui nous a permis d’avancer tout en respectant les exigences de Virginie. Émilie Guéret, cheffe électricienne, m’a proposé d’utiliser un CarpetLight (CL44) à la face. Émilie a fait un travail formidable, calme et efficace, tout en rassurant Virginie.

Capture d’image


Virginie est entourée de Quim Guttieriez, Nadav Lapid (une belle présence à l’écran), Bruno Salomone. Il y la participation de Valérie Donzelli. Et Jacqueline Bisset. Quel plaisir de regarder Jacqueline Bisset dans son œilleton. Une légende.

Les meilleurs retours de Venise Days, où le film était sélectionné, parlent d’un film "hitchcockien". C’était exactement l’idée. Le scénario, écrit par Antoine, était tellement précis qu’aucune séquence ne pouvait être coupée. Il a d’ailleurs reçu le prix Sopadin (prix du scénario).

A part Le Privé, de Robert Altman (qu’on regarde chaque fois qu’on est à court d’idées) et Birth, de Jonathan Glazer, nous avons beaucoup étudié Kramer contre Kramer, de Robert Benton. Une leçon en mise en scène, dense et subtile. Le film laisse dans mon esprit un teinte rose pâle (qui est peut être due à la qualité des copies que nous avons aujourd’hui) que j’ai essayé de retrouver, particulièrement dans la partie suisse. Aidé par les LEDs, des tubes ASTERA (une merveille), une carton de Philips Smart Lights et l’étalonnage en ACES, nous sommes arrivés à rappeler les teintes qu’on aimait dans Kramer contre Kramer, tout en les ramenant dans le 21e siècle.

Parfois, j’admets en pensant encore en espace RVB, que je suis allé un peu loin dans la saturation des couleurs sur le plateau. Ce n’était pas nécessaire. Je ne m’en suis rendu compte qu’au moment de l’étalonnage, qu’en ACES, toutes les subtilités dont on avait besoin étaient déjà là. Je pense que c’est aussi une des raisons pour lesquelles on parle de Hitchcock, le teintes du film ont quelque chose d’un film de cette époque. Il faut aussi dire que le personnage de Virginie a une certaine ressemblance avec Tippi Hedren.

Capture d’image


Document de travail Gordon Spooner


La caméra était donc une Sony Venice. Je suis ravi de ce choix. Ça fait déjà quelques années que mon principal appareil photo est un Sony A7 RIII. Je l’utilise avec mes Nikkors, dont plusieurs ont quarante ans. Faute de pouvoir tourner en Nikkor, Louis Phillipe Capelle, d’Eye-Lite, nous a déniché une série de Canon K35 au Pays de Galles qui étaient impeccables. Il dégagent le même caractère que les Nikkor (ceci dit, nous avons quand même dû en tester trois séries avant d’en trouver une bonne).


Pour l’anecdote, Antoine apporte toujours un morceau de musique sur ses tournages. Cette fois ci, c’était "Fall", de Daft Punk (extrait de la bande son du film Tron). Dans les moments de fatigue, ça relance l’énergie.

Madeleine Collins
Production : Les Films du Bélier, Justin Taurand
Directrice de production : Cécile Rémy Boutang
Décors : Katia Wyksop
Photographe de plateau : Laurent Thurin

Équipe

Première assistante caméra : Agnès Jeanneau
Deuxième assistant caméra : Kinan Massarani
Troisième assistante caméra : Sacha Trille
Cheffe électricienne : Émilie Guéret
Chef machiniste : Moisés Mendoza
Etalonnage : Rodney Musso

Technique

Matériel caméra : Eye-Lite Bruxelles (Sony Venice, série Canon K35)
Matériel lumière : Eye-Lite Bruxelles
Matériel machinerie du chef machiniste suisse Moisés Mendoza
Postproduction : Colorgrade (Genève)

synopsis

Judith mène une double vie entre la Suisse et la France. D’un côté Abdel, avec qui elle élève une petite fille, de l’autre Melvil, avec qui elle a deux garçons plus âgés. Peu à peu, cet équilibre fragile fait de mensonges, de secrets et d’allers-retours se fissure dangereusement. Prise au piège, Judith choisit la fuite en avant, l’escalade vertigineuse.